[Alger 1969] Message du mouvement de libération palestinien "El Fath"

Un texte qui replace la création de l’Etat d’Israël dans l’histoire coloniale de l’Europe et de l’Afrique et la résistance palestinienne dans l’ensemble plus large des luttes de décolonisation. Un texte proposé par la maison d’édition PMN.

Le 21 juillet 1969 s’ouvrait à Alger le premier Festival Culturel Panafricain. Résultat de l’entraide révolutionnaire africaine et tricontinentale, ce festival réunit plus de 1400 personnes autour de la culture africaine, parmi eux les membres du conseil de la Révolution algérienne, et des représentant-e-s de gouvernements indépendants africains ou de mouvements de libération nationale tels que le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola), le Frelimo (Front de libération du Mozambique), l’ANC (le Congrès national africain), le Black Panther Party nord-américain ou encore el Fatah palestinien, ainsi que des écrivains, cinéastes, artistes, musicien-ne-s invité-e-s. Vitrine de la toute jeune Organisation de l’Union Africaine, créée à Addis-Abeba le 25 mai 1963, le premier Festival Panafricain représentait avant tout l’élan de solidarité internationale, révolutionnaire poussant à la lutte décoloniale et anti-impérialiste par l’affirmation d’une culture africaine aux traditions populaires.
Dans ce message présenté pendant l’inauguration, le mouvement de libération palestinien El Fatah créé en 1959 par Yasser Arafat, Salah Khalaf et Khalil Al Wazir, explique à quel point la lutte du peuple palestinien est avant tout une lutte de décolonisation proche de celles des peuples africains ayant réussi à enrayer l’impérialisme des États européens, insistant sur la solidarité nécessaire des peuples du sud.
Texte présenté par les Éditions Premiers Matins de Novembre, tiré de « La culture africaine. Le symposium d’Alger », 21 juilllet-1er août, S.N.E.D, 1969.
pmneditions[at]gmail.com

D’aucuns pourront s’interroger sur notre présence parmi vous et se demandent quelle serait la relation d’« El Fath » avec l’Afrique pour que ce mouvement-ci puisse assister au Festival de la culture africaine.
La carte du monde connaît deux genres de partage : la répartition géographique qui distingue cinq continents essentiels, dont l’Afrique ; et le second politique, qui divise le monde en deux blocs, celui des forces du colonialisme, du racisme et du despotisme d’une part, et celui des forces révolutionnaires et de la liberté d’autre part. D’où cette délimitation des zones de la révolution et celles du colonialisme.
L’Afrique serait donc le théâtre d’une lutte entre ces deux forces et n’est nullement un simple continent, celui-ci connaissant actuellement ce genre de lutte dans ses différentes contrées, que ce soit dans celles qui ont lutté, résisté et recouvré leur indépendance, ou celles qui continuent de le faire, afin d’obtenir leur souveraineté, tels la Rhodésie [1], l’Angola, l’Afrique du Sud et le Mozambique. Nous Palestiniens, posons, sur la carte du monde, la question de la liberté. Nous sommes avec l’Afrique à ce sujet et nous venus soutenir l’Afrique qui combat pour la liberté, bien que nous ne soyons pas de ce continent.
Certes le mouvement de libération « El Fath », qui dirige la lutte armée afin de recouvrer la vie et la liberté en Palestine, est heureux de rencontrer cet ensemble d’intellectuels, représentant la culture en Afrique qui combat pour la liberté, convaincus que nous sommes, que la liberté et la culture sont deux aspects étroitement liés de l’existence de l’homme.
Le mouvement de libération palestinien « El Fath », qui est venu participer à ce Festival où se rencontrent pour la première fois les différentes cultures de l’Afrique, est très fier de ce que peut signifier cette rencontre fraternelle, comme renforcement des échanges véritables entre les peuples d’Afrique et leur mutuel enrichissement dans le domaine de la Culture et des Arts. Nous avons longtemps espéré pouvoir participer à ce Festival afin de présenter à nos frères d’Afrique certains aspects culturels et artistiques de notre pays ; mais notre peuple, comme vous le savez, est occupé actuellement à combattre pour la liberté de sa patrie. Il s’oppose au complot impérialiste, comme s’y est opposée et s’y oppose encore l’Afrique dans plusieurs grandes contrées telles la Rhodésie, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Mozambique, complot qui vise à déraciner le peuple, à le dépersonnaliser, voire même à l’exterminer et à le remplacer par un peuplement étranger.
Lorsque nous luttons pour le droit à notre existence, nous le faisons en même temps pour toutes les valeurs de la liberté et de la culture, glorifiées par l’Homme, et en particulier pour le droit de chaque homme à vivre libre, indépendant et maître de son destin dans sa patrie.
Il n’est pas difficile, pour nos frères africains, de comprendre ce qui s’est passé en Palestine ; car c’est la même histoire qui a commencé par la venue de l’homme blanc européen au cœur même du continent africain. Il fit main basse sur les terres, asservit le peuple, lui imposa son régime, expulsant les autochtones et les privant du droit de vivre dans leurs pays en utilisant toutes les formes d’exploitation et de privation. L’Afrique n’a cessé d’endurer cette domination occidentale et de lutter pour son indépendance, sa liberté et sa dignité. Elle est arrivée à arracher la liberté de nombreux pays, bien que certains autres vivent toujours sous le règne de la domination raciste et de gouvernements despotiques.
Il en est de même pour la Palestine. Au moment même où notre peuple était aux prises avec le pouvoir rétrograde ottoman, aux débuts de ce siècle, afin de recouvrer sa liberté et son indépendance, et au moment même où notre peuple s’apprêtait à en jouir, nous avons été surpris par une étrange alliance entre les forces colonialistes, représentées par la Grande- Bretagne et le mouvement expansionniste et raciste qu’est le sionisme. Ils s’opposèrent à notre volonté d’émancipation et nous imposèrent une nouvelle domination. Mais cette fois-ci, c’est une conquête qui visait à vider le pays de ses véritables habitants et à y faire venir des étrangers pour le peuple, afin de créer une société particulièrement raciste, comme ce fut le cas exactement, en Rhodésie et en Afrique du Sud, lorsque la Grande-Bretagne y fit venir des blancs qui créèrent des États et une société raciste, aux dépens des autochtones africains.
À l’instar de Rhodes [2], de Verwoerd [3] et de Ian Smith [4] en Afrique, Herzl [5], Ben Gourion [6] et Dayan [7], furent des étrangers à la Palestine. On a clamé en Afrique le privilège du blanc, sa civilisation supérieure et la nécessité de créer un État « pur ». Il en est de même en Palestine, où on a affirmé le privilège qu’aurait l’élément juif, sa supériorité et son besoin d’avoir un État, dégagé de toute « impureté ». Weizmann [8] commentant la promesse faite par Lord Balfour [9] au millionnaire sioniste Rothschild, déclara : « Nous voulons un État en Palestine purement juif, comme la Grande-Bretagne est purement britannique ».
Ce sont les mêmes circonstances qui ont créé en Afrique l’État des blancs, à savoir la Rhodésie et l’Afrique du Sud, et en Palestine l’État sioniste. Ce sont les mêmes facteurs qui ont permis la création de ces États blancs ou sioniste. À l’instar de la Grande-Bretagne qui protège Ian Smith en Rhodésie, les U.S.A soutiennent l’État sioniste de Dayan en Palestine. Les liens étroits qui existent entre Israël et l’Afrique du Sud sont la manifestation de cette similitude qui se retrouve dans la nature, les circonstances de leur création et le devenir de ces deux pays. Et si cette similitude dans le racisme unit Israël à l’Afrique du Sud, il est juste qu’elle impose à ceux qui combattent le racisme et le colonialisme en Afrique et en Palestine de se rencontrer pour vérifier leurs actions et consolider leur lutte, car l’avenir, comme l’ennemi, est un.
Frères d’Afrique, Nous savons qu’Israël entretient des relations amicales avec certains pays d’Afrique, qu’il tente par là-même de cacher son visage raciste et expansionniste et de paraître comme un État luttant pour la liberté et la paix, fournissant des aides aux peuples sous-développés. Mais des questions s’imposent.
Pour qui la paix ? Est-il vrai que Ian Smith œuvre pour la paix en Rhodésie et que Dayan en fait de même en Palestine ?
Pour qui la liberté ? Est-il vrai que Ian Smith œuvre pour la liberté en Rhodésie et que Dayan en fait de même en Palestine ?
Est-il vrai que les trois guerres de 1948, 1956 et 1967 avaient été faites pour la paix ?
D’où viennent les secours ? Un État qui vit de secours parvenant de toutes les régions de la terre se paie le luxer de fournir des secours en Afrique ! Ne sommes-nous pas en droit de poser d’autres questions ? Israël ne serait-il pas le nouveau visage du néo-colonialisme pour s’infiltrer une nouvelle fois en Afrique ? N’y a-t-il pas dans le conseil de Humphrey aux dirigeants d’un des États sous-développés « Vous devez utiliser les services des experts israéliens », une indication valable sur le rôle qu’assument ces experts dans les pays sous-développés ?
Frères africains,
Notre histoire est identique à la vôtre. Ils sont venus dans notre pays, comme ils l’ont fait chez vous ; nous avons essayé, comme vous, de cohabiter avec eux dans un État où régneraient la justice et la paix. Mais ils n’ont eu de cesse, à l’instar de la minorité blanche en Afrique, à restaurer à nos dépens un régime raciste et « pur » ; ils nous expulsèrent comme ils l’ont fait chez vous, et combattirent ceux qui leur résistaient comme l’a fait Ian Smith en Rhodésie ; ils prétendirent, ce faisant, résoudre le problème juif, mais en réalité, ils créèrent un problème à notre peuple et n’ont nullement résolu le leur.
Quant à nous, nous avons été prêts à les recevoir parmi nous, pour que nous vivions dans un État démocratique, où tous les citoyens seraient égaux, mais ils s’entêtèrent à créer l’État « pur ».
Le résultat fut trois guerres. Ils continuent de s’entêter. Quant à nous, nous n’avons aucun choix, devant leur volonté expansionniste, si ce n’est de combattre afin de défendre notre droit à vivre, afin de ne pas disparaître et de recouvrer notre liberté. Nous continuerons à combattre jusqu’à la réalisation de nos objectifs, à savoir la création d’un État démocratique en Palestine, où tout le monde pourra vivre dans la paix, la liberté et la fraternité. Ce n’est nullement une propagande que nous vous soumettons, mais c’est bien notre objectif politique pour lequel nous combattons ; c’est aussi un appel que nous lançons à ceux qui veulent vivre dans la paix en Palestine et à lutter avec nous pour la réaliser.
Nous nous adressons aussi aux libéraux d’Afrique pour qu’ils soutiennent le droit à la liberté de la Palestine, comme ils l’ont fait chez eux, car la liberté est une et indivisible. C’est, poussé par la foi en l’unité de tous ceux qui luttent de par le monde pour la liberté, et par le sentiment de sa responsabilité envers tous les révolutionnaires, que le mouvement « El Fath » a décidé d’accorder son soutien total et illimité à tous ceux qui ont pris les armes pour la liberté, en quelque endroit que ce soit, et en particulier à ceux d’Afrique qui luttent et qui endurent les souffrances d’un combat pour le droit d’exister et de vivre dans leur pays.
Le mouvement « El Fath » ne se contente pas d’accorder un soutien politique ou moral, mais pense assumer un rôle direct dans le mouvement révolutionnaire, dans lequel il serait à l’avant-garde du combat en Palestine, à l’instar de toutes les formes combattantes en Afrique, ou de celles veulent lutter pour leur liberté partout où règnent la tyrannie, les exactions, le racisme et le colonialisme.
Ce que nous vous affirmons n’est nullement un message de circonstance, mais bien un engagement que prend le mouvement « El Fath », pleinement conscient de ses responsabilités dans le combat révolutionnaire mondial.

Le 21 juillet 1969
Le mouvement de libération palestinien « El Fath »

Notes

[1Le nom de Rhodésie désignait les colonies de la British South Africa Company en Afrique australe. Aujourd’hui, le terme est encore utilisé pour désigner la région du Sud-Est de l’Afrique (regroupant la Zambie, le Malawi et le Zimbabwe).

[2Cecil John Rhodes (1853-1902) : Homme politique britannique, fondateur de la British South Africa Company et de la Rhodésie. Il fut 1er ministre de la colonie du Cap en Afrique du Sud.

[3Hendrik Voerword (1901-1966) : Homme politique sud-africain, afrikaner d’adoption, fut 1er ministre d’Afrique du Sud et surnomé le « grand architecte de l’apartheid ».

[4Ian Smith (1919-2007) : Homme politique anglo-rhodésien puis zimbabwéen, il fut 1er ministre de Rhodésie et proclama l’indépendance du pays vis-à-vis du Royaume-Uni en 1965. Il coordonna la lutte contre les mouvements noirs de libération anticolonialiste.

[5Theodor Herzl (1860-1904) : Fondateur et théoricien du sionisme au congrés de Bâle en 1897.

[6David Ben Gourion (1886-1973) : Fondateur de l’État d’Israël dont il fut 1er Ministre de 1948 à 1953 et de 1955 à 1963.

[7Moshe Dayan (1915-1981) : Militaire et homme politique sioniste, acteur important des guerres des Six Jours et du Kippour.

[8Chaim Weizmann (1874-1952) : Premier président d’Israël de 1949 à 1952.

[9Arthur Balfour (1848-1930) : Premier ministre du Royaume-Uni de 1902 à 1905 et secrétaire d’État des affaires étrangères de 1916 à 1919. En novembre 1917, il publie une lettre connue sous le nom de déclaration Balfour soutenant le projet sioniste en Palestine.

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