C’est comme tirer sur une ambulance : récit d’un séjour à Vintimille

Suite au camp autogéré à Balzi Rossi expulsé à la fin de l’été dernier, un autre camp No Border a été appelé cet été. Récit de quelques participant∙e∙s.

Vendredi 5 août, 9h00. Tende. Répondant à l’appel à établir un camp de résistance contre les frontières, nous arrivons avec une ambulance autonome et un autre véhicule.

Une manifestation (en jargon alpin : une randonnée) contre l’agrandissement du tunnel de Tende, qui permettrait le passage de camions, est prévue. C’est un projet de convergence des luttes qui rassemble les deux côtés de la frontière autour du constat : “les marchandises passent, les personnes non”, l’idée étant de partir après en convoi vers le terrain du campement, côté italien.
En arrivant, on trouve en réalité une quinzaine de personnes sur un parking. Présence policière, pression et travail de fichage commencent déjà.
On apprend que la veille, 300 migrant∙e∙s ont occupé les rochers de Balzi Rossi, au niveau du poste de frontière et, soutenu∙e∙s par des militant∙e∙s, ont forcé le passage. Ce débordement a été brutalement réprimé ; une partie des migrant∙e∙s a été (r)envoyée au camp de la Croix Rouge ou dans les containers de Menton et des militant∙e∙s ont été arrêté∙e∙s puis interdit∙e∙s de territoire de la province d’Imperia.
Nous partons en direction de Vintimille.

14h00. L’ambulance tente de rejoindre les personnes restées à Balzi Rossi. L’équipage, à pied, est fermement repoussé par la DIGOS et la polizia. Demi-tour, stop, contrôle du véhicule et de ses passager∙e∙s. En même temps, des gens venus apporter de l’eau et de la nourriture sont arrêtés et tabassés.

21h00. Après quelques heures fastidieuses d’errance et de glanage d’informations, nous partons pour le camp No Border à Ciaixe, l’ambulance en tête. C’était sans compter sur les camions de sbirri postés en embuscade. L’ambulance et une autre voiture sont stoppées et leurs passager∙e∙s conduit∙e∙s sur le pont en contre bas, abondamment garni de flicaille en tout genre. En effet, c’est un des accès pour le camp de la Croix Rouge.
Quand depuis les montagne une meute scande “tout le monde déteste la police”, ladite police, hypertendue, se pare de son attirail anti-émeute en panique. Les véhicules sont garés et perquisitionnés, les questions tournent autour de l’ambulance et de sa mission. Les gens sont amenés vers le commissariat de Vintimille, où iels resteront 6h ; fichage, empreintes, quelques personnes refusent de se soumettre, elles sont chargées de “résistance”.
Pendant cet épisode, le reste de l’équipe tente de trouver des informations. Elle se rend compte que l’infoline du camp n’y est pas et ne peut donc pas renseigner sur l’accessibilité du camp et lui apprend les arrestations. Ce sera le cas toute cette nuit-là.
Depuis minuit, les touristes sont rentré∙e∙s se coucher, laissant place à un balai incessant et menaçant de voitures de flics traquant les vagabondi ; ambiance, ambiance !

3h00. Premières sorties du commissariat et retrouvailles !
Certain∙e∙s se mettent en route pour récupérer les véhicules. Avec lassitude, ils sont retrouvés en plein milieu du pont, deux pneus sur quatre lacérés. Ils ont vraiment tiré sur l’ambulance !
Visiblement il n’est pas apprécié de soigner des réfugiés dans la région.

Samedi 6 août. Camp No Border. C’est la veille de la manifestation. La police a annoncé qu’il ne se passera rien. Une assemblée se réunit et planifie la journée autour de trois axes :
→ Tractage aux habitant∙e∙s de Vintimille ;
→ Communiquer avec les migrant∙e∙s ;
→ Action à la Croix Rouge, qui tente de contrôler les allers et venues des migrant∙e∙s, l’idée étant juste de faire du bruit autour de leur camp.

15h00. La majorité des personnes du camp part pour l’action annoncée.
Cf Paris Luttes info http://paris-luttes.info/liber-tutt-charges-et-arrestations-6535

Au même moment, une perquisition a lieu à Camporosso, dans un lieu permanent d’accueil et d’organisation logistique de la lutte. La police profère des menaces de mort à l’encontre des personnes présentes.
Le climat est tendu, nous craignons une attaque imminente du camp et apprenons que les personnes parties pour l’action sont chargées par les flics sur le fameux pont. La situation est très confuse et nous tentons de porter secours. En bas, une personne gît au sol ; flic ou ami ?
L’info tombe quelques minutes plus tard, c’est un flic, crise cardiaque en sortant de son blindato.

00h00. Une assemblée chaotique se réunie influencée par la peur des représailles ; deux axes se dégagent : comment protéger le camp en cas d’attaque et comment imaginer ensemble la manif du lendemain.
Parmi nous, trois personnes restent au camp, les autres partent déplacer les véhicules et dormir ailleurs. La nuit au camp s’annonce tendue, tout le monde connaissant le fonctionnement de gang de la polizia. Une fausse alerte nous oblige à fuir dans les bois pour un moment.

Dimanche 7 août. Au petit matin, départ en stop du camp pour aller vers Vintimille. Trajet très court, puisque stoppé avant la nationale par les flics. Reconnues comme l’équipe de l’ambulance et l’une des trois ayant un opinel dans sa poche, elles sont encore une fois envoyées au commissariat.
Bien que fatigante, cette garde-à-vue se déroule de manière cocasse. Dix françai∙se∙s dans la même salle tentent de pousser à bout les carabinieri en revisitant les classiques de la variété italienne. Parmi eux, trois touristes niçoi∙se∙s, de retour de la fête de la vespa dans la vallée au Nord, qui se sont fait∙e∙s arrêter à 35 km de Vintimille en possession d’une arme classée X-men, à savoir une figurine de la main de Wolverine ! Deux autres avaient casseroles, tournevis et boulons dans leur caisse à outils ! Il y a également un italien qu’ils refusent de considérer comme tel, étant donné qu’il réside en France et n’avait qu’un permis français comme papier d’identité. Il se retrouve donc apatride et en forte crise identitaire… « Qui suis-je ? Où vais-je ? ».
Visiblement, dehors : tout ce petit monde sera reconduit à la frontière peu avant minuit.

Pendant cette journée, dans les rues de Vintimille, le peu de personnes qui ne se sont pas faites arrêter ou qui n’ont pas pris la fuite s’agrègent du côté de la vieille ville pour cette manifestation à appel européen. Bloquée par la police et n’ayant aucun moyen de rejoindre le centre-ville, la petite centaine de personnes se dirige vers la plage pour un déploiement de banderoles. Il y a peu de flics autour de la manifestation mais des contrôles et des arrestations dans les rues et jusque dans les gelaterie de la ville. Le cortège se dissout lentement dans l’eau de mer.
Sentant la situation bien cadenassée et devant aller chercher nos ami∙e∙s à la frontière, nous prenons la direction de Menton. Ciao italia !

P.-S.

Ce récit est un regard qui n’a pu rester qu’extérieur en raison d’une situation verrouillée par l’état et ses sbires. Nos efforts se sont concentrés sur la seule possibilité d’être là physiquement, ce qui nous laisse la frustration de ne pas avoir su intervenir comme nous l’avions imaginé matériellement et politiquement.

Le but de ce camp était premièrement de décompresser une situation “cocotte-minute” à cette frontière franco-italienne, et on ne peut pas savoir dans quelle mesure cela a fonctionné. La visibilité de cette lutte, qui était l’autre objectif du camp, n’a pas tant été gagnée par le camp que par le passage en force de la frontière la journée du 4 août. Ceux que l’on nomme « migrant∙e∙s » ne sont pas comme on l’entend dans les médias de masse, victimes de leur sort mais bien des sujets politiques qui s’auto-organisent. Ceux-ci sont bien conscient∙e∙s des raisons de leur fuite et de la responsabilité des états européens dans les situations de leurs pays d’origine.

La militarisation se poursuit à mesure que les déplacements clandestins s’intensifient.
Vintimille a décidé qu’elle ne sera pas le Calais italien.

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