Chapitre 3 : en mai, bloque ce qu’il te plaît

C’est la rentrée ! Avant de reprendre les hostilités contre la loi « Travaille ! », il peut être pertinent de jeter un œil en arrière et d’esquisser un premier bilan. Que s’est-il passé à Toulouse entre mars et juin 2016 ? Qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui a foiré ? Petit retour en trois chapitres sur autant de mois de lutte dans la ville rose.

Après le 49-3

Une manifestation nationale est prévue le 12 mai. Après le 10, jour où la rue a répondu à l’annonce du 49-3 par deux manifs sauvages d’anthologie, les attentes sont fortes... Entre 3.000 et 12.000 manifestant.e.s répondent présent.e.s. La manif bifurque à Arnaud Bernard au lieu de s’arrêter à Compans Caffarelli (voir le suivi). Amenée par les syndicats, elle ira jusqu’au commissariat exiger la libération de quelques syndicalistes interpellés sur des actions de blocage. Devant le comico, les slogans anti-flics ne sont pas repris. Un.e contributeur.ice écrira :

On peut se réjouir de la déviation de la manif 12 mai à initiative des syndicats pour aller soutenir quatre gardés à vue : un rassemblement massif met la pression, certains négocient la libération et les quatre finissent par sortir. Par contre, il est déplorable que les interventions au micro aient fait la distinction entre « militantEs respectables » et « casseurs/casseuses », qu’elles aient tant insisté sur le fait qu’eux n’avait pas commis de dégradation. Au même moment, dans la plus grande indifférence, un autre manifestant, peut-être moins respectable au regard syndicaliste, passait en comparution immédiate au palais de justice. Un slogan le disait bien : "CGT, NPA, aujourd’hui vous êtes là ; quand c’est pour nous, on vous voit pas !"

Une manif improvisée mais bien inoffensive se dirige ensuite jusqu’à François Verdier. Une tentative d’occupation de la Halle aux Grains est violemment réprimée par la BAC : elle n’hésite pas à aller tabasser et interpeller directement dans les rames de métro les manifestant.e.s qui ont eu la mauvaise idée de s’y réfugier. Non sans la complicité des agents Tisséo, qui seront dès lors systématiquement hués en manif.

La legal team publie son premier communiqué :

Nous avons recensé 9 interpellations entre la fin d’aprés-midi et le début de soirée, dans le contexte de la manifestation contre la loi Travail et l’utilisation du 49.3, du 12 mai à Toulouse.
Elles ont toutes conduit à des garde-à-vue.
Une personne est passée en comparution immédiate, elle a demandé un report (a "refusé la comparution immédiate").
Cinq personnes se sont vu remettre des convocations pour un procès, entre la fin juin et le début d’octobre.
Deux personnes sont sorties avec des rappels à la loi.

Moments de flottement

17 mai : depuis plusieurs jours, un tract est distribué en manif et a été publié sur le site. Il invite à se retrouver à Esquirol à 16h après la manifestation de midi :

Nous ressentons le besoin, autant que l’envie, de sortir de la temporalité de la réaction, pour faire naître une temporalité de lutte. Suivre nos instincts, comme toutes les fois où nous nous sommes trouvés. Passer un cap. Découvrir, autant que des objectifs, une manière commune de les atteindre. Forcer la voie des possibles.

Cet appel accouchera d’une souris, puisque rien n’est proposé aux centaines de manifestant·e·s ayant répondu présent·e·s, si ce n’est un face à face anxiogène avec autant de flics – le préfet supervisant même les opérations depuis la place.

Les actions de Nuit Debout et de son collectif "Y’a pas d’arrangement" se suivent et se ressemblent... Iels organisent le 14 mai une brève occupation de la Fnac à Jean Jaurès. Un.e contributeur.ice se désole :

Pour le bon fonctionnement de la fête, un se dévoue pour acheter un câble jack. Pratique on était sur place ! Il se mélange aux consommateur.ice.s qui vadrouillent tranquillement à l’étage du dessous et heureusement que les caisses n’étaient pas bloquées sinon il aurait dû ne pas le payer !
Musiques commerciales, champagne, confettis, danses nous envahissent. Faudrait pas crier des slogans, parler de violences policières et d’État, des personnes embarquées ou bien de la précarité… De tout ce qui nous met la rage quoi ! Il faut rester souriant.e.s, ouvert.e.s à tous.tes, être politisé.e.s mais seulement en respectant les règles établies.

Malgré le caractère si peu subversif de ces actions, il est toujours frappant de constater à quel point elles sont suivies, que ce soit par les manifestant.e.s qui participent par centaines, ou par les journalistes, qu’iles soient de la presse écrite ou audiovisuelle.

Police partout, justice aussi

Qui dit mouvement social dit répression, et ce mois de mai ne fait pas exception. L’arsenal répressif dont dispose l’État s’étoffe, notamment avec la présence de voltigeurs dans les cortèges. Mi-mai, un appel à les tenir à distance circule :

Une proposition : des œufs, pourris ou de peinture, à leur balancer dans le casque, la visière ou le bec. L’idée, c’est à minima de les gêner, de les aveugler, car ils sont les yeux de l’arsenal du maintien de l’ordre, de les marquer. L’objectif étant aussi de réussir à leur signifier qu’ils ne font pas ce qu’ils veulent dans nos manifs, de leur subtiliser leur confiance, de la faire nôtre.
Nous pouvons maîtriser des poulets au sol, ceux qui volent doivent redescendre sur terre.

A Toulouse, comme dans le reste de la France, l’État commence à distribuer des interdictions préventives de manifester, profitant des possibilités offertes par l’état d’urgence en vigueur depuis le mois de novembre.

Après la manif du 12 mai, un article nous raconte l’interpellation et la garde-à-vue de deux manifestants. Ça fait froid dans le dos.

Le matin, la carence liée à l’absence de son traitement devient plus difficile à gérer et prend la forme d’une "décompensation". Après plusieurs demandes, où les flics lui disent que le médecin va arriver, toujours rien. Il commence à se déchainer, à taper sur les portes de sa cellule, à gueuler. Il se défoule sur ce qu’il peut. Il se déshabille, se met entièrement à poil et déchire ses vêtements, se déguise avec les lambeaux. Il déchire sa couverture et l’utilise pour bloquer le robinet de sa cellule et l’inonder. Rapidement, les keufs coupent l’eau. Il crie pour voir un médecin, ne croit plus les réponses des keufs.

Les keufs le laissent à poil 5-6 heures, sans couverture, dans le froid. Il se fout en boule. Quand il demande aux flics qui passent dans le couloir s’il peut avoir une couverture sèche, on lui répond qu’il n’y en a qu’une par cellule. Il se gratte nerveusement la jambe jusqu’au sang. Il crie « j’ai mal j’ai mal je souffre ». Les flics l’ignorent.

Alors que l’offensivité du mouvement toulousain est plus que discutable, les peines tombent les unes après les autres, avec souvent de lourdes amendes à la clef :

La première comparution a donné lieu à la condamnation d’un manifestant pour outrage. La rébellion n’a pas été retenue. Pour avoir crié « Tu vas encore éborgner quelqu’un avec ton FlashBall, connard ? », il a écopé de 1.300€ d’amende et de dommages et intérêts.

La saison des soirées de soutien est ouverte, avec une belle première le 10 juin au Centre Social Autogéré. D’autres préfèrent venger leurs camarades gardés-à-vue à coup de tournevis. Bref, la solidarité s’organise, malgré les coups de pression de la BAC.

Premier cortège autonome

Le 19 mai, environ cinq mille personnes manifestent sur le parcours classique Compans → François Verdier. C’est la date qu’il faudra attendre pour voir se constituer le premier cortège autonome au sein des manifs toulousaines. 200 personnes, masquées pour une partie, défilent derrière des banderoles renforcées. Les assemblées 31 en lutte reprennent avec une forte activité : diffs massives de tracts (et écriture de tracts par secteur), mise en place de commissions (jonction, action/autodéfense, caisse de grève), préparation de banderoles de défense pour les manifs... L’agenda des activités est publié chaque semaine sur IAATA.

Le rythme des blocages s’intensifie

Le 25 mai, à 5 heures du matin, des cheminot·e·s appellent, avec le soutien de Nuit Debout Toulouse et de l’assemblée 31 en lutte à une action avec rendez-vous sur le parvis de la gare Matabiau. Une bonne centaine de personnes se retrouve pour bloquer joyeusement la gare routière. Lors de cette action, trois compagnons sont arrêtés en allant pisser et passeront 30 heures en garde-à-vue pour finalement ressortir avec... un rappel à la loi pour avoir fait obstacle à la circulation.

Le lendemain, 26 mai, rebelotte ! A l’appel de l’assemblée des Minimes et dans le cadre d’une journée de blocages coordonnés avec Nuit Debout et l’intersyndicale, le périphérique se retrouve paralysé dès l’aube. Pendant plusieurs heures, l’entrée « Minimes » de la rocade n’est praticable qu’à pieds — il faut dire que les raffineries se sont mises en grève quelques jours auparavant et que les honnêtes gens craignent la pénurie d’essence.

L’après-midi, la manifestation officielle est très suivie (entre 6.000 et 20.000 personnes.) Le cortège autonome se retrouve et fait monter la pression à coup de jet d’œufs de peinture :

Des leçons ont été tirées de la dernière manif (celle du 19 mai) : le cortège fait bloc derrière les banderoles, qu’on ne lâche plus d’une semelle. Dans cette atmosphère sécurisante, un premier œuf est lancé en direction de la flicaille. C’est l’étincelle. Petit à petit, tout le monde se met à chanter et à taper dans ses mains. L’ambiance est bonne, on se sent fortEs, offensif.ves et nuisibles. De plus en plus de genTEs viennent piocher dans les différentes réserves de quoi trasher banques, agences d’intérim et autres symboles du capitalisme. Le compteur de l’UEFA à Jean Jaurès se fait repeindre bien comme il faut, sous les hourras d’une centaine de personnes surmotivées. "Aaaah, anti, anti-capitaliste !", "C’est pas les immigréEs qu’il faut virer, c’est le capitalisme et l’état policier !", et le petit dernier "On marche ensemble, on tient la rue, et si les flics envoient les gaz on continue !"

Le 26 mai, après le passage du cortège autonome.

Arrivé.e.s au désespérant Monument aux Morts, les manifestant-e-s refusent de s’arrêter en si bon chemin et partent en manif’ sauvage, vite réprimée. Les voltigeurs partent alors à la chasse aux manifestant-e-s dans les rues de Saint-Aubin pendant que la BAC tire sur tout ce qui bouge sur les boulevards. Ce que les médias appellent "bavures" se multiplient, sous l’œil des photographes et vidéastes indépendantEs.

Le soir, une AG de lutte se tient place du Capitole à côté de l’endormante assemblée de Nuit Debout. Un long compte-rendu de ce que les torchons locaux appellent « un jeudi noir à Toulouse » sera publié sur IAATA. Mais la journée se termine en réalité le lundi suivant avec le procès de deux manifestants. La première peine de prison ferme tombe  :

Le premier avait jeté un bidon d’huile vide sur le casque d’un CRS, le second une bouteille de bière toute aussi vide à leurs pieds. Qu’importe le geste pourvu qu’on ait la condamnation, c’est l’adage des comparutions immédiates, outils politiques visant à montrer aux pauvres et aux insoumis qui c’est qui commande. (...)
Le premier prévenu écope de 105 heures de travail gratuit (pour avoir manifesté contre la loi travail, c’est un comble) et 4 mois de sursis, le second d’un an de prison dont 6 ferme... Eh oui, ce dernier avait deux lignes en trop sur le CV : condamné à exactement la même peine suite aux manifestations après la mort de Rémi Fraisse, il était depuis sa sortie de prison sans domicile fixe. Deux éléments qui à eux seuls méritaient un mandât de dépôt. Une journée normale au tribunal de la justice de classe...

L’AG de lutte gagne en confiance et organise son propre blocage, en parallèle d’une action similaire de la CGT qui n’aura finalement pas lieu. Le 2 juin, journée de mobilisation nationale, rendez-vous est donné aux Ponts Jumeaux à 6 heures pour bloquer ce point stratégique de la circulation. Cette tentative tourne court. Après une heure de blocage, les CRS rappliquent et font évacuer les lieux avec l’aide de la BAC. Quand bien même aucune résistance n’est opposée, la flicaille interpelle au hasard pour montrer l’exemple.

Une journée qui pose plusieurs questions :

  • stratégies collectives et réponse politique face au contrôle d’identité,
  • conséquences du décalage à la dernière minute du blocage prévu par les syndicats, qui nous a laisséEs isoléEs et plus vulnérables

Le 9 et le 14 juin ont lieu deux manifs coup sur coup, mais la fatigue se fait sentir et, de manif en manif, le cortège autonome fond comme neige au soleil.

L’UEFA ne suffit pas

Le 11 juin, c’est le coup d’envoi de l’UEFA. Une partie de "foot populaire" est organisée dans l’après-midi dans le centre-ville commerçant. Le 13, date du premier match à Toulouse, un beau message attend les supporters qui se rendent au stadium : travail, foot, patrie !

Pour autant, la tenue de l’Euro ne relance pas le mouvement comme certain.e.s l’espéraient. La seconde utilisation du 49-3 à l’Assemblée le 6 juillet n’y fera rien :

Sur place à l’heure dite, on sent déjà que pas grand chose ne sera possible. Seules 200 personnes ont répondu à l’appel, et toutes les rues sont petit à petit verrouillées par les keufs et les GM. (...) C’est parti pour une bonne heure de jeu dans une place du Capitole devenue une nasse géante, sous l’œil des bourges aux terrasses des cafés. (...) Après quelques tours de cage supplémentaires, une nouvelle visite du McDo, de la mairie, du Sephora, quelques barrières déplacées et alors que la plupart des manifestant-e-s sont parti-e-s selon les consignes données par la commissaire (pas plus de trois personnes à la fois), la partie s’arrête. La flicaille reste encore un moment sur une place rendue aux touristes et à la consommation, alors que tout le monde s’est dispersé. On aura versé bien plus de sueur que de rage.

Alors que le gros des troupes disparaît en vacances ou au turbin, celleux qui restent s’étripent sur des questions de sexisme et de racisme.

La composante autonome du mouvement saura-t-elle surmonter ses divisions pour reprendre le mouvement en septembre ? Les envies sont là : des liens ont été créés, des pratiques entérinées... Il serait frustrant de ne pas les mettre à profit, que ce soit dans des luttes de quartier, des luttes d’entreprise, ou encore et toujours contre la loi " Travaille !" et son monde de mortEs-vivantEs. Réponse le 11 septembre en AG de lutte et le 15 septembre dans la rue !

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  • 11 septembre 2016

    Oui 28 septembre !

    Merci

  • 10 septembre 2016

    Merci pour ces précisions. Tu voulais sans doute dire 28 septembre et non 28 juillet.

  • 10 septembre 2016

    en ce qui concerne le blocage du 2 juin et l’interpellation, une personne, après avoir refusé la comparution immédiate, a écopé d’un contrôle judiciaire avec pointage trois fois par semaine et d’une interdiction de haute garonne jusqu’à son procès, le 8 juillet, qui a été reporté.
    Le contrôle judiciaire a été prolongé jusqu’à la date du prochain procès, tout comme l’interdiction de se trouver en haute garonne.
    Il est donc convoqué pour son procès le 28 juillet 2016 à 14h au palais de l’injustice.
    Soyons nombreux et nombreuses pour soutenir les procès à venir ! Solidarité avec tou.te.s les inculpé.es !


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