9 mois de prison ferme pour une manif : compte-rendu du procès

Dans le box S. 29 ans, crane rasé, teint mat, il s’est fait arrêter le 23 avril du côté de St-Sernin dans la foulée de la manif’ contre la mascarade électorale. Il est accusé d’avoir cassé les vitrines de l’agence immobilière Falguière (28 rue du Taur) représentée par un avocat ce jour là. Chef d’inculpation : dégradation aggravée, les circonstances aggravantes seraient le fait de l’avoir fait en réunion tout en se dissimulant le visage.

Le président après avoir demandé à S. de décliner son identité, fait état de son casier judiciaire qui compte 15 condamnations, dont plusieurs pour dégradation aggravée et mentionne aussi le fait que S. a déjà été incarcéré à plusieurs reprises. Après avoir pris un malin plaisir à énumérer quelques condamnations, le juge commence à relater les faits qui ont amené S. dans le box.

Au court du récit S. ne reste pas impassible, il interpelle le président, le coupe, tente de rectifier les faits, de faire entendre sa version, de manière énergique, et ne baisse pas la tête face au juge.
Selon ce dernier, qui relate le procès verbal des voltigeurs, les poulets à motocyclettes qui suivaient la manif’ ( pas très pacifique dixit le président ) prétendent avoir vu un groupe de personnes masquées s’extraire du cortège pour casser une vitrine à coup de pieds. Ils repèrent deux personnes grâce à des détails vestimentaires, S. serait l’une de ces personnes. Il sera interpellé lors de la dispersion à coup de lacrymo du cortège à St-Sernin, l’autre n’a pas pu être interpellé de l’aveu même des policiers.
Le juge en profite pour questionner de manière insistante S. sur l’identité possible de l’autre personne... Sous entendant qu’ils auraient pu agir avec préméditation. S. reconnaît avoir suivi la manif’ qu’il a croisé au hasard de ses déambulations nocturnes, car il était mécontent de la présence de Marine Le Pen au second tour. Et avoir remonté le col de son T-shirt pour se protéger des fumigènes. Mais nie avoir cassé les vitrines. Il était venu seul et ne reconnaît la description faite de l’autre personne mentionnée dans les rapports des flics.
Lorsqu’on lui demande pourquoi il a essayé de s’enfuir lorsque les policiers ont essayé de l’arrêter, il répondra avoir voulu se faire arrêter sous les cameras de vidéosurveillances de peur d’une bavure.
Selon le président les cameras n’ont pu distinguer qui a cassé la vitrine, on ne voit que des ombres sur la bande.
S. tente de se défendre en expliquant qu’avec son casier il n’aurait rien tenté qui puisse le faire retourner en taule. Le ton monte, la voix se fait tremblotante, la peur de retourner au trou comme la colère percent dans la voix de S..
Le proc’ profitera de l’opportunité qui lui est donné d’interroger S. sur les faits pour lui demander pourquoi il a déclaré au flic qui l’a auditionné « je suis loin d’être con, pas comme vous. »

L’avocat de l’agence immobilière prend ensuite la parole plus pour dénoncer les atteintes à la démocratie que représentent des manifs comme celle de ce dimanche soir que pour exposer les préjudices subis par son client. Il commence en pointant « le discours teinté de larmes et d’émotion » de S. ou le fait que la version de S. contredit celle des policiers « qui n’ont aucun intérêt à faire condamner un innocent » . Il expliquera ensuite que quand on voit une manif « comme ça » on se désolidarise, que c’est bien d’avoir des idées mais que c’est quand même un peu abusé d’y joindre les actes… Après une instructive digression sur l’anarchie où l’on apprendra qu’« il existe des anarchistes éclairés comme des anarchistes obscurantistes », que l’anarchiste connaît les lois et les respecte par devoir moral, le tout avec une petite citation de Proudhon à l’appui. Puis considérant sa leçon d’éducation civique à deux balles terminée, confesse « qu’il ne va pas marcher plus longtemps sur les plates-bandes du procureur ».
Il entame alors la sale besogne pour laquelle il est payé, avec le traditionnel couplet sur les petits commerçants qui galèrent, que l’agence immobilière n’est pas responsable de la présence de Marine Le Pen au second tour (mais par contre en partie responsable de la gentrification et de la guerre aux pauvres faites sur Toulouse ), sur les pauvres salariés qui n’ont pu travailler et les pauvres client qui n’ont pas pu venir spéculer en paix à cause de la fermeture engendrée par les dégradations, et sur la facture des réparations qu’ils comptent bien faire régler à S. lorsque celle-ci sera chiffrée.

Le proc’ enchaîne : « je m’appelle S., je suis casseur professionnel ». avant de commenter son casier judiciaire où sont déjà inscrites deux condamnations pour dégradation aggravée. Puis, car c’est bien connu tout apprentissage repose sur la répétition, on a droit à un sermon sur la démocratie digne de son rôle de curé de la république, où il explique que ce n’est pas parce qu’on est pas content du résultat des urnes qu’on peut tout casser, que c’est pas ça la démocratie. « qu’une centaine d’hurluberlus ne peuvent transformer le centre de Toulouse en zone de guérilla urbaine » que ça ressemble furieusement aux « manifs post-sivens » et que s’il raconte et fait tout cela c’est qu’il « refuse le sentiment d’insécurité chez ses concitoyens ». Il met en avant la parole des flics, le casier de l’accusé et l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme : le droit à la propriété, au cas où nous aurions oublié qui il sert. Précisant pour la forme que la vidéosurveillance ne permet pas d’innocenter l’accusé. Il fini par réclamer 1 an de ferme avec mandat de dépôt + la levée des droits civiques + l’interdiction de manif pour 3 ans et regrette que dans ces circonstances il ne soit pas possible d’interdire de séjour l’accusé dans la ville de Toulouse.

C’est ensuite au tour du commis d’office de S. de prendre la parole ( nous apprendrons ensuite qu’il n’a pu rencontrer S. avant le procès et n’avait pour préparer sa défense qu’une note laissée par sa collègue qui s’est déplacée en garde à vue. ). Il pointe d’entrée de jeu que le seul élément à charge du dossier c’est la parole des flics soit deux motards qui ont suivi à distance dans des petites rues mal éclairées une masse agitée de 100 personnes masquées pour la plus-part. Ce qui peut légitimement amener à douter de ce témoignage en raison des conditions matérielles d’observation. Selon lui les vidéos vues par l’avocate lors de la garde à vue ne contiennent aucun élément susceptible de remettre en cause la parole de l’accusé. Il demande la relaxe ou s’il y a une condamnation la clémence du juge au bénéfice du doute. Il pointe du doigt l’absurdité de la rhétorique du procureur (casseur professionnel …) et le fait que ce sont des mots destinés à construire une certaine image d’une personne pour la faire condamner. Il finira par le classique profil social où il parlera pêle-mêle des projets de S., de sa situation familiale, de sa difficulté à se réinsérer après ses précédentes peines de prison. De son enfance difficile ou encore de son parcours de galérien.

Rendu : Coupable 9 mois ferme avec mandat de dépôt et une indemnisation à verser à l’agence Falguière fixée lors d’une prochaine audience, S. interrompt l’énoncé du verdict pour échanger quelques mots avec des personnes venues le soutenir avant d’être traîné par les flics dans la petite porte au fond du box.

Tout cela nous rappelle que la justice n’est qu’un outil pour maintenir l’ordre en place aux mains de ceux qui nous gouvernent et nous dépossèdent de nos vies. Et que ce qui est jugé dans le tribunal ce ne sont pas les actes des personnes mais leurs profils sociaux, leur couleur de peau ou leur appartenance de classe. Qu’en dépit d’une absence de preuves flagrante et au mépris de la présomption d’innocence qui est pourtant inscrite dans leurs lois, l’accusation ne reposant au final que sur la parole de policiers ; la justice condamne pour permettre au pouvoir de construire l’image de l’ennemi intérieur et celle de la répression qu’il lui réserve ; en témoingne la manière dont sera relaté ce procès dans les journaux où tout ce qu’il sera dit c’est qu’un « homme appartenant à la mouvance anarcho-libertaire a été condamné à 9 mois de prisons ferme pour les dégradation de la manif du dimanche ».

Nous proposons un RDV vendredi 26 mai à 18h au Kapilo 6 rue Danièle Casanova ( Metro Compans ) pour organiser un ou plusieurs événements destiné à récolter des thunes pour permettre a S. de cantiner et mettre en lumière la répression qui s’exerce quotidiennement sur tout ceux qui se révoltent.

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