Contre la facilité : sur l’attaque à la massette des vitres de l’Hôpital Necker

Des milliers de vitres ont été brisées mardi. Mais une dizaine d’entre elles ont recueilli plus d’attention qu’elles n’en méritaient. Une volée de baies vitrées de l’hôpital Necker ont été minutieusement étoilées lors de la manifestation. Mais tandis qu’on n’attend rien d’autres des médias que de s’indigner jusqu’à la nausée, il est plus surprenant de voir des « alternatifs », « anticapitalistes », ou autres contestataires de rue ou de salon se sentir sommés de s’exprimer à leur sujet.

Alors puisque la dissociation est de mise lorsque ces commentateurs sociaux suivent le sens du vent et surfent les mêmes vagues que nos ennemis tant que leur planche est rouge ou noire [1], nous affirmons préférer la plongée sous-marine et n’avoir que faire des mouvements de surface.

Il y a mille raisons de s’attaquer à un hôpital quelconque et à celui-là en particulier, et l’envie brute de se passer de raisons en est une.

Après tout, peu importe que cet hosto porte le nom de Jacques Necker, banquier de profession, puis successivement conseiller des Finances, directeur général du Trésor Royal, directeur général des Finances, Premier ministre des Finances de Louis XVI et j’en passe. Peu importe que ce brave homme se soit remarqué dans son rôle de contre-révolutionnaire en 1789, lorsque les casseurs détruisaient la Bastille pierre par pierre. Peu importe qu’au même moment, il ait repris à son compte toutes les méthodes imaginables pour calmer la populace en furie.

Après tout, peu importe que l’hôpital soit un symbole de l’oppression médicale et de ce que le pouvoir scientifique se permet de faire subir. Peu importe que des milliers de femmes soient traitées comme des machines à reproduire derrière ces grandes baies vitrées, peu importe que des personnes intersexuées soient mutilées à la naissance derrière ces si charmantes plaques de verre. Peu importe que l’hôpital nous arrache chaque année des proches, des compagnon-ne-s en les psychiatrisant et en les internant. Peu importe que les laboratoires pharmaceutiques prolifèrent sur le dos de nos maladies et de celles de nos enfants en profitant de la manne financière de la Sécurité Sociale. Peu importe également que les internes profitent de l’anesthésie de patients et de patientes endormies pour tester sur eux et elles tout un tas de pratiques sans leur consentement.

Après tout, peu importe que l’hôpital soit un lieu de collaboration principal du pouvoir, dans nos mouvements comme tout le reste de l’année, qui balance les individu-e-s qui s’y rendent en croyant obtenir du soin, et qui en sortent avec des menottes. Peu importe qu’il soit également l’endroit où se retrouvent par alternance avec la prison celles et ceux que l’État veut anéantir.

Après tout, peu importe que ce monument historique, éminent symbole de la puissance de l’État, bâtiment colossal tout de verre et d’acier, nous rappelle sans cesse que nous ne sommes que de médiocres pions face à la grandeur de nos maîtres. Peu importe que ces baies vitrées de 10m de haut coûtent une fortune et que leur réparation fasse cracher de la thune à ces ordures.

Et si, après toutes ces raisons qui nous importent peu, la simple satisfaction, du haut de notre mètre 70, de filer des courants d’air à des salopards en costards ou blouse blanche, à l’aide d’une simple massette, jusqu’au plus haut sommet de l’État, avait pu donner l’énergie d’agir à une individualité révoltée ?

Et si ces personnes que certain-e-s trouvent idiotes d’avoir attaqué ces vitres, étaient les mêmes personnes qui attaquent les banques et les assurances, et qui nous réjouissent tou-te-s ? Quelle présomption, quel sentiment de supériorité nous permet de juger la pertinence de leurs motivation, et de décerner les bons et les mauvais points dans le désordre social ?

Et si, au lieu de s’empresser de cracher sa bile sur des individu-e-s présent-e-s à nos côtés dans des moments aussi intenses, sur le simple prétexte que l’on ne comprend pas leurs motivations, on pouvait s’efforcer de comprendre, et à défaut, de se taire ? Et si, au lieu de suivre avec paresse le flot d’immondices charié par les médias, on s’efforçait de produire une réflexion sans influences ?

Pourquoi se précipiter et se réfugier dans la facilité lorsqu’un acte « incompréhensible » surgit dans ce genre de moment ? Pourquoi tomber dans la dissociation que nous intime le pouvoir alors que nous pourrions profiter de ce genre d’événement pour discuter sérieusement de notre rapport à l’inconnu et à l’inattendu ? Les discussions qui ont abouties à l’écriture de ce texte sont aussi riches que tous les instants de vie que nous partageons dans la rue. Parce qu’elles s’attaquent à nos certitudes, à un moment où on pourrait croire que tout s’éclaircit. Lorsque les raisons de casser des banques et des agences immobilières nous semblent devenir consensuelles, il se trouve des choses qui nous permettent de creuser plus encore nos réflexions révolutionnaires. L’inattendu est pour moi ce qui rend la vie passionante, et c’est aussi ce qui fait si peur à ce pouvoir qui souhaiterait tout prévoir.

Saisissons-nous de ces inattendus pour affronter nos convictions et les faire évoluer, plutôt que de les balayer d’un revers de main pour les ramener à un triste connu. Et c’est ainsi que nous serons redoutables.

Nous n’avons pas peur de l’avenir, c’est leur avenir qui a peur de nous. Et il a bien raison.

Notes

[1lundi.am, mercredi 15 juin 2016 : « Au milieu de tout cela, quelques vitres de l’hôpital Necker ont été brisées. Bien que les vitres en question n’aient pas d’autre rôle que celui d’isolant thermique : j’en conviens grandement, ce n’est pas très malin. Certes, briser les vitres d’un hôpital, même par mégarde, c’est idiot [...]
Si les jeunes émeutiers qui ont cassé les vitres de Necker ont été idiots, [...] "

Paris-luttes.info, jeudi 16 juin 2016 : « [...] il y a eu la mauvaise blague de l’hôpital Necker... Une personne seule a étoilé une dizaine de ses vitres, sous le regard circonspect de pas mal d’autres manifestant-e-s, qui soit ne savaient pas qu’il s’agissait d’un hôpital, soit ne comprenaient pas pourquoi cette personne s’y attaquait (Je serais d’ailleurs curieux d’en connaître ses raisons) [...] »

Nantes Révoltées sur Indy Nantes, jeudi 16 juin 2016 : « [...] Visuellement, seule une longue baie vitrée grise longeant le boulevard s’offrait à la vue des manifestants - ce qui n’est pas le cas dans le sens inverse de la marche. Nul doute que les quelques égarés pavloviens venus casser du verre - une petite librairie juste à côté à subi le même sort que l’hôpital - n’ont même pas compris ce à quoi ils touchaient. [...] Si les enfants soignés dans cet hôpital ont été incommodés, c’est probablement plus par l’usage massif de l’arsenal policier que par des coups, aussi idiots soient-ils, sur la baie vitrée du bâtiment »

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  • 26 juin 2016

    Qu’on soit d’accord ou pas avec ce qui y est dit, je trouve interessant que ce texte sorte ; déjà parce que c’est interessant de rappeller ces trucs sur l’hopital et tout, et pour diversifier un peu les points de vues :).
    "@18juin" : Je ne voit pas en quoi ça pourrait saborder la lutte. Que stratégiquement on trouve ça stupide oké, mais si ça fait réf. à tout ce qui s’ensuit, les médias auraient trouvé autre chose et le Gouvernement un autre pretexte ; ce sont les choix éditoriaux et la stratégie gouvernementale le vrai pb. Au niveaux des autres manifestantEs je crois pas que ça ait changé bcp de chose en fait.
    Perso je pense qu’une fois qu’on a fait l’amalgame CGT=terrorisme=casseureuses on doit pas s’attendre à gd chose de mieux de la part des autorités et des journaflics...
    Mais peut-être que j’ai pas trop compris ce que tu disais :)
    "@19juin" : en même temps, on en parle(ait) tellement à ce moment que c’est normal que ça ressorte. Perso j’ai tendance a le considerer comme un non-évenement ou en tout cas faut remettre en perspective avec toute la masse de chose qui à l’air de s’être passé cette journée :)
    zoubi à touTEs.

  • 19 juin 2016

    C’est fou avec quelle facilité un non événement prend autant d’espace. Que ce soit pour dire que c’est de la merde ou que c’est bien...
    le vrai piège est de donner de la place à ce truc dans nos analyses.

  • 18 juin 2016

    Nan mais sérieux, c’est quoi cet article délirant lol ? Faut arrêter la fumette les gens, vous voudriez saborder la lutte que vous ne vous y prendriez pas autrement !


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