Grève de toutes à Barcelone

Ceci est une traduction d’un texte sur la grève de toutes, à Barcelone. Il n’est pas vraiment informatif de ce qui va se passer, mais plutôt une reflexion sur comment faire une "grève de toutes". La grève de toutes aura lieu le 19 mai à Barcelone.

Descuida [1]

Une kyrielle en réponse à la question : « et toi, tu ferais comment une grève ? » lancé par l’initiative féministe #Vaga de Totes (Grève de Toutes)

Si je pouvais, aujourd’hui je ferais une grève d’empathie. Grève de sourires gratuits. Grève de complaisance. Grève d’altruisme malsain. Je ferais une grève à la japonaise d’égoïsme. Pendant une journée, je ne penserais qu’à moi. Je n’écouterais pas qui je ne veux pas écouter. Je ne serais pas pédagogue, compréhensive. Je serais ferme, je dirais ce que je veux et ce que je ne veux pas. Oui, je dirais non, beaucoup. Et je sourirais moins. Je l’ai déjà dit ? Je le répète. Je sourirais moins. J’aurais une voix plus grave, je serais plus sobre, moins pétillante. Je ne serais pas aussi douce. Je ne demanderais ni autorisation, ni pardon.

Je ne me sentirais pas coupable. Je n’aurais pas peur de sentir que je suis insatiable dans l’affectif et une comédienne au boulot. Je ne penserais plus que j’ai trop étudié, que je n’ai pas assez étudié. Que j’ai perdu du temps. Que s’il ne me reste pas d’argent avant la fin du mois, c’est parce que j’ai mal fait. J’arrêterais de jongler pour continuer à travailler pour aussi peu. Je ferais des bons plans et j’arrêterais mon multitâching infernal. Je serais vaga [2] . Un peu froide. Je n’exploserais pas en sanglots quand j’écouterais ma mère dire qu’elle n’aime plus sa vie depuis qu’elle est devenue l’infirmière à temps complète de mon père. Et personne ne la remercie.

Je n’essayerais pas de faire de médiation entre mes parents. Ni entre mes frères et sœurs. Je ne sentirais pas que je dois les aider toujours plus, que je ne peux pas parce que je travaille trop, parce que je m’amuse trop, que j’en fais beaucoup, que j’en fais peu, que je me fais trop remarquer, ou pas assez, que j’étais désagréable ce jour là, que j’ai trop toléré, que j’ai trop été en demande, que je n’ai pas su dire non quand j’en avais envie. Je cesserais de penser toujours à l’autre. A comment iel se sentira si je casse ses espérances, si ce que je pense résonne comme une fausse note à ses oreilles. A la place, j’hausserais le ton. J’enverrais chier pas mal de personnes. Je n’aurais pas honte prendre la parole. Ou oui, j’aurais honte, mais ça ne m’empêcherait pas de continuer.

Je n’adorerais pas le père, le héros, le leader, le génie, le fort, le sage, l’intelligent, le puissant. Je serais puissante. Je couperais la parole à qui je croirais en abuser. Je ne consentirais pas que dans une réunion mixte quelqu’unE m’ignore ou évite mon regard parce que je suis une meuf. Je n’accepterais aucune blague machiste, qu’en importe son ironie. Et je ne m’inquiéterais plus du fait que mon discours soit trahi par la forme. Je m’exprimerais librement, sans mesurer, sans calculer si je semble ou pas trop sûre de moi, convaincante, expéditive. Je n’accepterais pas les « mignonne », les « ma belle » ou les « ma petite » des inconnus. Je n’encaisserais ni les regards dans la rue, ni les remarques sur mon corps, mes fringues, comme naturels. Je ne sourirais pas. Encore une fois. Je demanderais de l’aide avec aisance. Peut être que je donnerais même quelques ordres et j’en engueulerais quelques uns.

Je n’essayerais pas d’être dans le ton. J’essayerais de toutes mes forces de ne pas accéder à la demande silencieuse, naturalisée et complètement intériorisée d’être celle qui doit toujours être dans le care quand quelqu’un à besoin de soins, comme dans le cas des enfants ou des personnes âgées. Je ne me lèverais pas de table pour débarrasser pendant que mon père, mes frères ou mes amis ne se bougent pas. Je ne ferais pas de travaux reproductifs comme demander comment ça va, prendre soin de l’ambiance, apaiser les disputes, ou me préoccuper de la nourriture ou de la boisson dans des espaces et des temps de réunions collectives. Je mangerais le palmier au chocolat le plus grand de cette boulangerie, voire deux.

Je ne me questionnerais pas sur le fait de sentir trop de désir sexuel ou trop peu. J’écarterais bien les jambes dans le métro en poussant celui près de moi qui les écarte encore plus. Je ne m’inquiéterais pas un seul instant de ne pas savoir encore si j’aurais des enfants, si quand je voudrais les avoir, je pourrais en avoir, si si j’en ai, je le regretterais, et si je n’en ai pas, la même chose. A la place j’irais dans mon cabinet médical pour demander tous mes examens gynécologiques, toute l’information sur la reproduction médicalement assistée, tous mes droits. J’en profiterais pour demander les noms et dénoncer tous les gynécologues qui une fois m’ont fait me sentir mal à l’aise, sale, vicieuse, irresponsable, qui m’ont fait mal. Je laisserais pour un jour la rage de genre pour l’aplomb et la fermeté de mes « camarades » hommes. Qu’ils ont parce que ils ont plus de place dans tout l’espace public simplement par une inertie dont ils sont très souvent complices.

Je ne me sentirais pas coupable de ne pas avoir vu mes nièces pendant un mois, et qu’elle pensent que je ne les aime pas. Que je ne prend pas soin d’elles. Je me laisserais pousser la moustache. Et la barbe. Je ne laisserais pas qu’on entrave les envies que j’ai pour moi-même. Je ferais plus l’andouille, je ne regarderais pas autant autour de moi, je ne me mettrais pas au second plan. Je ne me dévaloriserais pas, je ne serais pas consensuelle avec l’autodestruction, je ne sentirais pas, même un jour, que si j’étais né mec tout m’aurait été plus facile. J’essayerais de me sentir plus sûre dans la rue, je ne taperais pas la discut avec un présumé violeur, comme continue à me le demander le ministère de l’intérieur.

Oui. Je mettrais des bâtons dans les roues, en général. Pour une journée, j’arrêterais d’engraisser le monde. Ah et je serais vaga. Encore une fois. Très vaga. Je ne serais pas appliquée, ni organisée, je ne laisserais pas de place aux exigences des autres aux prix de ma santé. J’irais me balader au parc avec unE quelqu’unE ou des quelqu’unEs très désiréEs sans sentir que je devrais être en train de faire autre chose, ailleurs : en étant utile, productive, dans l’aide et l’écoute. J’arrêterais de sentir l’auto-éxigence paralysante de ce que tout ce que je fais, même ce texte, doit être excellent et brillant, pour être apprécié et attirer l’attention. Vaga*, tellement vaga.

Et je me répèterais à moi-même, descuida : « N’y pense plus ! »

Le 19 mai, la deuxième grève de toutes à Barcelone ! Venez nombreuses !

Le manifeste en français

Notes

[1Descuida veut dire n’y pense plus mais littéralement ça veut aussi dire : « arrête d’en prendre soin. »

[2Vaga veut dire « fainéante » en castillan et « grève » en catalan.

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