L’Etat renforce son arsenal anti-terroriste : aperçu du projet de loi

Proposée début juillet en conseil des ministres par le ministre de l’Intérieur B. Cazeneuve, la nouvelle loi anti-terroriste sera votée mi-septembre à l’Assemblée Nationale. En attendant, le projet de loi nous donne un aperçu de ce qui est en fait un renforcement de l’arsenal juridique de l’État français, déjà conséquent, dans sa lutte frénétique contre le "terrorisme", qui n’a de définition que celle officielle du pouvoir. Au début de l’été le site Brèves du désordre en a résumé les points principaux.

Proposée début juillet en conseil des ministres par le ministre de l’Intérieur B. Cazeneuve, la nouvelle loi anti-terroriste sera votée mi-septembre à l’Assemblée Nationale. En attendant, le projet de loi nous donne un aperçu de ce qui est en fait un renforcement de l’arsenal juridique de l’État français, déjà conséquent, dans sa lutte frénétique contre le "terrorisme", qui n’a de définition que celle officielle du pouvoir. Au début de l’été le site Brèves du désordre en a résumé les points principaux.

"Non, [ce projet de loi] n’est pas liberticide. Non, nous n’entrons pas dans l’ère de Minority Report, ce fameux film de Spielberg où la société du futur a éradiqué le crime en se dotant d’un système de prévention, de détection et de répression le plus sophistiqué au monde..."
Sébastien Pietrasanta (PS), rapporteur du projet de loi, 22 juillet 2014

• Création de la notion d’« entreprise individuelle terroriste »

L’article 5 du projet de loi crée la notion d’« entreprise individuelle terroriste », qui auparavant n’était que collective (avec la notion d’"association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste", basée sur les intentions et utilisée officiellement comme une « neutralisation judiciaire préventive » selon l’ancien directeur de la DST).
Restera pour les enquêteurs à matérialiser l’intention d’un seul homme ou d’une seule femme, qui est définie par deux éléments matériels : "le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui" (la seule recherche suffit !) ET n’importe lequel des autres points suivants : avoir fait un repérage ("recueillir des renseignements relatifs à un lieu, à une ou plusieurs personnes ou à la surveillance de ces personnes"), avoir reçu un entraînement/une formation aux armes ou aux explosifs/engins incendiaires ou au pilotage d’aéronefs, consulter des sites internet qui provoquent ou font l’apologie du terrorisme ("Consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, sauf lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice").
Pour ce nouveau délit, le projet de loi prévoit jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende. Enfin, pour l’instant (on verra après passage au Parlement), il vise les atteintes aux humains ou aux biens (y compris les "dégradations") s’ils ont mis "en danger" des personnes ("destructions, dégradations ou détériorations par substances explosives ou incendiaires devant être réalisées dans des circonstances de temps ou de lieu susceptibles d’entraîner des atteintes à l’intégrité physique d’une ou plusieurs personnes").

• La pénalisation de l’"apologie du terrorisme"

L’"apologie du terrorisme" entrait jusqu’à présent dans le cadre de la loi sur la presse de 1881 (délai de prescription de l’action publique de trois ans, recours aux procédures de convocation par procès-verbal et de comparution immédiate exclus et aucune des règles procédurales applicables en matière terroriste applicable). C’est cela qui va changer.
Le projet de loi (article 4) sort donc de ce périmètre l’"apologie" et la "provocation" au "terrorisme", pour les inclure dans un nouvel article du code pénal en les soumettant au régime spécial des "infractions terroristes" et en accroissant les pouvoirs des enquêteurs travaillant sur ces dossiers. On notera que cette "apologie" ("le fait, par quelque moyen que ce soit, de provoquer directement à des actes de terrorisme") concerne tant l’espace public que privé (ça aussi c’est une nouveauté, car la loi de 1881 sur la presse réprimait uniquement par nature les "provocations publiques", et les seules "provocations privées" incriminées jusqu’à présent par le code pénal étaient trois exceptions : "provocation au suicide", "provocation de mineurs à l’usage de stupéfiants" et "provocation à s’armer contre l’autorité de l’Etat"). Enfin, on notera qu’internet constitue une circonstance aggravante : trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour la provocation non publique (comme dans un cercle privé -un débat non publicisé, un local en dehors des heures d’ouverture, etc.-, un réseau social, un forum fermé) ; cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour "la provocation publique" ou "l’apologie" (qui demeurera une infraction dont la commission exigera des propos publics) ou "la provocation non publique aggravée par la circonstance de la commission sur Internet" ; sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende pour "la provocation publique aggravée par la circonstance de la commission sur Internet" ou "l’apologie aggravée par la circonstance de la commission sur Internet".
• Le monopole des juges "antiterroristes" de Paris s’étend

L’article 7 étend la compétence de ces juges -parquet, instruction et de siège- (ce qui n’était pas le cas) "aux infractions commises en détention, aux délits d’évasion, aux délits de non-respect d’une assignation à résidence ainsi qu’aux délits de violation d’une interdiction administrative de sortie du territoire, dès lors que ces infractions sont commises par des personnes par ailleurs poursuivies, condamnées ou recherchées pour des actes de terrorisme" ("détenue, prévenue, condamnée, recherchée dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen ou réclamée dans le cadre d’une extradition pour des actes de terrorisme"). En conclusion, il suffit par exemple d’être simplement mis en examen pour "terrorisme", pour que tout délit ordinaire commis en prison, en matière de "poursuite, instruction et jugement" passe sous cette juridiction spéciale...

• Le blocage administratif des sites faisant l’"apologie du terrorisme"

L’article 6 du projet de loi prévoit que les sites incitant à commettre des actes "terroristes" ou en faisant l’apologie puissent être bloqués sans décision d’un juge. Une mesure qui s’inspire des dispositions prévues pour les sites "pédo-pornographiques". L’autorité administrative contactera d’abord l’éditeur, puis l’hébergeur s’ils sont identifiés, avant d’ordonner aux FAI le blocage si dans les 24 heures la demande de retrait reste sans effet.

• Création d’une interdiction administrative de sortie du territoire

Une des mesures (article 1) du projet de loi a pour objectif d’empêcher les départs d’individus de nationalité française qui manifesteraient l’envie de partir se battre ailleurs ("lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette : 1° Des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ; 2° Ou des déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français"). Cette mesure, désormais administrative (avec la possibilité d’utiliser le "secret défense" en cas de recours), était auparavant déjà possible, mais à titre restreint par un juge et dans le cadre d’une mise en examen.

Le ministère de l’intérieur pourra donc leur interdire la sortie du territoire par périodes allant jusqu’à 6 mois, périodes renouvelables à l’infini, avec retrait du passeport et de la carte d’identité (et délivrance d’un simple récépissé "valant justification de son identité"). L’ "intention terroriste" en dehors du sol contrôlé par l’État français justifie ici un dispositif qui se rapproche des contraintes appliquées jusqu’ici uniquement contre les étrangers ou aux condamnés (récépissé, interdictions de déplacement, obligation de séjour quelque part). Un site droitdelhommiste s’interrogeait récemment : comment prouver, avant même le départ, que la personne sera un danger au retour ? Comment contrôler le déplacement des ressortissants français à l’intérieur de l’espace Schengen ?

Et à l’inverse de cette mesure qui concerne les "citoyens français majeurs" en leur interdisant de partir, lorsqu’un "étranger" condamné pour "terrorisme" et "interdit de séjour" après sa peine n’est pas expulsable dans son pays d’origine (pour des raisons techniques ou parce qu’il risque la mort), l’article 2 du projet de loi rajoute à l’assignation administrative à résidence (souvent dans des villages isolés de montagne), des interdictions de contact "avec certaines personnes nommément désignées dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste" (on notera la notion de "comportement" pour rajouter à la peine de relégation administrative des interdictions de fréquentation, des fois qu’ils auraient des visites). De plus, ils pourront désormais être assignés dans des territoires d’outre-mer éloignés du Pacifique, comme les îles Wallis et Futuna, afin de les couper de tout lien avec la métropole (article 16).

• Bande organisée et piratage informatique

L’article 12 du projet de loi accentue la répression contre certains actes de piratage informatique en créant une circonstance aggravante, celle de la "bande organisée" (coucou les Anonymous !). Il porte alors la peine encourue à dix ans d’emprisonnement et à 1 million € d’amende. En l’état, cet article ne vise que les délits informatiques issus de la loi Godfrain ("accès ou maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, entrave à son fonctionnement et introduction, suppression ou modification frauduleuse de données"). Cette disposition s’ajoute à la liste d’infractions déjà prévues à l’article 323-3-1 du Code pénal, lequel incrimine le fait "d’importer, détenir, offrir, céder, mettre à disposition un outil permettant de commettre l’un de ces faits de piratage".

• Flics sous pseudonyme, perquisitions virtuelles et écoutes en prison

L’article 13 précise que pour rechercher les infractions liées aux "intentions terroristes", les services type DGSI peuvent utiliser les forums internet, mails, etc. pour entrer en contact avec les auteurs suspectés en utilisant de faux noms ("1° Participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques ; 2° Être en contact par le moyen mentionné au 1° avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ; 3° Extraire, transmettre en réponse à une demande expresse, acquérir ou conserver par ce même moyen les éléments de preuve et les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions, ainsi que des contenus illicites, dans des conditions fixées par décret. À peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions").

L’article 10 permet aux flics de s’insérer à distance dans les ordinateurs et autres systèmes numériques (comme les Cloud, smartphone et tablettes) pour stocker directement les infos chopées chez vous dans leurs locaux ("accéder par un système informatique implanté dans les locaux d’un service ou d’une unité de police ou de gendarmerie à des données intéressant l’enquête en cours et stockées dans un autre système informatique"). Cela concerne aussi tout ce qui est tapé sur clavier, s’affiche à l’écran ou les données type Skype "reçues et émises par des périphériques audiovisuels" (article 14). Si ces données sont cryptées ou chiffrées, ils peuvent sous peine d’amende de 3750 euros en cas de refus "requérir toute personne susceptible : 1° D’avoir connaissance des mesures appliquées pour protéger les données auxquelles il est permis d’accéder dans le cadre de la perquisition ; 2° De leur remettre les informations permettant d’accéder aux données mentionnées."

L’article 15bis introduit l’écoute permanente des téléphones portables (interdits) dans les prisons, sous l’égide de l’administration pénitentiaire. Ces interceptions permanentes par l’AP (officiellement uniquement les "données techniques" ou "données de connexion" et pas le contenu de la communication) seront sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui disposera d’un accès direct au dispositif de l’AP.

P.-S.

Qui sont les terroristes ? - affiche 2008 (Texte lisible entre autre sur le site de Non-Fides)

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