[La Grande Évasion] Introduction au débat sur les prisons

Dimanche 23 aura lieu, dans le cadre de la semaine anti-répression, une soirée débat sur notre rapport à la police. Nous avons pensé utile de partager quelques réflexions préliminaires en introduction de cette discussion.

Le but de la semaine anti-rep, en plus de récolter des fonds pour soutenir les personnes poursuivies pendant le mouvement et ne pas les laisser seul.e.s face à la répression, était aussi de partager à travers des ateliers pratiques, des conférences et des discussions des trucs, des techniques et des connaissances pour permettre à chacun.e d’être moins démuni.e face à la répression. La suite logique aurait été de faire un atelier sur la prison, et d’expliquer comment ça fonctionne, quels sont les recours possibles quand on est incarcéré.e, le quotidien en prison, comment faire quand on a un.e proche incarcéré.e (les mandats, les permis de visite, les colis, le courrier, etc...) De casser les préjugés véhiculés par les série télés, les reportages à sensations et les médias en
général.

« Brûler toute les prisons avec les matons au milieu »

Mais s’en tenir à ces quelques aspects de la question nous est apparu comme réducteur. Car s’organiser pour faire face à l’incarcération n’est pas lutter contre les prisons et l’enfermement. Toute personne qui a été déjà incarcérée ou qui a soutenu matériellement un.e proche incarcéré.e sait que les positions de principes résistent difficilement à l’arbitraire et à la rigidité de l’institution pénitentiaire et de la justice ; souvent, il n’est alors plus question de « brûler toute les prisons avec les matons au milieu ». Il faut faire face à l’urgence et assurer sa survie en prison pour la personne incarcérée, pour les soutiens il faut jongler entre les rdv avec l’avocat, les parloirs, les coups de fils au SPIP (Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation), trouver l’argent pour les mandats et les frais de justice. Et dans ce contexte il reste souvent peu de place, de marge de manoeuvre ou d’energie pour faire plus, et on se retrouve à jouer le jeu de la justice, à se plier aux contraintes de l’administration penitentiaire pour rendre le quotidien plus vivable pour la personne incarcérée.

S’il nous apparaît comme important de démystifier la prison et d’expliquer sont fonctionnement pour être moins perdu lorsque nos luttes nous amèneront a y faire face, il y a d’autres questions qu’il nous est apparu important de poser à cette illustre assemblée.

Nous partons du mouvement contre la loi travail. Dans ce contexte quelques milliers de personnes ont été arrêtées, quelques centaines poursuivies et quelques dizaines incarcérées, bien souvent pour faire des exemples et permettre aux magistrats de remplir leur quotat et donner l’image d’un Etat qui maintient l’ordre.

Les peines alternatives comme horizon

Mais l’incarcération n’est qu’un des aspects qu’a pris la répression pour s’immicer dans notre quotidien. Il a aussi été fait usage de « peines alternatives » ( interdiction de manifester, assignation à résidence, contrôle judiciaire, interdiction de territoire, prison avec sursis, mise a l’épreuve.) Nous aimerions questionner la manière dont s’articulent ces peines avec la prison, est-ce une manière de créer une prison sans murs, de faire de chacun son propre maton, estce un premier avertissement avant incarcération, une manière d’emprisonner a moindre coût ? La prison est elle la suite logique, le cran au dessus de la répression, ou simplement un épouvantail qui rend acceptable toutes ces peines en apparence moins lourdes ?

Si l’incarcération d’une personne est quelque chose de difficile à invisibiliser pour le pouvoir et de coûteux en terme de moyens, les peines alternatives n’en sont pas moins des peines avec des impacts bien réels dans le quotidien de ceux qui les subissent, et de par les restrictions de la liberté qu’elles génèrent sont comme une forme d’enfermement circonscrite à un ou plusieurs aspect du
quotidien. A fortiori dans ce contexte d’état d’urgence où le pouvoir, pour conserver des allures d’état de droit et faute de moyens se refuse à incarcérer massivement, mais n’hésite pas a distribuer ces peines alternatives sans jugement, sur des décision prises arbitrairement dans l’opacité de
l’administration.

Si s’organiser et se mettre en lutte contre la loi travail a semblé évident à pas mal de monde, force est de reconnaître que lutter contre la prison et l’enferment l’est moins pour une majorité de gens.

Nous ne voulions pas nous en tenir à la question de faire face à la prison sans remettre en cause son existence en tant qu’instrument du pouvoir pour gérer la population. Nous ne cherchons pas à nous organiser contre la prison seulement car le pouvoir enferme les gens qui luttent, dans ce cas quid des personnes incarcérées pour des motifs qui ne rentrent pas dans le cadre du mouvement
social ?

Pourquoi nous luttons contre la prison ?

Quand on regarde les statistiques sur les personnes incarcérées on peut constater que 80% des personnes le sont pour des infractions liées à la propriété privée ou aux stupéfiant. Comment ne pas voir ici le lien de causalité entre la misère morale et materielle dans laquelle évolue la majeure partie de la population, les inégalités sociales, la violence du pouvoir, les discriminations
et les actes qui conduisent les gens en prison ? Dans une société qui aura détruit le capitalisme et les diverses formes de domination, quelle sera encore l’utilité de la prison ?

Nous pensons que l’enferment est un des dispositifs qui permet à la domination capitaliste de se maintenir. Mais nous ne pouvons résumer la question de la lutte contre les prisons à ce constat. La question de savoir pourquoi nous luttons contre la prison pourrait apparaître comme purement philosophique au premier abord, et purement subsidiaire. Mais elle nous apparaît essentielle. Certains voudraient abolir la prison en justifiant le fait que l’enfermement est une forme de torture mais ne sont pas contre la peine de mort ou le système judiciaire, d’autre pensent que c’est parce que la prison est peu efficace pour redresser les gens et préfèrent d’autre peines « éducatives » ou moins coûteuses, en bon gestionnaires de nos existences.

Et il y a l’éternel argument du « qu’est-ce qu’on va faire des meurtriers et des violeurs, si on ne peut plus les enfermer ça va être le far-west, ect... »
Nous pensons qu’il y a un lien entre la punition tant comme mode d’éducation que comme gestion de l’ordre social, que la première fonction conditionne la reproduction de la seconde et la rend possible en dressant les individus. Et que dans ce cadre là, la prison est la forme concentrée et extrême de la manière dont le l’état et la société capitaliste entravent la liberté de tout.e un.e chacun.e au quotidien.

Comment se passer des prisons ?

Au delà de ces questions, nous somme confronté.e.s à des conflits et des agressions au quotidien dans nos entourages, et si nous ne voulons pas faire appel aux médiations de l’état, il nous faut nous poser la question de comment y faire face sans reproduire ou participer au système que l’on veut
abattre.

Comment gérer un conflit ou une agression, comment poser des limites, même si l’on ne veut pas punir, comment marquer le coup et enrayer la reproduction de ces comportements ? Comment réagir à une agression sans rentrer dans une logique de punition tout en évitant de ne rien faire et de laisser passer ce genre de comportements oppressifs et violents comme si de rien n’était et de ce fait s’en rendre complices. Un tiers extérieur estil plus objectif pour juger d’une situation, ou au contraire des personnes proches qui connaissent les gens ? Qui décide de la réaction à avoir ? Comment faire pour régler une situation de manière juste quand quelqu’un a subi un préjudice irréparable ? Voici quelques questions qu’il nous apparaît important de poser non de manière abstraite, mais au contraire de manière pratique si nous voulons prendre en main nous-même nos
existences.

Enfin un dernier axe. Malgré le fait que la prison soit le lieu d’un contrôle accru, c’est aussi un lieu qui est traversé par des luttes et des rapports de forces. Et il aurait été dommage d’aborder la question des prisons sans mettre en lumière cet aspect.

Premièrement car la prison est un espace caché, pour que l’on puisse y soumettre les individus par les moyens les plus violents, et que mettre en lumière ces résistances c’est déjà attaquer la prison et l’arbitraire qui s’y exerce.

Parce que les gens qui luttent en prison payent souvent le prix fort (isolement, tabassages, transferts incessants, privations diverses, …) et que malgré cela les révoltes individuelles comme collectives sont nombreuses. Mutineries, grèves de la faim, refus de plateau repas ou de remonter en cellule après la promenade, agressions de surveillant.e.s, ou évasion sont des moyens de lutte courant aux implications diverses pour les prisonnier.e.s.

Deuxièmement parce que les motivations des prisonnier.e.s qui luttent souvent pour améliorer leur quotidien et faire respecter leurs droits ne sont pas forcément accordée à celles de celleux qui veulent détruire toutes les prisons. Que les soutiens de la part de citoyen.ne.s qui veulent rendre les prisons plus humaines sont nombreux, mais qu’entre rendre les prisons plus humaines et en finir avec l’enfermement il y a un gouffre. Mais qu’il apparaît inconcevable de lutter contre la prisons sans apporter notre soutient et tenir compte des vues et des expériences des premières personnes concernées ; les personnes incarcérées.

Comment tisser des liens entre dedans et dehors, comment faire résonner nos différentes luttes, quelle convergence ou divergence d’intérêts ? Comment rendre ces contradictions fructueuses en termes de luttes ?

Voilà un aperçu des diverses questions qui nous sont venues lorsque que nous avons pensé ce débat, peut-être qu’elles recoupent les vôtres, si vous avez des choses à dires, des expériences à partager des questions qui vous viennent, s’il y a un truc essentiel que nous aurions oublié et dont vous aimeriez faire part à l’assemblée ici présente, la parole est ouverte.

Le débat aura lieu le dimanche 23 octobre au Hangar de la Cépière (8 rue de Bagnolet) à partir de 15h.

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