[Latelec] Du néo-colonialisme, face à la révolte ouvrière tunisienne

Alors qu’un sous traitant tunisien d’Airbus mène une lutte d’ampleur depuis des mois, les syndicats français d’Airbus (CFDT, CFTC et CGC) commence à être "sérieusement agacé" (tract en pièce jointe). Petit rappel des faits pour leur rappeler que ce qui prime c’est la lutte des travailleurs et travailleuses pas l’image de marque du patron.

Publié le lundi 14 juillet 2014 sur le cite de la CNT qui fait circuler également le tract ci-joint...

Les tunisiennes : une main d’œuvre bon marché pour le capitalisme aéronautique français

La société Latelec, filiale de Latécoère, fabrique des câblages aéronautiques pour les grandes multinationales françaises du secteur : Airbus, Dassault, SNECMA. En 1998, Latelec s’installe en Tunisie, dans la zone industrielle de Charguia, dans la banlieue de Tunis. En 2006, au sein de la zone industrielle d’El Mghira, non loin de la ville de Fouchana et du gouvernorat de Ben Arous, à quelques kilomètres au sud de Tunis, Latelec ouvre une deuxième usine. C’est dans cette dernière qu’une lutte d’ouvrières tunisiennes débute au début de l’année 2011, dans le souffle de la révolution partie des régions intérieures marginalisées – insurrection de Redeyef en 2008, et soulèvement du gouvernorat de Sidi Bou Zid qui s’étend à tout le pays en décembre 2010 et janvier 2011.

230 ouvriers travaillent à l’usine Latelec de Fouchana, 90% sont des femmes. Elles réclament des salaires dignes, le paiement des heures supplémentaires, des congés qui leur sont refusés, et la fin des insultes et du harcèlement sexuel qu’elles subissent de la part des cadres locaux et dirigeants français.

Sonia Jebali, une des grévistes de la faim :

Le salaire n’est pas seulement trop bas, les conditions de travail sont terribles, nous subissons des insultes, du harcèlement sexuel, des abus envers le code du travail et la loi tunisienne. Ils ne respectent même pas le code du travail, il y a beaucoup d’heures sup’ et nous n’avons pas le droit de dire non. Nous risquons le licenciement, des sanctions, des jours de mise à pied. Les heures sup’ sont normalement encadrées par la loi, c’est à dire que la loi permet à la société de dégager des heures supplémentaires, 20 heures par mois par employé. Mais nous travaillons 60 à 70 heures par semaines, nous travaillons 3 à 4 heures de plus par jour et nous revenons pour travailler le week-end.

En mars 2011, elles créent une section syndicale UGTT, syndicat « de base » dynamique, et indépendant de la bureaucratie syndicale tant régionale que nationale, afin de satisfaire leurs revendications, mènent plusieurs grèves, et arrivent à gagner sur différents points grâce à la lutte, notamment le paiement des heures supplémentaires et par conséquent l’embauche de nombreuses salariées. Mais la question de l’établissement d’une grille de salaire correspondant au travail effectué a été le combat le plus dur. Jusqu’à aujourd’hui, la direction française de Latelec ne se contente pas de repousser d’un revers de la main leurs demandes, elle réprime violemment ces ouvrières tunisiennes qui ont osé hausser le ton. Après les promesses mensongères qu’elles surent déjouer, suivirent les menaces de morts, les passages à tabac dans l’usine, les propositions de corruption au bureau de la section syndicale de Fouchana (comme cela a certainement pu être fait dans l’autre site Latelec pour y maintenir le silence), et finalement le licenciement en avril 2013. Les déléguées syndicales sont licenciées, mais aussi des membres de la « ceinture syndicale », c’est à dire les plus actives et politisées, dix ouvrières au total. Quant aux ouvrières encore en poste, elles ne touchent toujours pas plus de 120 euros par mois (un peu plus de 240 dinars), et sont de nouveau contraintes de réaliser de nombreuses heures supplémentaires non payées sous la pression d’une direction qui a réussi à « virer » les « éléments subversifs ».

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Des ouvrières syndiquées qui dégradent « l’image de marque » d’Airbus

Pendant une longue année, les ouvrières licenciées ne renoncent pas à leurs droits, certaines d’entre elles partent en France pour tenter de trouver du soutien chez les syndicats, notamment à Toulouse, où se trouve le siège de Latécoère. La mobilisation continue en Tunisie, où plusieurs manifestations sont organisées devant l’ambassade de France. Ce qui vaudra à Airbus de porter plainte contre ces femmes, déjà licenciées, pour atteinte à son « image de marque ». Mères de famille, certaines reçoivent aussi des plaintes des banques, dont elles ne peuvent plus rembourser les crédits. Début mai 2014, cinq des ouvrières licenciées sont réintégrées, mais pas les autres, et surtout pas les déléguées, sans lesquelles le syndicat ne peut plus exister légalement.

Le 19 juin, les deux déléguées débutent donc leur grève de la faim dans les locaux de l’inspection du travail à Tunis, avant d’en être délogées par la police. Elles se replient dans les locaux de l’UGET (union générale des étudiants tunisiens). Alors que l’union régionale UGTT de Ben Arous, à laquelle est reliée l’usine de Fouchana, appelle à la grève les 16 et 17 juillet, sous la pression des ouvrières, la direction régionale et nationale de l’UGTT fait durer un silence embarrassant, alors que le gouvernement tunisien ignore purement et simplement ces tunisiennes qui font face toutes seules aux patrons français.

Monia Dridi, une des déléguées syndicales licenciées envoie dès octobre 2013 son message à l’Élysée :

L’État français, François Hollande, a une responsabilité directe dans la situation. L’État est actionnaire d’Airbus dont Latécoère est sous-traitant. Lorsque Hollande vient en Tunisie pour parler des droits de l’homme, qu’il commence par s’occuper de nous. Nous voulons des actes pas des paroles, pour voir si la France respecte les ouvriers en Tunisie.

Elie Octave et Julie C.

P.-S.

Retour sur cette lutte avec un membre du comité toulousain de soutien aux luttes du peuple tunisien (CSLPT) et militant du Front Populaire Tunisien et d’autres liens audios sur le site de Canal Sud
Un entretien avec Sonia et Mounia sur le site de la CNT. à la suite de l’article reproduit ici.

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