Lettre ouverte d’ancien.ne.s salarié.e.s du dispositif "on s’aime à deux, on se protège à deux"

Ceci est une lettre ouverte adressée à la Région Midi-Pyrénées et à La Mutuelle Des Etudiants (LMDE) de la part d’ancien.ne.s salarié.e.s du dispositif "On s’aime à deux, on se protège à deux".

A Toulouse le Lundi 7 décembre 2015

Mesdames, Messieurs,

Ancien.ne.s salarié.e.s de la LMDE (La Mutuelle Des Étudiants) dans le cadre du dispositif « On s’aime à deux, on se protège à deux », nous voudrions vous faire part de nos observations et de nos questions quant à nos conditions de travail et au dispositif.
Ces séances de préventions et d’information sur la contraception et l’égalité filles-garçons adressées au lycéen.ne.s et apprenti.e.s de tout Midi-Pyrénées sont financées par la Région. En effet, celle-ci avait appelé à un marché public, que la LMDE a remporté (alors que Michael Parpillat, responsable de la LMDE pour le secteur de Midi-Pyrénées, vit en concubinage avec Nadia Pellefigue, chargée de l’égalité hommes/femmes à la Région, vice-présidente du Conseil Régional, et initiatrice du marché public).
Alors que le Conseil Régional, sous mandat socialiste, affirme son engagement en faveur de l’égalité femmes/hommes comme une ambition forte, force est pour nous de constater que la réalité de sa mise en pratique laisse à désirer.

A propos de nos conditions de travail :

Employé.e.s par la LMDE, pour certain.e.s depuis 2013 et pour d’autres depuis la rentrée 2014-2015, nous avons tout.e.s suivi une formation de trois jours dans les locaux de la Région en vue d’intégrer ce dispositif. Suite à celle-ci, nous avons d’abord observé, au cours d’une première séance, un.e intervenant.e de l’année passée afin de « compléter » ladite formation.

Nous étions employé.e.s en CDD successifs, donc très précaires. La LMDE justifiait ce type de contrats par une demande fluctuante des établissements (lycées et CFA) de la région. Pour autant, un CDI ou même un CDD sur l’année scolaire ne nous semble pas irréaliste. Bien que cela n’ait pas été le choix de la LMDE, elle n’est cependant pas exemptée de respecter le droit du travail (les rédaction et signature des contrats étaient effectuées systématiquement après que les missions aient été effectuées).

De plus, la répartition des missions et donc le nombre de contrats était plus qu’aléatoire. Certain.e.s d’entre nous n’ont pas vu leurs contrats reconduits après une seule ou quelques missions, sans jamais recevoir de nouvelles de notre employeur. D’autres ont dû sans cesse réclamer d’être intégré.e.s au planning au risque de voir les semaines défiler sans prise de contact de nos supérieur.e.s. D’autres enfin sont même restées sans nouvelles de nos chefs pendant des semaines, voir des mois, avant d’être remercié lâchement pour le travail effectué, sans raison ni explication.
Pourquoi embaucher vingt personnes (dont certaines qui ont renoncé à d’autres engagements pour ce poste), et n’en faire travailler qu’un petit nombre, sur une base majoritairement affinitaire ?

Certain.e.s d’entre nous étaient plus qualifiées que d’autres pour mener des interventions de prévention, de par leurs expériences ou leurs qualifications. Du fait d’une attribution des heures par copinage, ce ne sont pas celles et ceux qui étaient les plus qualifié.e.s qui ont obtenu le plus de contrats. En effet, nous avons remarqué d’étranges coïncidences entre l’appartenance passée ou présente au syndicat étudiant l’UNEF (Union Nationale des Étudiants de France) et l’attribution d’heures de travail, alors que la Région véhicule l’idée selon laquelle nulle affiliation politique ne rentre en compte dans ses recrutements.
Pourquoi recruter des étudiant.e.s non qualifié.e.s pour mener des actions auprès des jeunes alors qu’il existe des personnes formées pour ce métier (Conseillèr.e Conjugal.e et Familial.e, notamment), au risque de dévaloriser ces savoir-faire ?

Des bases fondamentales pour effectuer des interventions en milieu scolaire, comme le principe de non-jugement ont fait cruellement défaut à certain.e.s intervenant.e.s et donc à certaines interventions. Le dispositif, annoncé comme ambitieux par sa présence sur l’ensemble de la très grande Région Midi-Pyrénées, est en fait peu adapté à l’ampleur des différences entre les lycéen.e.s et apprenti.e.s qui effectuent leurs parcours scolaires au sein des différentes classes et structures de l’Education Nationale.
Une formation de trois jours est très insuffisante pour adopter des pratiques respectueuses des élèves et une capacité d’adaptation aux différents publics, ainsi que pour ne pas se retrouver à transmettre des informations erronées qui peuvent avoir des conséquences en matière de santé des adolescent.e.s et jeunes adultes dont nous sommes les interlocuteur.rice.s.

Lors des premières séances, certain.e.s d’entre nous se sont donc retrouvé.e.s à être formé.e.s par des ancien.ne.s intervenant.e.s qui, par manque de formation, répandaient de fausses informations, parfois même grossières (pour n’en citer qu’une : « le stérilet est posé dans le vagin des femmes »). Il nous était ensuite demandé de dénoncer nos collègues auprès de nos supérieur.e.s.

Si encore, ce manque de formation était pallié par des réunions d’équipe, des temps d’analyse de pratiques, des moments d’échanges entre intervenant.e.s, mais nous n’avons rien eu de tout ça. L’absence de ces temps nécessaires est-elle le fait d’une enveloppe budgétaire trop maigre allouée à ce dispositif, un manque d’organisation de notre employeur (la LMDE), ou tient-elle plus largement à une précarisation et dévaluation des travaux de prévention et d’interventions en milieux scolaire, majoritairement assurés par des femmes ? Tout cela en travaillant pour un dispositif public d’égalité filles-garçons, l’ironie est cinglante.

A défaut, nos employeurs préféraient user de stigmatisations en pensant que tel.les intervenant.e.s (les plus qualifiées) « aimaient » les classes dites « à problème » ou bien les instituts spécialisés, plutôt que d’admettre que l’animation de prévention est un métier et exige une formation. Sans ces compétences, il est aisé de tomber dans des propos stigmatisants et discriminants alors qu’il s’agit bien là d’incapacité à s’adapter à un public.
Sans compter les idées reçues véhiculées au sein du dispositif : les établissements de « quartiers » et les CFA « du fin fond de l’Aveyron » seraient les plus homophobes (comme si les établissements de centre-ville ne l’étaient pas).

A ces carences s’ajoutent le non paiement de temps de travail qui mériteraient d’être revalorisés. En effet, nous n’étions payé.e.s que pour les heures d’interventions en salles de classe. Quid du temps passer à rencontrer et échanger avec le personnel scolaire, à partager nos remarques et recommandations à l’équipe éducative, et les pauses déjeuner de trois heures (ou plus) alors que nous étions en déplacement quelques fois à une centaine de kilomètres de notre domicile ? Quid également du temps de préparation personnel des interventions, quand par manque de communication l’établissement s’attend à une séance sur le VIH ou les IST ? Quid enfin du temps de préparation toujours, lorsque le dispositif n’est pas applicable à certains jeunes (difficultés scolaires, personnes en situation de handicap, épileptiques...)

En ce qui concerne le dispositif :

Notre critique va au delà du titre du dispositif, que nous trouvons naïf et caricatural. En effet, à trop vouloir imiter le « parlé jeune », on comprend le faussé entre les dirigeant.e.s du dispositif et les jeunes rencontré.e.s sur le terrain. C’est donc avec humour que nous pouvions commencer nos interventions en disant « si on ne s’aime pas, on peut quand même se protéger, et si on s’aime à trois aussi », quand ce n’étaient pas les élèves eux-mêmes qui ironisaient autour de ça.

Nous sommes également convaincu.e.s de la nécessité de proposer plusieurs séances pour chaque classe, au lieu d’une unique séance de deux heures (à peine au vue des horaires de cours). Les questions relatives à la notion de consentement, aux IST, au corps notamment, méritent d’être largement approfondies.
La rareté et la forte attente des élèves pour ces interventions soulèvent parfois des questions importantes. Comment se retrouver seul.e face à une classe dans laquelle un.e élève fait son coming out alors que la majorité de ses camarades vient d’exprimer des propos homophobes (pour ne prendre que cet exemple) ? Nous croyons donc aussi qu’il serait nécessaire de permettre l’animation de ces séances par deux intervenant.e.s au lieu d’un.e seule.

Par ailleurs, nous le répétons, l’économie de ce dispositif (pensé pour une « majorité ») ne permet pas de prendre en compte la diversité des élèves, qui peuvent aisément se sentir exclus du rare moment que leur offre l’école pour parler de sujets aussi intimes que la sexualité ou les relations affectives. La première partie de la séance, axée uniquement sur la contraception en mettant complètement de côté la prévention des IST (Infections Sexuellement Transmissibles), laisse de côté tou.t.e.s les élèves qui se savent non hétérosexuel.le.s et tou.t.e.s celles et ceux qui n’ont pas encore de sexualité active. De plus, il paraît inadmissible, dans une séance de prévention contraception/égalité filles-garçons, de ne pas pouvoir parler de la question de l’IVG. Nos supérieur.e.s nous donnant l’ordre de l’aborder SEULEMENT SI une ou un élève nous posait des questions. Il va de soit que IVG et IST n’avaient que peu de place durant la formation de trois jours que nous avons suivie. Pour nous, cela est révélateur de l’intérêt porté par les différents protagonistes de ce dispositif à faire de la quantité (objectif à mille établissements pour l’année 2014-2015) mais certainement pas de la qualité.

Nous croyons aussi que la parole des élèves serait libérée si l’Education Nationale n’imposait pas la présence dans la séance de l’infirmier.ère scolaire ou d’un.e professeur.e. qui mériteraient, par ailleurs, d’être également mieux formé.e.s sur ces questions. Il apparaît sans conteste que les élèves, pour la plupart, ne se comportent pas du tout de la même manière lorsque qu’un.e représentant.e de leur établissement est présent.e ou non dans la classe. Sans parler des personnels qui interviennent, pour certains, comme bon leur semble au milieu de nos interventions. Si toutefois, ce dispositif avait été pensé en collaboration avec les équipes pédagogiques et infirmièr.e.s scolaires, nous ne nous serions pas retrouvé.e.s dans des situations délicates, dont tou.te.s avons pâti (les élèves, les professeur.e.s, les infirmièr.e.s, et nous, intervenantes).

Au niveau des outils proposés par le dispositif, l’absence d’une illustration des organes génitaux féminins externes (nous n’avions à notre disposition qu’un schéma du système reproductif, c’est-à-dire interne), participe à la perpétuation de la méconnaissance des filles de leur propre corps et de la possibilité de prise en main de leur sexualité, et plus largement à un retour vers l’association restrictive sexualité=reproduction.
Concernant également la deuxième partie de séance, relative à l’égalité filles-garçons et à une discussion autour des discriminations et idées reçues, là encore, les outils sont critiquables. Fort du jeu de la ligne ou débat mouvant, un classique de l’éducation populaire, la séance est néanmoins dévaluée par le « photo langage ». Idée originale et intéressante, où les élèves sont invités à réagir aux images que nous leur montrons. Seulement voilà, certaines nous semblent particulièrement mal choisies. Pour exemple, une publicité pour la marque de préservatifs externe XL Durex montrant la bouche d’une femme avec deux pansements aux bords des lèvres. Ce qu’on devrait comprendre ici, et discuter avec les élèves, c’est donc que le pénis de son partenaire est tellement gros, que sa bouche ne le contient pas, et encore on pourrait aller plus loin et imaginer que les lèvres (seule partie visible de cette femme) nous disent bien des choses de ce qui pourrait se passer au niveau génital. Alors, il ne faut pas parler de pénétration anale, de cunnilingus, de levrette ou d’éjaculation faciale, alors qu’on devrait sans cas de conscience montrer cette image, et faire comprendre aux filles que « ça va faire mal, mais souriez ». Permettez-nous de douter encore une fois de la qualité de ce dispositif.

Le manque de budget, lui encore, ne nous permettait pas de distribuer du matériel de prévention à chaque élève (nous avions parfois un préservatif pour trois élèves !), quand nous ne doutions pas même de la qualité du matériel distribué. En effet, les préservatifs distribués étaient de la marque Jacket, ceux la même qui ont fait polémique l’an passé car réputés pour craquer...

Enfin, nous voudrions connaître les raisons pour lesquelles aucun.e de nous n’a été ré-embauché.e à la rentrée 2015-2016, quel est le profil des nouvelles et nouveaux recruté.e.s et pourquoi aucun de nos e-mails à ce sujet n’a trouvé, jusqu’ici, de réponse ?
Bien que, pour nous, « on s’aime à deux, on se protège à deux » soit un échec sur de nombreux points, nous sommes convaincu.e.s que les séances de prévention sont indispensables dans les établissements scolaires (comme ailleurs). Cependant, nous croyons qu’une Région qui se vante des mesures prises vers l’égalité femmes-hommes, ne peut pas faire l’économie d’entendre et de prendre en compte les avis et conditions des actrices et acteurs de terrain.

Des ancien.ne.s salarié.e.s.

P.-S.

Lettre ouverte à faire tourner un maximum à vos contacts...

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