Ne dis jamais : jamais jamais

Jeudi soir, une poignée d’expert.e.s est venue, parfois de loin, porter la parole de l’évangile à la Chapelle dans le cadre de la semaine anti-répression. L’idée était simple : « Tu ne parleras point en garde à vue. » Voilà le premier des dix commandements à respecter pour avoir une chance de monter un jour au paradis des totos. Pas sûr en revanche qur ça nous évite la case prison ! Mais qui cela inquiète, sinon les calculateur.euses et les peureux.ses ?

Après la diffusion d’un film au titre particulièrement nuancé (« N’avoue jamais, jamais, jamais »), présenté par un collectif francilien, des militants (non, l’absence de féminisation n’est pas accidentelle) dont on ne peut que douter de la capacité à se taire au vu de leurs interminables monologues, nous ont fait part de leur hauteur de vue. Et attention, c’est vertigineux !

Résumons brièvement : la garde à vue n’est jamais le lieu pour se défendre, il faut toujours y garder le silence. A l’appui de cette théorie, à laquelle d’ailleurs tout le monde était plus ou moins prêt.e à souscrire aussi longtemps que ça ne devenait pas un dogme étriqué : de longs discours bien testostéronés à base de « j’ai tenu ! » et d’impressionnantes histoires de juges d’instruction qui finissaient toujours par des victoires héroïques. Le déballage était si grand et la fierté si peu contenue que l’on pouvait légitimement se demander si une cérémonie de remise de médailles était prévue en fin de soirée.

C’est après une interminable heure d’un tel cours magistral qu’une ou deux voix discordantes ont modestement voulu faire part de leur expérience personnelle, qui avait le tort de ne pas tout à fait coller aux beaux discours qu’on leur servait. Iels apprirent fissa, et à leurs dépens, que de « débat », la soirée n’en avait que le nom.

Bac + 15 en militantisme

D’abord en se heurtant à un mur de condescendance bien cimenté. « Bon, tu crois t’en être mieux sorti en parlant. Quelle naïveté ! » Bref, pardonnez les simples d’esprit. Ce discours a été assez loin pour que la voix discordante en question ait besoin de rappeler qu’elle était présente à son procès, et que par conséquent elle n’était pas la plus mal placée pour en parler... Ce qui a eu le don d’agacer une professionnelle [1] : « C’est marrant ces gens qui savent ce qu’ils auraient pris s’ils avaient gardé la silence ! Tu as parlé donc tu ne peux pas savoir ! » Argument dont la vacuité ne peut qu’étonner tant il fonctionne aussi bien à l’envers, et devrait donc interdire à tout esprit honnête d’énoncer des règles définitives dans un sens comme dans l’autre.

Mais pourquoi s’interdire ? Figurez-vous que l’enjeu d’une garde à vue ou d’une mise en examen n’est pas d’en sortir le plus vite et par la meilleure porte (libre, ou avec un rappel à la loi par exemple.) Tout ça est secondaire. Le but d’une gardav, c’est de faire de la politique !

Eh ouais. Le monde militant est divisé en deux : d’un côté celles et ceux qui font de la politique jusque dans le sous-sol du commissariat central. De l’autre celles et ceux dont le penchant égoïste à la liberté annihile toute participation à l’action collective, et dont l’engagement reste, littéralement, en surface. Le décor est planté !

Les bad ass de la politique

Car parler – l’ombre de la poukave n’est jamais loin – c’est d’abord mettre en danger les copains copines avec qui on est gardé.e.s à vue. Peu importe si vous êtes seul.e, si vous prenez toutes les précautions du monde, etc, etc. Parler, c’est balancer. Point. Ne nous compliquons pas la vie avec des cas particuliers, des histoires singulières, et autres prétextes à la poukaverie.

Garder le silence, en revanche, ça c’est bad ass. C’est faire partie du cheptel. Le plus bad ass étant bien entendu de faire un bref séjour en maison d’arrêt : on en a vu sortir en marchant dix centimètres au-dessus du sol ! (Celleux qui y sont resté.e.s plus longtemps ne marchaient plus.) Les experts de jeudi soir étaient de ceux qui se taisaient, et tout juste pardonnaient-ils leur couardise à celleux qui avaient parlé. Ouf !

Tout est question de perspectives...

Mais revenons-en à la politique. Il paraîtrait que garder le silence, c’est « bloquer la justice ». S’agit-il d’un vrai argument ou d’une stratégie diabolique pour démasquer les RG dans la salle en provoquant chez eux une irrépressible envie de rire ? On a un doute. Nous, la poignée de militant.e.s bien avisé.e.s et bien briefé.e.s (quel pourcentage de l’activité judiciaire représentons-nous ?), on va mettre des bâtons dans les roues de la machine pénale en ne lui donnant pas les aveux qu’elle nous demande ? Gageons que le Garde des Sceaux n’en dort plus la nuit, lui et ses 8 pauvres milliards d’euros de budget annuel.

Il est dit aussi qu’une fois la consigne bien intégrée, plus personne ne parlera en garde à vue. Garder le silence n’exposera donc plus à des représailles, puisque ce sera devenu la norme. En termes de calendrier, manque de bol, ça devrait pas arriver avant que les poules aient des dents. En attendant...

On a entendu lors de ce « débat » des choses qui prêteraient à sourire si elles n’étaient pas proprement terrifiantes. « Quand on fait de la politique, il faut voir loin. Les résultats ne s’obtiennent pas immédiatement. Il faut parfois accepter de faire 48h, de faire de la préventive, de se faire déférer, le principal étant de porter une stratégie collective ! » La politique du martyr serait-elle en marche ? Si oui, à quel moment de la procédure doit-on s’écrier « Dieu est grand  » ? Il faudra penser à le préciser quelque part dans les consignes !

Autonomie, vous avez dit autonomie ?

L’objet de ce texte n’est sûrement pas de proférer des consignes inverses : parler en garde à vue reste, de manière générale, le meilleur moyen de saboter sa propre défense et de mettre des camarades dans l’embarras. Aussi existe-t-il sans doute des raisons d’être moins défaitiste en termes de perspectives ; paraît-il que dans d’autres villes (Rennes par exemple) la pratique se diffuse bel et bien et aurait donné du fil à retordre aux magistrat.e.s et autres OPJ. Nous ne referons pas le débat ici.

Il s’agit simplement de redonner un minimum de sens au mot « autonomie » (= qui se donne ses propres règles), dont certain.e.s se réclament sans voir qu’iels sont assis.e.s dessus de tout leur poids.

Qu’est-ce que ne peut pas être une défense collective ?

Une défense collective, ce n’est sûrement pas un politburo qui distribue des directives et qui lève le ton, quitte à devenir menaçant physiquement (!!) [2], dès lors que quelqu’un.e ose les discuter.

Une défense collective, ce n’est définitivement pas produire une nouvelle norme qui coince salement l’inculpé.e entre deux injonctions contraires ; celle de la flicaille qui pousse à parler et celle du milieu qui ordonne de se taire, rendant encore plus éprouvante qu’elle ne l’est déjà l’expérience de la garde à vue, et surtout niant et entravant l’intelligence que peut avoir un individu de sa propre situation.

Une défense collective, ce n’est certainement pas recréer un système de valeurs dans lequel certain.e.s sortent la tête haute de leur garde à vue et d’autres en baissant les yeux.

Mais une défense collective, ce n’est sûrement pas non plus chacun.e dans son coin, pris.e.s dans ses petites affaires individuelles.

Qu’est-ce que peut être une défense collective ?

Une défense collective, c’est plutôt la construction, pierre par pierre, d’une intelligence commune de la justice et de la police. Le diffusion d’une connaissance partagée de ses pièges et de ses turpitudes.

C’est faire savoir, le plus largement possible, que se taire en garde à vue est un droit, que c’est souvent le meilleur des choix, que ce qu’on peut y dire est largement retenu contre l’inculpé.e ou contre ses camarades. C’est désamorcer par avance les pressions des flics en démêlant le vrai du faux de leurs habituelles menaces, en se préparant ensemble à leur chantage.

Une défense collective, c’est aussi être honnête sur les risques qu’il y a à garder le silence. C’est reconnaître les représailles (légales ou pas, là n’est pas la question [3]) que ça peut entraîner. C’est laisser le droit de peser le pour et le contre.

Une défense collective, c’est se préparer à l’éventualité, impossible à exclure, de parler en garde à vue, apprendre à en éviter les écueils et les risques pour soi et pour les autres, plutôt que d’en faire un tabou honteux et ridicule.

Une défense collective, plus que des discours virilistes et sourds, ce sont des pratiques qui mettent l’écoute et la bienveillance au centre, comme le fait la CAJ [4] quand elle prend le temps de préparer les procès avec les inculpé.e.s sans leur dicter leur ligne de défense.

Mais une défense collective, c’est surtout regarder en face notre impuissance à prédire les effets des choix que l’on fait, et en déduire, modestement, qu’il n’existe pas une façon systématiquement meilleure qu’une autre de s’en sortir.

N’en déplaise aux idéologues qui s’ennivrent de leurs propres discours, la justice n’est faite que de « cas ». Certain.e.s, en garde à vue, ne résistent pas au stress, aux coups de pression, à l’isolement et à la peur. Certain.e.s ont un travail, des enfants à prendre en charge, des parents à rassurer, bref, autre chose à faire que de tenter, avec des résultats plus qu’incertains, de « bloquer la justice. » Pour d’autres, rien de tout cela : iels ont pensé tout simplement qu’à ce moment là, dans ces circonstances là, parler était la meilleure stratégie, sinon la moins pire.

Parfois l’avenir leur donne raison.

Parfois pas.

Mais dans un cas comme dans l’autre : iels n’ont pas besoin d’être jugé.e.s une deuxième fois.

P.-S.

Il semblerait que nos docteurs ès radicalité et leurs comportements autoritaires commencent à se faire une petite notorité... Lire ici :

Il y a suffisament de violence et de répression de la part de l’état et ses sbires, on n’a pas besoin de ce genre de comportements dignes de mafiosos qui pensent pouvoir terroriser le milieu en s’imposant par une force viriliste qu’on voudrait bien voir loin, très loin, de nous, de nos luttes et de nos lieux militants.

Notes

[1A niveau égal de mépris, j’ai tendance à préférer les avocat.e.s.

[2Un récalcitrant s’est vu proposer un coup de tête jeudi soir, dans l’indifférence de tou.te.s les camarades de l’individu menaçant. Chacun.e sa façon de faire de la politique...

[3Car assurément, garder le silence est un droit... Un peu comme manifester.

[4Caisse d’Autodéfense Juridique. Caj31@riseup.net.

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