Pour la constitution d’un mouvement contre la guerre

La France est en guerre. On nous le répète depuis maintenant plus d’un an comme si c’était une nouveauté. Comme si la France n’était pas en guerre permanente — ou en « opérations » sur le sol africain et ailleurs — depuis la fin des guerres de décolonisation (voir notre « panorama » des opérations militaires de la France, p. 6). La France est un des premiers États guerriers au monde, elle est présente militairement dans plus d’une vingtaine de pays, et se trouve depuis 2015 parmi les trois premiers exportateurs d’armement avec les États-Unis et la Russie.

Airbus et les avions Rafale sont des spécialités françaises aussi fameuses que le Bordeaux ou le Champagne. On se les arrache chez les semeurs de mort. D’ailleurs, la guerre est la meilleure publicité pour les vendeurs d’armes : le Rafale se vend depuis le début des bombardements en Syrie alors qu’il restait dans les cartons depuis son lancement en 2000.

Désormais, nos dirigeants se vantent de ce bellicisme forcené, présenté comme le seul rempart possible à la « barbarie » de Daech. Les attentats survenus sur le sol français sont le prétexte indiscutable à l’intervention militaire en Syrie. Mais on oublie trop souvent que la France est entrée en guerre contre l’État islamique le 19 septembre 2014, soit près de six mois avant ses premiers attentats sur le sol français. La répétition des attentats n’a pas entamé d’une once la rhétorique étatique selon laquelle les interventions militaires françaises à l’extérieur contribueraient à protéger les Français.e.s sur leur sol. La guerre ne provoque pas la paix, mais la destruction, la misère et le désir de vengeance, c’est-à-dire les conditions de sa perpétuation.

Aujourd’hui, la guerre en Syrie et en Irak est un « théâtre d’opérations » pour une vingtaine de pays, dont les plus grandes puissances mondiales (États-Unis, Russie, France, Turquie, Iran, etc.). Les motivations économiques et politiques de ces pays sont complexes, et nous voudrions tenter d’en comprendre certaines dans ce journal. Mais ce qui est sûr, c’est que nous avons affaire à une guerre mondiale que l’on nous présente comme la seule voie possible. Cette évidence nous paraît dangereuse. Il nous semble au contraire urgent de comprendre dans quoi la France est engagée en notre nom, et de s’y opposer.

Parce qu’il est de moins en moins possible d’être contre la guerre, il est plus en plus nécessaire d’être contre la guerre.

L’état de guerre entraîne un renforcement prodigieux du sentiment patriotique et du nationalisme. On ne se bat — soi disant — même plus pour abattre un ennemi mais pour « défendre des valeurs ». Or la « guerre au terrorisme » est un combat sans fin, et sans merci. Elle est presque devenue — avec le pinard et les mini-jupes — une partie de notre « identité occidentale », dans laquelle nous devrions tous et toutes nous reconnaître.

Les exhortations à l’Union Sacrée ne fonctionnent que face à un ennemi commun, la figure de l’islamiste. L’État français mène depuis le début des années 80 une politique islamophobe qui a pris la forme d’une ségrégation avec la loi contre le voile à l’école en 2004 et la loi anti-« burqa » en 2009. Ce dispositif législatif s’appuie sur l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes. On oppose des personnes « issues de l’immigration » qui seraient « par nature » sexistes (pour les hommes) et soumises (pour les femmes) à des personnes « françaises » supposément non sexistes et libérées depuis toujours. À présent, la population musulmane subit également un amalgame entre musulman.e et terroriste, qu’on voudrait dissimuler par un discours « anti-amalgame ».

Sous prétexte de protéger la population, la France est en voie de militarisation croissante depuis janvier 2015. Avec l’état d’urgence et l’opération Sentinelle, il n’y a pas eu un si grand nombre de militaires sur le sol français depuis la guerre d’Algérie. Les séries de mesures répressives prises après chaque nouvel attentat, accompagnées de discours racistes chaque fois plus décomplexés, créent les conditions idéales de la perpétuation de l’idéologie de Daech en France. De la même manière, la surenchère guerrière mise en œuvre après chaque nouvel attentat contribue elle aussi à alimenter les conditions d’existence de l’État islamique. N’oublions pas que Daech est né sur les ruines de la société irakienne détruite par les interventions, embargos et occupations occidentales depuis les années 90.

Les guerres que mènent la France sont des guerres impérialistes, c’est-à-dire qu’elles visent à s’approprier des matières premières, à contrôler des marchés et à exploiter des populations. Elles peuvent aussi contraindre à la docilité un État qui chercherait à se libérer de la tutelle occidentale.
En outre, la guerre et l’industrie de la guerre constituent à elles seules des occasions de rentabilité. L’État, en achetant des armes toujours plus sophistiquées, crée une demande et stimule l’industrie de l’armement. Les profits générés peuvent atteindre des proportions fabuleuses dans une économie, comme en Allemagne dans les années 1930 ou aux États-Unis depuis les années 1980. Par ailleurs, la guerre détruit des villes et des régions entières, faisant place nette pour de nouvelles possibilités d’investissement. Pour se faire une idée du formidable potentiel de profit que la guerre génère, il suffit de voir le féroce combat mené en Irak pour l’obtention des marchés de reconstruction. Les périodes suivant les grandes guerres sont toujours des périodes de croissance capitaliste très rapides, l’exemple classique étant la période nommée les «  Trente glorieuses » (1945-1975).

Les guerres entraînent des déplacements de population considérables, comme la guerre en Syrie, qui a quasiment vidé le pays de ses habitant.e.s. Dans leur fuite pour la survie, si elles ne trouvent pas la mort sur la route de l’Europe, ces personnes sont l’objet d’une exploitation intense dont elles ne peuvent négocier les conditions. Cette main-d’œuvre en exil est mise en concurrence avec les autres prolétaires à travers le monde, opposition renforcée par le racisme du discours guerrier. Les guerres impérialistes ne peuvent être que des guerres menées par les capitalistes pour leur profit et contre les prolétaires, qui en font tous les frais, en mourant sous les bombes ou par l’accentuation de leur exploitation.

L’histoire montre qu’il est difficile de lutter contre les vagues de nationalisme et de chauvinisme va-t-en-guerre. Cependant, des mouvements de masse ont permis de terminer des guerres, d’en empêcher, de transformer des guerres en révolutions ; nous y reviendrons au fil des numéros. Rappelons seulement que la fin de la guerre du Viêt Nam a été, au moins en partie, obtenue par la combativité d’un immense mouvement populaire aux États-Unis, de même que par les révoltes, mutineries et désertions des G.I.’s. C’est aussi grâce à la pression d’une large opposition que l’État français a été contraint de mettre fin à la guerre d’Algérie.

Nous nous rattachons à un anti-militarisme qui considère la guerre et l’armée comme des piliers de l’État capitaliste moderne. Il s’oppose au pacifisme non violent qui concourt au maintien de l’ordre établi, des rapports d’exploitation et d’oppression. C’est faire fi de l’existence d’une violence structurelle, des hiérarchies sociales au sein des nations comme entre elles.

Il y a plusieurs manières d’être contre la guerre, nous ne sommes pas contre LA guerre, nous sommes contre toutes les guerres impérialistes.

Il paraîtra dérisoire ou désespéré de croire en un mouvement de masse contre la guerre dans une période d’unanimisme guerrier, de racisme et d’unité nationale. Pourtant, nous refusons d’assister sans rien faire ni dire à la militarisation totale de nos vies et à la destruction du Moyen-Orient et d’une grande partie de l’Afrique par les armées des pays capitalistes dits avancés.

Canons rompus se veut un outil pour la constitution d’un tel mouvement. Nous y publierons aussi bien des articles de « contre-information » sur les guerres en cours que des textes d’analyse critique du discours dominant ; nous y évoquerons les luttes anti-militaristes du passé comme celles d’autres régions du monde. Et, comme il n’y a pas d’état de guerre sans les conditions politiques qui la permettent, nous parlerons de la situation en France.

Le minuscule groupe de personnes à l’origine de ce numéro en appelle à vos contributions pour la suite : articles, critiques, discussions, participation à la rédaction, aide à la diffusion, etc. Ce journal n’est qu’une proposition, n’hésitez pas à vous le réapproprier. Vous pouvez nous écrire à l’adresse acanonsrompus@riseup.net

P.-S.

Extrait de CANONS ROMPUS, journal contre la guerre, n° 1.

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