10 mai : l’eau bout à 100°C, Toulouse à 49,3

A l’annonce du recours au 49.3, un appel à rassemblement a circulé en masse. Au Capitole, la réaction populaire a été à la hauteur de l’affront gouvernemental : plusieurs heures de manifs sauvages ont transformé les rues du centre-ville en rivières de rage.

MAJ 13 mai : Un film de l’ESAV nous est parvenu :

Ça fait longtemps que la bande de gros dégueulasses qui prétend nous diriger ne fait plus semblant d’être de gauche. Depuis mardi 10 mai, elle ne fait même plus semblant d’être démocrate.

Alors que le Sénat votait docilement la prolongation de l’état d’urgence, le gouvernement de Manuel Valls tentait de faire taire toute contestation en faisant usage de l’article 49-3 de la constitution.
La dérive autoritaire semble ne plus connaître de limites. Un gouvernement dont l’autorité ne repose plus que sur la police et l’armée tente de faire passer une loi contre l’avis de sa propre majorité parlementaire.

49,3 tonnes de TNT suffiront-elles à tout faire péter ?

Alors que depuis le début du mois de mars la ville rose peinait à se mobiliser, il semble que cette fois-ci peu de villes aient réuni autant de monde que Toulouse : 500 personnes à Lyon, entre 500 et 1000 à Paris, quelques centaines à Marseille... Et entre 1.500 et 2.000 sur la place du Capitole ! La surprise est de taille.

La foule réunit de nombreux groupes en lutte et syndicalistes. L’énergie est là, les gens sont déters. Dès le début de l’AG de Nuit Debout, on se pince pour croire au spectacle des citoyennistes habituelLEs appelant plus ou moins explicitement à partir en sauvage. "Est-ce qu’on veut rester au Capitole ?" Réponse de la foule, unanime : "NON !"
L’ambiance est électrique. La nuit promet d’être longue.

Mais nous sommes à Nuit Debout, et jouer à la démocratie, ça prend du temps. Un petit groupe commence à s’impatienter et entame un tour de la place derrière une banderole en chantant : "Grève, blocage, manif sauvage !" Mais ça ne prend pas : la foule reste agglutinée autour de la sono.

Finalement, une personne propose à l’AG d’aller occuper la permanence de Catherine Lemorton, députée PS. La proposition est accueillie par une grande clameur. Un vote plus tard, un mouvement emmène toute la place du Capitole. 19h, c’est parti pour une première manif sauvage. Et quelle manif ! On doit bien être 2000 (1000 selon les chiffres officiels de la préfecture), c’est impressionnant :

On part vers le square Charles de Gaulle, Wilson, Jean Jaurès, et on investit les boulevards vers Arnaud-Bernard, malgré les protestations de certainEs : "On n’est pas des crevards, on veut pas des boulevards !"

ArrivéEs au niveau de la rue de la Concorde, un groupe tente de faire bifurquer la manif vers la gare qui nous ouvre grand ses bras. La Dépêche, toujours aussi alerte, écrira que nous tentions d’investir le Decathlon... Quoi qu’il en soit, la tentative est bloquée par le NPA qui monopolise la tête du cortège avec sa banderole et son mégaphone, et qui a décidé qu’on irait finalement au local du PS, la permanence de la députée étant finalement fermée. Ça s’engueule, rappelant que la rue où se trouve le PS est dangereuse, l’expérience l’ayant déjà prouvée. Trop tard, le blocage du NPA fonctionne et la foule se dirige vers le siège du PS.

Ça tague le long du chemin. Les sucettes JC Decaux sont ouvertes et leur contenu retourneur de cerveaux est arraché. A l’arrivée, on s’engouffre avec inquiétude dans la très étroite rue Lejeune. Ça pue le traquenard :

Au bout, là où la rue fait un coude serré, juste avant le siège du PS, un cordon de flics bloque. Ils sont 100 fois moins nombreux que nous, peut-être une vingtaine. On s’amasse donc devant, et après avoir tenté vainement de négocier, on tente le passage en force, en mode 49-3.

La réponse, immédiate, est d’une violence extrême. Les matraques prennent de l’élan dans les airs pour s’écraser sur nos corps sans protection (pas de banderole renforcée). Une grenade de désencerclement est lancée. Les fumigènes pleuvent, avec la gazeuse par dessus. On s’étouffe et on saigne, mais malgré tout une solidarité remarquable est observée : tout le monde se tient et recule avec prudence. Les streetmedics rentrent en scène. Mais dans cette rue étroite, la situation reste catastrophique ; la fumée toxique s’évacue mal et on peine à s’écarter du cordon.

Dans la rue étroite, c’est la panique. On a du mal à bouger et à s’écarter d’eux. Une copine a le crâne en sang, après avoir reçu un coup de matraque à la tête. On forme un cordon de protection autour d’elle. Une voisine propose de lui ouvrir mais il est préféré de ne pas la bouger.

Les flics, qui ont continué d’avancer (en mettant en joue au flashball), nous disent qu’ils vont la prendre en charge, qu’on a qu’à les laisser avancer. Y’a pas moyen, on reste là jusqu’à ce que les pompiers arrivent.

En attendant, on les humilie avec des chansons et des valses. Sur l’air de Brassens :"Non, les gens n’aiment pas les baqueux, qui cassent des jambes et crèvent des yeux, Non les gens n’aiment pas les baqueux, qui traquent les jeunes, matraquent les vieux !"

On sort ensuite de la rue pourrie. Les flics ont prévu un comité d’accueil et nous poussent. Les gens sont révoltés, un truc a encore changé. On repart en cortège sur le boulevard dans l’autre sens, direction le Capitole, en scandant : "Zyed, Bouna, on oublie pas !", "la police mutile, la police assassine ! ", "Pas besoin des policiers, on sait se protéger !". Derrière, un cordon se tient les bras, à reculons face aux flics, du coup, on avance pas vite pour les attendre. Tout le long, des barrières de chantier et des poubelles sont dressées sur le chemin pour ralentir les flics. De nombreux tags fleurissent ; une sanisette est rebaptisée "local du PS". A Jeanne d’Arc, ça chauffe, les flics se font vite-fait caillassés et une grenade explose.

A l’arrivée une personne est emmenée par les pompiers : elle a été matraquée à la tête par les flics à Compans, autour du siège du PS, et elle a perdu connaissance sur le retour. On est inquietEs : certaines disent que ses yeux ne suivent pas quand on met une lampe devant, c’est très mauvais signe (on n’a toujours pas de nouvelles lors de l’écriture de ce texte, mercredi 11 au soir).

De retour sur la place, ça stagne à nouveau. Le son est étouffé, l’espace est trop vaste et vide pour garder l’intensité, l’énergie qu’on avait dans la rue. Des tours de parole plus ou moins intéressants s’enchainent.

A 19h30, il y avait une contre-manif face aux fachos de la Manif pour tous place du Salin. Certaines personnes qui y étaient arrivent à Capitole. La contre-manif a rassemblé plus de monde que la manif.

A la tombée de la nuit, on est beaucoup à vouloir repartir. Un nouveau cortège se forme, emmenant encore toutes les personnes de la place (1000 environ, 700 selon la police). Cette fois encore, c’est suite à un vote de l’assemblée de Nuit Debout (l’orateur ayant tout de même essayé de dissuader les gens en insistant sur les risques de la manif sauvage).

On est 49,3 fois plus motivéEs !

C’est parti pour pas moins d’une heure de manif sauvage à un rythme effréné. C’est massif, énergique et déterminé. Capitole, Saint-Pierre, Daurade, Dalbade, Carmes, Préfecture... Pour une fois qu’on est dans le centre, on en profite !

Quelque distributeurs bancaires et panneaux publicitaires payent le prix de notre liberté recouvrée. Le matériel du chantier de réaménagement de la Daurade, qui est en voie d’être affreusement gentrifiée, est balancé par-dessus bord et s’écrase lourdement en contrebas.

La bienveillance est de mise dans le cortège, tout le monde fait attention à son voisinE, qu’ille soit masquéE ou non. Quand ça traine, on ralentit, on attend les copains copines. Une équipe nous protège à chaque intersection à l’aide d’un grand panneau sur lequel trône une drôle d’inscription :

Juste après la Daurade, on fait face à un groupe de CRS peu rassurés. Le cordon est en sous-effectif, ils reculent au fur et à mesure qu’on avance. Après hésitation, on n’ira pas chercher le contact, on préfère bifurquer via une petite rue pour rejoindre la rue Peyrolières.

Tout le monde déteste la police, le crie, mais personne ne le traduit vraiment en actes. Les flics, eux, n’ont pas de scrupules et balancent du gaz, des grenades de désencerclement (malheureusement sans aucun encerclement) à partir des Carmes. On barricade la rue du Languedoc qui est blindée de flics et on s’engouffre dans la rue Ozenne, où la milice du capital rencontre un soutien inattendu des habitantEs de ce quartier cossu ; on nous jette des œufs par une fenêtre. Le slogan "A bas les Carmes, les flics et les patrons" entonné un peu plus tôt n’était donc pas totalement gratuit !

Le Crédit Agricole est pris en charge par une équipe ; au dessus de son DAB en ruine est inscrit "Panama Papers" ainsi que "voleurs". Des vitrines d’agence immobilière sont étoilées, tandis que les vitres des panneaux publicitaires tombent les unes après les autres. ArrivéEs au en bas de la rue Ozenne, on fait face à une armada de flics ; le cortège s’engage dans la (trop étroite) rue Jules de Resseguier. La queue de manif est massivement gazée et pressée par les flics qui accélèrent le rythme.

Au passage devant le centre de recrutement des armées et PC du 1er régiment de parachutistes, quelques personnes entonnent "Armée Française, armée coloniale !" et "Armée Française hors d’Afrique !"

A l’arrivée sur le parking arrière de la préfecture, les flics chargent violemment, en matraquant tout ce qu’ils arrivent à atteindre. Leurs chefs crient "Chope, chope, chope !" Plusieurs personnes se font frapper, certaines au sol. Un témoignage ainsi qu’une photo nous sont parvenus par mail :

Arrivé Rue Jules de Resseguie (rien que ça), nous avons été un peu,
beaucoup, énormément, mais sans passion, compresséEs et gazéEs par les keufs.
Voilà que je reçois une grenade lacrymogène sur mon sac à dos.
Je vous laisse la photo, libre de droit, pour illustrer ça. Quelques centimètres et je venais rejoindre la liste des blesséEs...
Ni oubli ni pardon, je ne serai pas le prochain Rémi.

Il y aurait eu au moins deux interpellations. Précisons que l’ambiance à ce moment là n’était absolument pas hostile aux flics, tout le monde leur tournant le dos.

Cette attaque parvient à clairsemer un cortège qui était resté solidaire jusque là. Celui-ci revient sur les boulevards en direction du Capitole. Tout le monde s’applaudit, des inconnuEs se prennent dans les bras. Les yeux sont humides et pour une fois, c’est pas qu’à cause des lacrymos. Les interventions au micro s’enchaîneront jusqu’à 00h00.

En attente d’un bilan plus fiable, deux personnes sont parties à l’hôpital dont une est déjà sortie. Trois arrestations auraient été constatées en tout (La Dépêche, elle, en dénombre deux). A ce propos, un message nous est parvenu jeudi 12 au matin :

Pour l’étudiant arrêté mardi : j’ajoute que sa famille n’en sait pas plus non plus ; c’est difficile à vivre pour eux. Sans nouvelles. Il avait un partiel mercredi. Bref c’est tout ce que je peux transmettre pour le moment ; l’affaire est floue et ça sent la magouille, en conséquence on ne souhaite pas que son nom soit diffusé pour le moment. Ça semble irréel de vivre des choses pareilles en France. C’est important d’en parler.

Bilan

La journée a mélangé la joie de tenir la rue aussi massivement, à deux reprises, ce qui ne s’était pas vu à Toulouse depuis... longtemps, mais aussi l’amertume liée aux blessures et à la répression, de la rage contre ce gouvernement, cet état, cette police, ce monde.

La flicaille était largement en sous-effectif, ce qui est surprenant pour une situation aussi explosive. L’hélico n’a même pas été sorti, les flics étaient perdus ; ils ont été vu en train de foncer vers Compans alors qu’on se dirigeait à l’opposé, vers Saint-Pierre...

Mais, armés comme ils sont, ils ont trop souvent le dernier mot. Soyons mieux préparéEs face à la milice du capital : banderoles renforcées, casques, lunettes de protection, bouchons d’oreille... Même si bien sûr, on l’a encore vu mardi, notre meilleure arme c’est l’amitié que l’on se porte et la solidarité qui en découle. Les flics croient nous briser mais renforcent les liens qui nous unissent.

Quant à Nuit Debout, il a enfin incarné ce qu’il aurait dû toujours être : un point de départ pour se mettre en mouvement et se rendre ingouvernables. Un lieu où se retrouver, se raconter, se compter, se porter... et s’emporter à nouveau.

RIEN N’EST FINI. TOUT COMMENCE !

P.-S.

Merci à touTEs celleux qui nous envoient témoignages et photos par mail a contact.iaata@riseup.net. Faisons de IAATA un espace de coordination et d’analyse autour de la lutte en cours. Écrivons ensemble notre histoire !
Rendez-vous le 12 mai pour un suivi en direct de la manif contre la loi "Travaille !"

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