30h de cachot pour être allé pisser

Récit d’une interpellation et d’une garde à vue (GAV) lors d’un blocage routier effectué le 25 mai à Toulouse dans le cadre du mouvement contre la loi travail.

En passant devant la Gare Routière je me dis que je vais pouvoir aller pisser. J’entre, je fais mon affaire et en sortant je croise deux copains. J’ai à peine le temps de leur proposer de les attendre que deux individus arrivent et nous poussent jusqu’au fond des chiottes en criant :

– "BOUGEZ PAS ! ON VA VOUS DÉFONCER !" tout en déployant leurs matraques télescopiques.

Pas moyen de fuir, c’est trop étroit.

Un copain est encore en train de se soulager dans la pissotière. Je met quelques secondes à comprendre que cette brute de deux mètres déguisée en skin et son collègue sont de la BAC.

Avec les copains on n’est pas rassurés, on s’imagine déjà étendus dans une marre de sang au fond des chiottes de la gare ; alors on obéit gentiment aux ordres que le grand nazi nous éructe. On se fait palper et vider les poches.

"VOUS FAITES QUOI LA ?

– On fait pipi..."

Immédiatement sa main s’abat sur ma gueule. Je comprends pas trop ce qui se passe. Je me demande bien ce qu’il aurait fallu que je réponde...

Il enchaîne :

"TU FAIS QUOI DANS LA VIE ?"

Je réponds craintivement :

– "Je cueille des cerises.

– JE VAIS T’EN METTRE MOI DES CERISES", qu’il dit en levant sa main pour me mettre une autre beigne.

Aux copains, après avoir examinés leurs papiers :

"VOUS ÊTES ESPAGNOLS ?!

– Oui.

– VOUS VENEZ FAIRE QUOI EN FRANCE ?

– On vient visiter, faire du tourisme...

– ET VOUS ALLEZ FAIRE DU TOURISME AVEC DES CAPUCHES ET DES LUNETTES DE SOLEIL ? HEIN ?

– ..."

...

Ils demandent l’autorisation de nous embarquer. Ils l’obtiennent. C’est presque un soulagement de se faire passer les menottes et de sortir de là. Ils sont stressés, ils veulent éviter à tout prix que l’attroupement du blocage de la gare voie cette interpellation. En quelques secondes on est dans une voiture banalisée qui remonte le boulevard à contre sens pour éviter de passer devant la gare.

...

Au commissariat, notre escorte nous présente à leurs collègues comme "les casseurs". Le premier flic en uniforme qui nous adresse la parole nous tient ces menaces :

– "On en a marre maintenant ! On va faire comme vous, on va venir chez vous et on va tout casser ! J’ai une liste avec vos noms et vos adresses. La nuit on va enlever nos uniformes, mettre des cagoules et venir chez vous avec des barres de fer ! On va tout casser ! On va venir vous défoncer ! ..."

Ce flot de haine et de menaces durera quelques minutes sans que cela ne fasse sourciller un seul agent de police qui passe au même moment dans le couloir.

Je suis atterré. C’est tellement abusé que j’ai peine à croire ce que j’entends et ce que je vis. Ça me rappelle l’histoire de la rue sainte Blanche.

...

J’attends un moment, menotté à un banc dans le couloir. A un moment un flic me demande :

"Proche ? Docteur ? Avocat ?"

Je réponds par l’affirmative aux trois, indique le nom d’un proche à contacter et demande une avocate recommandée par la legal team.

...

Quand on nous descend au sous-sol en cellule, je demande :

"Je pourrais savoir ce qu’on me reproche ?"

Un flic en uniforme me répond :

"J’en sais rien, il faut voir avec l’OPJ. [1]"

Le flic de la palpation avant d’entrer en cellule me donne des ordres en me tutoyant.

"Vous pouvez me vouvoyer, c’est une histoire de respect.

– C’est pas parce que je dis "tu" que je ne te respecte pas. Tu trouves qu’on te respecte pas ?

– Faudrait en parler à votre collègue qui m’a giflé sans raison tout à l’heure...

– Oh, une gifle c’est gentil", répond-il en souriant.

Les cellules sont pleines. Il y a presque que des jeunes non blancs ; certains sont salement amochés.

Ça empeste la merde et le stress. Une odeur acre et acide. C’est choquant au début.
Plus qu’à prendre mon mal en patience. Au pire je suis là pour 48h...

...

Le temps passe lentement. On me propose à manger. Je demande "végétalien" et je suis agréablement surpris qu’effectivement le chili végétarien ne contient pas de produits animaux. C’est presque mangeable.

Je peux m’entretenir avec mon avocate. Ça fait du bien de parler avec quelqu’un.e de gentil.le et bienveillant.e. A l’audition on ne déclare rien. Retour en cellule.

...

A l’audition, j’apprends enfin formellement ce qu’on me reproche : Dégradation en réunion. Sur le blocage de la gare routière, quelques un.e.s auraient tapé sur une voiture qui aurait forcé le barrage.

En fin d’audition, à la demande de mon avocate, on nous présente le PV de placement en GAV. Il y est écrit que je n’ai pas demandé à contacter quelqu’un et que j’ai refusé de signer, alors qu’on ne me l’a pas proposé...

...

Quand le copain monte en audition, la bac demande au flic qui l’accompagne :
"Tu nous le laisses 10 minutes ? On va s’en occuper..."

...

Une flic passe en cellule :

"C’est pour la signalétique.

– Je préfère pas.

– Vous refusez ?

– Oui."

À mon collègue de cellule :

"Et vous aussi vous refusez ?

– Oui.

– Ok."

Elle claque la porte.

...

Dans l’après midi, une femme habillée tout en cuir noir avec des talons hauts et des gants blanc, avec à la main un objet qui pourrait ressembler à un fouet, ouvre la porte.

"Vous avez demandé à voir un docteur ?

– Oui.

– Je suis le docteur."

Les traces de la main du flic ont eu le temps de disparaitre mais je fais quand même constater :

"J’ai pris une gifle sans raison.

– La raison j’en sais rien, ça ne me regarde pas, je suis juste là pour vous examiner."

Je lui montre mes poignets qui ont de vilaines marques de menottes.

"Ah non, ça je ne peux pas le constater, c’est normal, tout le monde les a...

– Mais, c’est pas normal ?!

– Si."

...

Le soir, on monte voir la procureure en visio-conférence pour qu’elle nous notifie la prolongation de GAV de 24h supplémentaires ; parce qu’on a rien déclaré et qu’on a refusé le fichage ADN. Elle me pose des questions sur ma notification de garde à vue. Je lui répond que je n’ai appris la raison de mon placement en cellule qu’au moment de l’audition et que le PV ne m’a pas été présenté.

"Vous exagérez quand même, les policier.e.s connaissent leur métier..."

Je suis surpris de cette prolongation. Je me prépare psychologiquement à passer 24h de plus au cachot puant. C’est pénible d’être enfermé.e avec rien à faire, absolument rien. A cours d’idées, dans le but de me fatiguer un peu, je me met à faire des exercices. C’est cliché, mais ça occupe, et ça aide à dormir. [2]

...

Le lendemain matin, deuxième audition.

"Vous avez toujours la même identité depuis hier ?

– Oui.

– Les faits qui vous sont reprochés sont : dégradation en réunion, refus de signalétique. Vous n’avez toujours rien à déclarer ?

– Non, je n’ai rien à déclarer."

...

On sera finalement relâchés après 30h de GAV avec un rappel à la loi pour "entrave à la circulation" et "refus de signalétique". C’était pénible mais instructif. On a beau le savoir, c’est autre chose de constater de près à quel point les flics sont bêtes et méchants.

Notes

[1Officier de Police Judiciaire.

[2Parce qu’il n’y a pas vraiment plus de place au bureau qu’en cellule, voici quelques exemples d’exercices simples : http://rue89.nouvelobs.com/rue89-sport/2013/05/11/temps-faire-sport-sept-minutes-dexercices-suffisent-242211 )

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