« Alors, tu les aimes les cailloux ? » Récit d’une interpellation ordinaire

Témoignage d’un étudiant du Mirail manifestant contre la Loi Travail le 31 mars à Toulouse.

Jeudi 31 mars, je rejoins mes amis sur les allées Jean Jaurès ; il doit être 11H30. Arrivés à Saint Cyprien, on voit débarquer de nombreux CRS et tirer des premières grenades fumigènes vers la rue Joseph Vie. On s’écarte et se rallie aux autres manifestants au niveau du rond point de Saint Cyprien, côté allée Charles de Fitte. Les CRS lancent des grenades lacrymogènes sans sommation dès l’arrivée d’autres manifestants vers Saint Cyprien.

Je me trouve proche des CRS sur le rond-point mais me tiens à l’écart, filmant les premières provocations et attaques des CRS (lacrymo et gestes de provocation imitant une main sur un phallus). Ils continuent à nous repousser à coup de charges et de lacrymogènes dans l’avenue Etienne Billières. C’est là qu’a lieu mon arrestation.

Les policiers de la BAC (Brigade Anti Criminalité) arrivent en courant par un porche sur le côté gauche. Pris de tous les côtés, je me réfugie derrière un tronc d’arbre. Dans la précipitation, aveuglé par la lacrymo, j’attrape des gravillons et les balance vers le sol. Une grenade lacrymo arrive vers moi, je la repousse pour m’en protéger. Il s’agit de grenades multi-plot, MP7.

CRS et BAC nous chargent en courant, j’entends « ils arrivent », je cours. Ils m’attrapent à trois, me plaquent contre une voiture d’un civil. Deux collègues les rejoignent directement, passent sur le capot de la voiture.

L’un d’eux, masqué, cagoulé, me regarde dans les yeux et me dit : « toi, tu vas payer, toi, tu vas payer ! » en me maîtrisant violemment alors que je répète en vain « ok, ok c’est bon ! C’est bon ! ». Il me demande mon nom et mon adresse. Je dis tout, paniqué.

Ils me poussent de force dans un magasin à côté, me cognent à terre. Alors que je suis déjà maîtrisé, l’un d’eux monte sur mes jambes et me piétine tandis qu’un autre me tient, son genou sur ma tête et me met des cailloux entre les fesses par-dessus le pantalon en me disant « alors, tu les aimes les cailloux ? » Un troisième me passe les menottes, ça me scie les poignets. Un employé du magasin me regarde sans hausser le moindre sourcil. Plus tard, il dira à mes amis « si il s’est fait arrêté, c’est qu’il le méritait ».

Alors que j’ai les menottes, à terre, ils me mettent quelques tapes dans le visage avec le dessus de la main, en disant «  ta gueule, ta gueule » à répétition. Ils me forcent à me relever tout seul, avec les menottes ; je suis en difficulté et ils me regardent avec condescendance.

Un des flics me traîne en me tordant le bras, et en me criant dessus : « baisse toi, plus bas, plus bas ! ». En même temps qu’il me tire les poignets menottés vers le haut, il m’appuie entre les omoplates vers le bas. Je suis tordu et j’ai mal. « Vous me faites mal ! – Si tu marches plus bas t’auras pas mal ! » Ils me font marcher sur environ 50 mètres puis ils me bloquent comme une merde contre une porte. Ils me remettent mon bonnet sur le visage, « tiens ton bonnet », me cachant la vision, en se moquant. Un autre manifestant se fait arrêté à ce moment là alors que la vague de CRS est passée et qu’il discute avec une amie.

Une fois contre cette porte, quelques passants nous souhaitent bon courage ; un policier lâche un « quelle connasse » adressé à une passante qui nous soutenait.
Une voiture vient nous récupérer pour nous amener au poste.

Là-bas, les flics profitent du fait que je ne connais pas les procédures afin de leur faciliter la tâche. Ils ne me laissent jamais répondre aux questions lors de la déposition et formulent eux-mêmes questions et réponses.
« Vous voulez voir un médecin ? Oh, non, ça ira, vous avez rien ! » J’avais mon propre sang sur les vêtements. «  L’avocat ? Oh, pour ça, bah… C’était pour la manif ? Oh, c’est pas nécessaire, dans 24h vous êtes dehors ! » Au final, j’ai passé 32 heures en garde-à-vue.

Seul un policier se montre correct avec moi. Il prévient ma sœur et me conseille d’éteindre mon téléphone pour pas qu’ils le fouillent.

Je passe d’abord 24h en garde à vue ; c’est loin d’être agréable. Vous demandez l’heure, on vous envoie chier. On ose vous demander si vous avez bien déjeuné alors qu’on vous donne que de la merde.

Le lendemain, on vient me chercher ; je pense que je vais enfin sortir. Et non, c’est pour une déposition. Je comprends alors que ça va plus loin. Ils ne m’ont pas seulement arrêté en tant que manifestant, mais ils me mettent sur le dos la blessure d’un agent de police. Je suis accusé de violence sur agent de police, d’acte de rébellion (course, tentative d’échapper pour pas qu’ils t’attrapent), d’outrage et de regroupement illégal en cas d’état d’urgence. Rien que ça.

Le flic blessé s’en sort avec une égratignure, rien d’invalidant. Lors de la déposition, il pose une pierre de granit qui s’effrite sur le bureau, en guise de pièce à conviction. Il me harcèle : « hein, c’est toi qui a jeté ça, dis-le qu’c’est toi. J’t’ai vu avec ton pantalon marron. Moi ma parole de toute façon elle vaut 100% ».

Je n’ai pas jeté cette pierre, et si elle avait été jetée elle se serait éclatée en plusieurs morceaux. Je suis face au mensonge, à l’humiliation continue, à l’indignation.

Je rencontre le procureur en visioconférence ; une enquête est ouverte, ma garde à vue est prolongée. Mon état mental au plus bas, je retourne dans ma cellule toujours sans pouvoir prévenir personne. Plus tard, j’ai su que des gens de mon entourage ainsi qu’une connaissance qui est avocate au barreau de Paris avaient tenté de les contacter, suite à l’appel du policier, pour savoir comment les choses allaient se passer, mais sans succès. Ma sœur est même venue au commissariat et les policiers ont refusé de dire quoi que se soit : « C’est le principe des garde-à-vue, on ne dit rien », « Ah non, il n’a pas demandé d’avocat, on ne vous dira rien ».

Plus tard dans la journée, je suis transféré au tribunal de grande instance, au Palais de Justice. En entrant, il y a une cellule vide, un flic dit « on le met là », et l’autre dit « non, à côté, ça va lui faire les pieds ». Je me retrouve alors en cage avec un homme plus âgé qui a commis des choses beaucoup plus graves que moi. Je ne me sens pas en confiance et me demande combien de temps je vais rester là. Les flics me menacent et me disent que la prochaine étape c’est la prison de Seysses.
J’arrive enfin à joindre l’avocate. Une heure après, le procureur vient me rencontrer et je suis libéré. L’humiliation continue, ils me rendent mes affaires en vrac, je m’assois pour lacer mes chaussures, perturbé, et ils me chassent : « tu voulais sortir et ben sors maintenant ! ». Je me retrouve dehors, avec toutes mes affaires dans un sac poubelle, lacets défaits, du sang sur le pantalon, sale et fatigué, au summum de l’indignation face au regard des passants.

Mais cette histoire n’est pas finie. Je suis convoqué le jeudi 19 mai à 8h30 au Tribunal Correctionnel de Toulouse. Là aura lieu mon jugement, pour tous ces chefs d’inculpation qu’ils m’ont collé sans même écouter ma parole. Je risque de la prison avec sursis, une amende de 750 euros s’ils trouvent des preuves, et un casier.

Votre soutien est le bienvenue car d’autres subissent pire et il faut être solidaires, contrer l’abus de pouvoir et l’injustice.

Surtout n’ayez pas peur de manifester. Montrez votre colère mais ne la laissez pas vous dominer. Restez sur vos positions, soyez unis et criez fort dans la rue.
Moi, désormais, j’ai peur de manifester, peur de tomber sur les mêmes mecs de la BAC qui ont juré de me faire payer, peur qu’ils me reconnaissent dans la rue et s’acharnent sur moi.

J’ai 21 ans, je n’avais pas de casier judiciaire jusqu’à ce jour.

Policier, CRS, BAC, État d’urgence, Gouvernement …
TOUT CECI RIME AVEC ABUS DE POUVOIR
ASSEZ !!!

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  • 19 mai 2016

    Verdict aujourd’hui 19/05 : 1100 euros d’"amende", 2 MOIS AVEC SURCIS et 160 heures de TIG.

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