Cette brochure a été rédigée au printemps 2025 dans le contexte des débats qui ont suivis les élections législatives de juillet 2024 avec un constat partagé d’un certain confusionnisme de plus en plus étouffant dans les cercles révolutionnaires anti-autoritaires. Pour la rédiger nous nous sommes appuyé sur nos constats, discussions informelles, analyses personnelles mais aussi sur des auteur.ices qui ont pu à un moment donné apporter des points d’éclairage sur certains sujets. Nous ne sommes pas forcément en accord avec tous leurs écrits. Comme toujours, chaque texte nécessite recul et critique.
Avant de commencer...
L’anarchisme effraie autant qu’il fascine. Parce que l’anarchisme a déjà déstabilisé des États, inspiré des assassinats de rois et de chefs militaires, parce que l’anarchisme c’est l’amour de la liberté, le rêve de l’émancipation pour toustes, la fin des guerres et des armées, la fin de l’exploitation de l’Homme par l’Homme, c’est cette figure rebelle qui ne se laisse pas enfermée, encadrée ou contrôlée. Mouvement profondément anti-autoritaire qui veut en finir avec les chef.fes, l’idéal anarchiste est à l’opposé du système dans lequel nous vivons actuellement mais il n’en est pas pour autant hermétique. Influencé par son époque et son environnement, l’anarchisme est traversé par différents courants et par ses propres tensions internes. Cependant, force est de constater que, aujourd’hui en France, l’anarchisme n’a plus le vent en poupe. Dans les années 90 Murray Bookchin, anarchiste américain, mettait en garde :
« les objectifs révolutionnaires et sociaux de l’anarchisme aujourd’hui souffrent d’une telle dégradation que le mot “anarchie” fera bientôt partie intégrante du vocabulaire chic bourgeois du siècle à venir : une chose quelque peu polissonne, rebelle, insouciante, mais délicieusement inoffensive. »
Dans son livre « changer sa vie sans changer le monde » Bookchin critiquait l’avènement d’une forme d’anarchisme folklorisé, vidé de sa substance et de ses objectifs révolutionnaires pour en garder que l’aspect esthétique, spectaculaire et individualiste. En effet, quoi de mieux pour rendre un mouvement inoffensif que de capitaliser sur son esthétique, tout en le vidant de ses prétentions révolutionnaires ?
D’autres que Bookchin ont mis en garde contre des dérives bourgeoises ou contre les oppressions qu’elles reproduisaient en son sein.
L’anarchiste noir américain Lorenzo Kom’boa Ervin mettait aussi le doigt dans les années 70 sur les dérives du milieu anarchiste, qui devenait plus un mouvement contre-culturel composé essentiellement des classes moyennes blanches qu’un mouvement révolutionnaire.
En 1936, les anarcha-féministes de Mujeres Libres combattaient et s’organisait contre les influences et les violences patriarcales dans le mouvement anarchiste.
Et en 1914, Luigi Fabbri, anarchiste italien, dénonçait les influences bourgeoises sur l’anarchisme notamment venant du milieu culturel : « Pour ces artistes et écrivains, la beauté du geste prend la place de l’utilité sociale, à laquelle ils ne se soucient pas. Ainsi, ils ont idéalisé la figure du dynamiteur anarchiste car même dans ses manifestations les plus tragiques, il présente des caractéristiques indéniables d’originalité et d’attractivité. Cette idéalisation littéraire et artistique a exercé son influence sur de nombreux anarchistes qui, par ignorance ou par méconnaissance de la raison et de la logique ou du tempérament, l’ont prise pour une propagation d’idées, même si elle n’est qu’une manifestation artistique. »
La cérémonie d’ouverture des JO 2024, lieu d’étalage capitaliste et nationaliste par excellence, où a été « célébrée » Louise Michel en est un exemple récent.
Des symboles révolutionnaires transformés en esthétique inoffensive par le milieu artistique parisien devant des chefs d’États complices des pires horreurs militaires, voilà comment l’anarchisme est vidé de sa charge politique.
La « start up nation » est un système de pensée, une manière de voir le monde et de créer des liens. Cela influe sur nos luttes, nos espaces collectifs et nos relations. Mais s’il est vrai qu’une grille de lecture bourgeoise détourne l’anarchisme de son but premier, « petit-bourgeois » et « libéral » peut aussi être une insulte facile pour discréditer un discours et gagner le débat. Lénine lui-même parlait de « petit-bourgeois » pour (dis)qualifier les anarchistes. C’est pourquoi il nous semblait important de redéfinir ce que sont ces « dérives libérales » et comment les repérer.
Intro
Libéral, libertaire, libertarien : 3 mots, une même racine….. mais la comparaison peut s’arrêter là.
La première chose à mettre au clair ce sont les différences entre ces 3 concepts.
Le système libéral, d’abord, se distingue par une intervention limitée de l’état qui assure les fonctions régaliennes (justice, police, armée) et d’arbitrage social, un soutien à l’économie de marché et à la création d’entreprise qui doit être libre. Il met l’accent sur la liberté individuelle, la propriété privée et la libre concurrence.
Au fil du temps le libéralisme a évolué et s’est transformé. Notamment face aux contestations sociales des années 30 qui nécessitait de protéger le système économique et politique fragilisé. Il faut donc réévaluer le rôle de l’État comme instrument premier de défense des règles du marché. C’est ce que certain.es vont appeler « le néolibéralisme », c’est à dire mettre l’État au service direct du capitalisme. L’économie reste centrale dans l’organisation sociale : les règles du capitalisme sont la matrice des règles de la vie sociale et la politique néolibérale gère l’ensemble de la société.
Certain.es parlent même de « néo-libéralisme autoritaire » pour désigner certains régimes politiques. C’est-à-dire qu’aux caractéristiques du (néo)libéralisme classique, s’ajoute une répression accrue des mouvements sociaux ou de contestation populaire, ainsi que la restriction des libertés pour maintenir ces politiques, la légitimation des inégalités comme nécessaires pour la compétitivité et l’efficacité économique.
En France, Macron mène une politique néolibérale, c’est à dire de droite libérale mais avec un interventionnisme de l’État fort. Macron est le chantre de la start-up nation avec une économie de marché mettant la libre entreprise et la concurrence au centre et en même temps un contrôle social très fort avec le maintien des inégalités comme socle de la société.
Pour résumer nous vivons dans un système capitaliste autoritaire où l’état joue un rôle de contrôle socio-économique avec une économie de marché toute puissante et des individu.es qui ne peuvent trouver leur salut qu’à travers le travail, la consommation et la production. Les individu.es et l’État sont au service du capitalisme tout-puissant.
Le mouvement libertarien lui va plus loin : rôle minimal voire abolition de l’état pour une économie sans limite et la liberté individuelle par-dessus tout. Les fonctions régaliennes de l’état sont assurées par des agences privées.
Les thèses libertariennes, influencées par Murray Rothbard, qui a développé le concept d’anarcho-capitalisme, ou Ayn Rand, mère de l’objectivisme, prennent de l’ampleur aujourd’hui. L’exemple le plus récent est certainement Javier Milei en Argentine. Elon Musk ou Jeff Bezos en font aussi la promotion régulièrement.
Le libertarianisme ou l’anarcho-capitalisme ont beau avoir une étymologie commune avec l’anarchisme, les deux mouvements sont antagonistes.
L’anarchisme s’il prône bien la fin de l’état, prône également la fin de la propriété privée, de la valeur travail et des privilèges.
Même l’anarchisme individualiste qui pourrait, peut être, être poreux avec le libertarianisme ne prône pas le recours à des autorités privées pour remplacer des fonctions régaliennes mais plutôt la libre association des individu.es.
Certain.es entretiennent volontairement la confusion et essayent de faire passer l’anarchisme pour ce qu’il n’est pas : une idéologie sans règles ni forme d’organisation où la liberté individuelle serait centrale et rentrerait en opposition avec le collectif et l’égalité.
Pascal Praud, célèbre chroniqueur d’extrême-droite, déclare au parisien : « On me fait passer pour un réac alors que je suis plutôt anar. J’aime la liberté par-dessus tout. » Et de confirmer dans une autre interview au même journal :
« J’ai un côté anar : je suis de droite avec des gens de gauche, de gauche avec des gens de droite. Et j’ai du mal avec les règles qui se multiplient. »
Cette confusion sur la définition de l’anarchisme réduit à « chacun fait ce qu’il veut » est volontairement utilisée par nos ennemis politiques. Le problème c’est qu’on retrouve cette confusion également dans nos milieux.
Pourtant, la définition de liberté est très différente entre celle libérale / libertarienne et celle des anarchistes.
« la liberté des libéraux est celle d’individus séparés, lâchés dans un univers hostile. Rétifs à toute idée d’égalité ces individus-rois vivent l’institution de l’État entre eux comme un mal nécessaire, érigeant des murs entre eux pour éviter de s’entre-tuer [...] C’est la liberté d’un individu-consommateur qui se croit tout-puissant. »
A l’inverse :
« Pour les anarchistes, la liberté est nécessairement sociale, et non privée. Pour s’exercer, elle nécessite l’égalité économique, sociale et politique des individus. Cette égalité réelle permet l’exercice réel de la liberté, qui n’est pas un simple mot mais une pratique. La liberté est faite de liens, non d’arrachements au monde. » [1]
Mais si l’anarchisme prône une liberté indissociable d’une égalité pour toustes, le libéralisme, lui, prône la liberté individuelle au détriment de l’égalité.
Le libéral exige la liberté pour soi, le libertaire exige la liberté pour toustes !
A lire ici : https://rebellyon.info/BROCHURE-Eviter-les-pieges-du-liberalisme-29583
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