Biélorussie : les anarchistes au sein de la révolte contre la dictature

Interview de Pramen, collectif anarchiste biélorusse, sur le mouvement pour la destitution de Loukachenko.

Dans la nuit du dimanche 9 août, en réponse à une élection largement considérée comme truquée, un mouvement de protestation massif a éclaté en Biélorussie contre Alexandre Loukachenko, l’homme fort qui dirige le pays depuis plus d’un quart de siècle. La police a arrêté des milliers de personnes, tiré à balles réelles et assassiné des manifestant.es. De dimanche à mardi, le gouvernement de Loukachenko a apparemment fermé l’internet et les téléphones fixes dans l’espoir d’étouffer les protestations, tout en affirmant que le black-out était l’œuvre de forces extérieures à la Biélorussie.
La candidate de l’opposition biélorusse, Svetlana Tikhanouskaya, a été arrêtée et apparemment forcée à lire un script déclarant que Loukachenko avait gagné les élections et exhortant les gens à “respecter la loi” et à se tenir à l’écart des manifestations de rue avant de fuir en Lituanie. Malgré cela, les protestations continuent. Dans un contexte où l’État a réprimé toute forme d’opposition politique, les anarchistes sont parmi les seuls groupes organisés encore capables de participer à des manifestations de rue. Pour comprendre les événements qui se déroulent, nous avons interrogé de nombreux.ses anarchistes du pays.

Ce n’est pas la première fois que nous avons des raisons de correspondre avec les anarchistes biélorusses. En 2017, les anarchistes du Belarus ont participé en première ligne à une vague de protestation contre une loi obligeant les chômeurs à payer une taxe spéciale supplémentaire au gouvernement. Bien que certains décrivent la Biélorussie comme la dernière résistance socialiste de l’ère soviétique, la classe dirigeante y est engagée dans le même processus d’accumulation de richesses et de suppression de la dissidence que nous voyons aux États-Unis, dans l’Union européenne, en Chine et ailleurs. Nous ne considérons pas le mouvement de protestation en Biélorussie comme une réaction à un régime “arriéré” qui peut être résolu simplement en introduisant la démocratie, mais plutôt comme un énième point chaud aux côtés de Portland et Belgrade dans une lutte mondiale contre les conséquences du capitalisme et de l’autoritarisme.

Par nécessité, la nouvelle vague de protestation en Biélorussie est décentralisée et largement sans leader, adhérant à des tactiques sinon des principes anarchistes. Nous craignons que même dans le meilleur des cas, cette horizontalité actuelle ne garantisse pas un résultat positif. Des mouvements de résistance largement horizontaux ont été à plusieurs reprises cooptés et canalisés pour réinventer les mêmes structures d’État autoritaires - y compris les mouvements qui ont provoqué l’effondrement de l’Union soviétique il y a trois décennies. De notre point de vue, la chose la plus importante qui puisse se produire dans des moments tumultueux comme celui-ci est que les gens développent une analyse plus approfondie des structures du pouvoir et de ce qu’il faudra pour apporter une véritable libération.

Un groupe d’anarchistes a participé aux manifestations aujourd’hui, diffusant environ 1000 tracts affirmant que « toutes les tactiques de manifestation sont importantes » et exposant cinq exigences.

Pour comprendre les développements spécifiques qui ont conduit à cette crise en Biélorussie, nous recommandons cet article de Pramen, le collectif anarchiste que nous avons interviewé. Il est également important de lire leur analyse des raisons pour lesquelles une démocratie électorale plus crédible est insuffisante pour résoudre les problèmes auxquels la population est confrontée en Biélorussie :

“Nous ne devons pas oublier que les anarchistes sont contre cette élection présidentielle, mais contre tout président en général. Le peuple bélarussien sait depuis longtemps que le pouvoir corrompt tout le monde. Loukachenko pourrait être remplacé par un homme politique de l’opposition, qui gardera le pouvoir dans le pays et continuera la répression contre sa propre population. Nous devons nous lever non pas pour avoir un nouveau président, mais pour vivre sans président. La décentralisation du pouvoir devrait être un facteur clé dans la transition de la dictature à une société libre.”

La gauche autoritaire a recherché les machinations des acteurs étatiques occidentaux dans ces événements, cherchant - comme d’autres théoriciens de la conspiration - à les expliquer comme étant les rouages malveillants d’une seule et même entité obscure toute-puissante comme la CIA. Pourtant, le soulèvement en Biélorussie n’est pas particulièrement commode pour les acteurs géopolitiques impliqués. Bien qu’il donne à Poutine l’occasion de faire pression sur Loukachenko pour obtenir davantage de concessions, il pourrait également déstabiliser la Russie. Il interrompt les tentatives des États-Unis de gagner plus de poids dans la région en établissant une relation plus amicale avec Loukachenko. À une époque où la violence d’État, la crise économique et une pandémie catastrophique ont discrédité les gouvernements du monde entier, elle menace de créer un précédent pour une révolte de masse qui pourrait s’étendre. De nombreux commentateur.rices ont noté que les événements en Biélorussie pourraient servir de modèle pour ce qui pourrait se passer aux États-Unis si les élections de 2020 sont contestées.

Partout dans le monde, les structures de l’État laissent tomber les gens et provoquent des mouvements sociaux rebelles. Les courants politiques qui deviennent influents dans ces mouvements détermineront ce qui est possible dans la prochaine génération de luttes. S’il n’y a pas de puissants courants anarchistes impliqués - ou si nous passons immédiatement par pertes et profits des mouvements entiers en raison de la participation de certains éléments réactionnaires - nous rendrons inévitable qu’un plus grand nombre de personnes privées de leurs droits et désespérées soient entraînées dans des mouvements ersatz organisés par des nationalistes, des néolibéraux et d’autres autoritaires, avec des conséquences désastreuses. Dans le mouvement des Gilets Jaunes en France, il était très important que les anarchistes s’y impliquent et se battent pour marginaliser les éléments fascistes et nationalistes qui tentaient de populariser leur modèle de résistance contre le gouvernement centriste de Macron. De même, nous devrions canaliser les ressources et la solidarité vers les éléments anarchistes dans la lutte en Biélorussie.

Toute activité révolutionnaire n’est pas positive. Lorsque les fascistes ont pris le dessus dans la révolution ukrainienne, il était important de comprendre comment cela s’est passé et de déterminer que la victoire de la révolution ne représentait pas un pas vers la libération. Mais l’avenir du soulèvement en Biélorussie n’est pas encore écrit - il pourrait être réprimé, il pourrait être coopté par les démocrates néolibéraux ou les nationalistes, ou il pourrait devenir un point de référence pour la révolte populaire. La suite des événements sera déterminée sur la scène mondiale, à mesure que des luttes comme celle-ci se dérouleront sur les six continents. Nous appelons tous ceux qui se préoccupent de l’avenir de l’humanité à approfondir les liens internationaux de solidarité, à échanger des tactiques et des ressources, et à comprendre ces luttes dans un contexte mondial.

Pour un bilan du soulèvement le plus détaillé au 14 août, lisez ceci. Pour un bilan en anglais des actions de protestation le 11 août, lisez ceci. Et le 14 août est lancé un appel à des actions de solidarité avec le soulèvement, à travers le monde.”

Nous avons interviewé des membres du collectif d’édition anarchiste biélorusse Pramen et, pour nous assurer d’obtenir une perspective bien équilibrée, nous avons également demandé des réponses à un.e autre anarchiste biélorusse de longue date, qui s’est exprimé.e sous couvert d’anonymat. Dans la discussion qui suit, ils et elles explorent le contexte de la crise actuelle, décrivent comment s’organiser sous une dictature répressive et réfléchissent aux conséquences potentielles du soulèvement.

Il y a un appel aux actions de solidarité partout dans le monde le 14 août.

Interview

Donnez-nous un bref aperçu de l’histoire du mouvement anarchiste contemporain en Biélorussie.

Pramen : Comme certains d’entre vous l’ont peut-être entendu, le mouvement anarchiste a été détruit en Union soviétique. La renaissance du mouvement a eu lieu à la fin de l’ère soviétique. Dans les années 1990, les anarchistes ont joué un rôle important dans certains mouvements de base autour de l’écologie, des luttes ouvrières et d’autres questions. Depuis lors, les anarchistes se sont organisé.es en Biélorussie avec des hauts et des bas divers. Il existe au moins cinq collectifs anarchistes organisés : la Croix noire anarchiste, Pramen, Food Not Bombs, la bibliothèque Volnaya Dumka et l’initiative “Really Free Market”. Tous s’occupent de différentes tâches au sein du mouvement, du travail antirépressif à l’organisation d’actions dans les rues. En dehors de ces groupes organisés, il existe plusieurs blogs très connus qui soutiennent le mouvement anarchiste. En outre, un petit groupe d’activistes a organisé une coopérative d’imprimerie qui existe depuis trois ans maintenant.

Il y a eu beaucoup de déceptions depuis 2017. À l’époque, les attentes étaient grandes car l’élan contre Loukachenko se renforçait. Mais ensuite, le soulèvement a été écrasé et tout le monde est retourné à la normale. Beaucoup de gens qui avaient fait de la prison en sont sortis brisé.es ; pour beaucoup d’anarchistes, la normalité n’était pas possible, car les raids, les détentions et la pression psychologique continuaient. Certaines personnes actives ont dû quitter le pays en raison de problèmes avec l’appareil d’État.

Cependant, malgré la déception et ces coups durs, les anarchistes ont continué à s’organiser. Le mouvement n’est pas massif dans tout le pays, il pourrait y avoir plus ou moins 100 anarchistes organisé.es. Ajoutez quelques centaines de personnes de plus qui sont des sympathisants et c’est tout pour un pays de 10 millions d’habitants. Cependant, les événements de 2017 ont également porté un coup aux groupes libéraux et nationalistes organisés ; ils n’étaient pas forts avant et après, la plupart des partis d’opposition ont cessé toute activité de rue. Depuis 2017, les anarchistes sont très probablement la seule force active qui continue à s’agiter dans les rues.

Dans notre collectif, nous faisions un travail médiatique et d’agitation. D’autres groupes organisaient des événements publics ayant une orientation anticapitaliste et anti-autoritaire.

Il est également important de mentionner qu’en termes de classe, le mouvement anarchiste biélorusse ne comprend pas beaucoup d’étudiant.es. Il est principalement composé de différentes parties de la classe ouvrière.

« Belvirus » : des anarchistes ont collé des affiches à Minsk, tenant Loukachenko responsable de la propagation désastreuse du COVID 19 en Bélarus.
Lire la suite du texte sur CrimethInc.

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