Des cars de CRS garés autour. Des CRS en tenue de combat. Des policiers en tenue décontractée mais pas souriant du tout, casquette, avec walkies talkies, des flics en civil. Déjà, ils sont tous là. Celui qui a toutes les composantes de ce déploiement en playmobil est vraiment né dans une famille riche. On se reluque. Je te reluque. Tu me reluques. On se dévisage.
À peine on s’installe pour faire notre banquet, que les robocops nous accostent individuellement et exigent de pouvoir effectuer un contrôle d’identité. On est trop peu pour y opposer une résistance de masse.
Ils visent les plus jeunes pour les intimider : le contrôle d’identité n’a qu’un seul but, l’intimidation. Le militaire exige les papiers. Lorsqu’on les fournit, la relation de domination est instaurée, on est son esclave. Mais pour eux, il y a une route, celle des "valeurs de la République", de laquelle ils ne peuvent pas sortir. Donc, cette domination ne doit pas trop se voir. Tout le jeu pour nous consiste à montrer cette violence. Un contrôle d’identité sur quelqu’un qui n’a rien fait, ni ne prépare rien de dangereux, c’est quoi à part un acte politique contre une personne affirmant des convictions contraires à celles des tyrans ?
Ils embarquent quelques cartes d’identité qu’ils rendront plus tard. Ils se tiennent à côté de nous, veulent savoir ce qu’on va faire, quelles affaires on a apportées. On leur montre les ustensiles de cuisine et les bons plats qu’on va déguster lors de notre banquet. Je choisis ce moment pour m’adresser au chef des CRS, un petit au crane brillant, qui a le noir dans les yeux, le formatage froid dans le visage.
Je lui raconte cette anecdote, à Notre-Dame-Des-Landes, en 2013, où on était deux piétons à transporter un carton de victuailles sur la route. Arrivés au carrefour de la Saulce, on est arrêtés par la troupe de casqués qui nous interroge sur la bouffe.
"– Qu’est-ce que vous transportez ?
– C’est de l’hummus.
– Ah ? Et qu’est-ce que c’est ?" demande l’un d’entre eux.
"– C’est à base de pois chiche" que je répond.
Et là, une tour de contrôle derrière redresse la tête et dis "Hachich ?".
On se regarde, on sourit... Le petit crane rasé devant moi rigole franchement fort de cette anecdote, ses subalternes derrière font pareil, je lui dis "vous ne comprenez pas grand chose à ce qu’on mange". Et je lui tourne le dos, occupé à aménager le stand.
Au fur et à mesure, des gens arrivent. Nous serons peut-être aux alentours de 150 personnes max.
Les individus armés s’écartent mais pas trop loin, entourent la placette et empêchent les gens d’en sortir. Déjà, pour se rendre au rassemblement, il faut avancer vers des militaires en armes, flashball apparents, casques à la main, boucliers, il faut leur demander la permission de passer ou bien faire semblant de se balader sans les avoir vu. Ils vous disent que si on rentre, on ne ressortira pas ! Faut vraiment avoir envie de venir ! Si vous ne connaissez personne, ouf ! Ça cogite grave. C’est le but recherché : l’intimidation, isoler les organisateurs de ces rassemblements du reste de la population.
Dans un échange verbal aux frontières, je m’adresse au chef des policiers, quatre barrettes au galon, et lui précise que l’interdiction de circuler qui nous est faite est politique : il commet un acte politique aujourd’hui. Il répond "manifestation non déclarée, donc interdite". Je répond "vous êtes qui pour décider cela ? Mon arrière-grand-père s’est battu dans les tranchées, mon grand-père s’est battu dans le maquis, c’est pas pour que je sois votre esclave. Si vous portez cet uniforme, si vous parlez français, c’est grâce à mes ancêtres. Je ne suis ni votre esclave ni celui de Vinci". Mais il m’avait déjà tourné le dos, faisant semblant de ne pas m’entendre. Un autre copain leur a parlé comme cela dans l’après-midi, ils n’aiment pas du tout, par exemple, qu’on leur rappelle que ce sont 25000 policiers ont participé à la rafle du Vel’d’hiv’ en 1942 à Paris.
J’ai croisé pas mal de regards inquiets parmi nous. Moi aussi, j’étais pas très rassuré. J’ai du le communiquer. Tout ceci est normal. Certains de ces équipés pour la baston ont de la haine en eux, et si les gradés les laissent faire, s’ils "lâchent les chiens", ça pourrait être notre fête. J’ai déjà vu cela au Testet, on avait repéré les fous furieux qui parsèment les pelotons de PSIG [1]. Des fois, ça ne tient qu’à un fil. Je n’ai pas peur pour moi, je sais pourquoi je suis là, j’ai peur qu’ils ne maîtrisent pas les fous violents qu’il y a dans leurs rangs.
Mais malgré l’inquiétude, malgré l’impossibilité de bouger, ça a été de très bons moments. Déjà, le banquet était un petit festin, avec vin chaud. Dommage j’avais pas faim ! Mais surtout, on s’est mis à discuter dans une ambiance finalement relax, on a même improvisé une AG (merci la copine qui l’a initiée). On a discuté devant les flics de savoir comment on allait partir sans qu’aucune arrestation n’ait lieu. Puis on s’est mis à chanter. De loin, ça devait être pas mal : 100 personnes sur une place en hauteur, complètement encerclée par des robocops, qui chantent à tue-tête...
Une petite troupe a joué un spectacle : la direction de la communication chez Vinci nous a franchement rassuré sur le développement de sa société. Le texte était tiré du site web de la compagnie Vinci : solidaire, citoyenne, durable, équitable, bio-compatible, etc.
Puis, comme on voulait partir tous ensemble, on a constaté que les robocops nous montraient où aller. Il était visiblement hors de question qu’on aille en direction de la rue Croix-Baragnon, vers les bijoutiers et les marchands de costumes trois pièces. Le centre-ville de Toulouse a encore en mémoire les vitrines cassées en novembre 2014, suite à la colère générée par le meurtre de Rémi Fraisse par des gendarmes le 26 octobre 2014 à Sivens (Tarn). On a peur que les vitrines des produits de luxe volent en éclats à nouveau à Toulouse ?
Donc on sort en groupe, on chante, on déploie les banderoles, en passant devant les cordons de CRS et de flics qui nous empêchent d’aller autre part que là où ils veulent, c’est-à-dire autre part que dans les rues les moins passantes, les moins commerçantes possibles. Ils nous lâchent la grappe au monument au mort, alors qu’on s’engouffre dans le marché des brocanteurs.
On apprendra le lendemain que si les flics étaient sur les nerfs, c’était peut-être à cause de feux de palettes bloquant le tramway le samedi matin. Le bobo aux nerfs ? C’est pratique pour éviter d’avoir à réfléchir à ce qu’on est en train de faire...
Dans ce Titanic qui file tout droit devant lui, que reste-t-il à faire d’autre que de tisser des liens entre nous, de conserver la flamme, et de la montrer parfois, toujours plus vivante que jamais ?
Plus on est vivants, plus on les emmerde !
Et plus on les emmerde, plus on est vivants !
L’humanité n’a pas encore dit son dernier mot contre l’inhumanité.
Rendez-vous mardi 12 janvier 19h au CASC, 10 bis rue du colonel Driant, 31400 Toulouse
Pour un retour sur cet événement, et préparer la suite, tranquillement.
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Revue de presse
- Article de Reporterre qui parle de ce rassemblement : Notre-Dame-des-Landes : les opposants à l’aéroport, toujours déterminés, annoncent de nouvelles actions
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