Séance en correctionnel le 28 février 2019 : LA JUSTICE RACISTE EN ACTION
Je me rends au tribual de grande instance le 28 février, pour une séance annoncée comme du « correctionnel détenu », donc à priori pour des personnes en détention provisoire car jugées « dangeureuses pour la société ». Dès mon entrée je suis frappée par le décalage de classes évident : les juges/assesseurs/procureurs sont des hommes blancs (et une ou deux femmes), quand en face les accusés et leur famille sont des personnes racisées, précaires, qui dénotent dans ce temple de la bourgeoisie. Ce décalage sera flagrant à chaque instant du procès. Que ce soit au niveau du langage utilisé, des tirades du procureur ou des réponses de la défense, tout est fait pour rappeler qu’on est dans une justice de classe institutionnalisée.
L’audience a déjà commencé quand nous entrons. Un homme ; l’accusé est sur la gauche, derrière des vitres, accompagné d’un policier assis derrière lui. De l’autre côté de la vitre et face à lui se tient un homme debout : son traducteur. L’accusé ne parle pas français, le traducteur ne prendra d’ailleurs pas la peine de tout lui traduire « pas utile de tout rapporter » se permettra d’annoncer le juge. Chaque geste traduit le mépris dans l’attitude des juges : l’accusé raconte par le biais de son traducteur des faits décousus que nous avons du mal à comprendre, ce qui fait souffler le procureur, ou sourire les assesseurs. Dès mon arrivée, je suis extrêmement gênée. Cette affaire respire profondément le racisme à chaque phrase que prononcera le procureur.
En l’espèce un homme au volant d’une voiture volée, résidant illégalement sur le territoire français, qui à l’occasion d’un contrôle de vitesse accélère sur la police -je ne suis même pas sure d’avoir vraiment compris car ce fait ne semblait pas clairement établi-. Il ne se laisse que très difficilement interpeller (forcément me dis-je, sans papier il est sur d’être la cible numéo 1 de la police) ce qui vaudra un arrêt maladie d’un jour au policier (pauvre de lui, à côté, 5ans de taule c’est pas grand chose). Des témoins viennent alors aider les flics, des rumeurs disent qu’il aurait dit « détester la France », « vouloir tuer les flics » quand la défense s’oppose fermement à cette prétendue affirmation. Pour cette raison, et parce qu’un « opinel est aussi tombé de son pantalon » la piste terroriste est engagée. La défense mentionne un lynchage de la part des policiers, témoignage qui ne sera à un aucun moment repris. C’est bien connu pourtant, la police n’est pas violente, et tout est inventé... On apprend que l’accusé a déjà un casier, a déjà fait un peu de prison, et est enfermé à Seysses depuis déjà 1an.
Un homme discute avec son ami durant l’audience, et répond rapidement au téléphone, ce qui lui vaudra des remarques très cyniques de la part du procureur. « si ça ne vous intéresse pas, sortez, et surtout ne revenez pas » avant de rajouter, « ici on se tient correctement ». Je me revois à l’école avec des profs profitant de leur pseudo autorité pour rehausser leur égo. Le juge renchérit disant que s’il devait encore faire un « rappel à l’ordre », il demanderait aux forces de police de procéder à une expulsion immédiate, voir même d’engager des poursuites.
L’accusé nie les faits, et dit ne pas vouloir aller en prison. Comment se défendre comme il faut lorsqu’on ne parle pas la langue des juges qui vous accusent, lorsque chaque détail est là pour vous rappeler que vous n’appartenez pas au même monde.
S’en suit la tirade du procureur, moment où rester calme dans la salle commence à m’être difficile. Il se lève, tape sur la table, comme dans un show de théâtre médiocre. Il le traite de menteur, l’infantilise pour chacun de ses termes, et dit ne pas « comprendre pourquoi il est venu en France. » il parle de « quelqu’un avec une carrière déjà bien nourrie » avec des « comportements asociaux ». Il lui « pose » alors des questions humiliantes pour lesquelles il n’attend aucune réponse « pourquoi êtes-vous venu en France monsieur puisque vous semblez la détester ? » Il poursuit, « D’ailleurs comme par hasard le français est une langue qui se perd dès qu’on fanchit la porte d’un tribunal ou d’un commissariat. Et c’est pas comme le vélo ça revient pas ! » Cynisme, mépris, racisme sont les trois mots qui s’inscrivent dans ma tête chaque fois que j’entends parler le procureur. Les trois condés en observation devant moi, rient à chacune de ses phrases. Le proc demande alors 5ans d’enfermement, suivi d’une interdiction définitive de résider sur le territoire français ainsi qu’une confiscation de ses biens. - et surtout Bienvenu en France ! vous pourrez visiter ses prisons, être privé de tous vos biens, connaître la misère et ensuite être renvoyé chez vous.
La défense intervient alors et dit qu’elle sait que de toutes façons la prison sera prononcée -« à quoi bon défendre »me dis-je alors cyniquement-, elle demande simplement d’écarter la piste terroriste puisqu’elle dit l’entendre planer en toile de fond depuis le début. Elle mentionne maladroitement un antécédent psychiatrique qu’on ne comprend pas bien, parle de ses diverses déclarations d’identité, de son rapport avec son fils et de son profil personnel.Rien de très convainquant me semble-t-il.
Après la délibération, la sentence tombe : 4ans de taule, interdiction du territoire français, confiscation des biens, et des sommes astronomiques de dommages et intérêts pour un homme qui dit voler pour subvenir à ses besoins. Alors que le juge prononce le verdict, des magistrats entrent tranquillement pour la séance qui va suivre : on est là dans une banalité terrifiante, cette scène se reproduit tous les jours, un verdict prononcé qui raye la vie de quelqu’un, et d’autres qui arrivent pour reproduire infiniment la machine oppressive. Il sort emmené par les policiers et je suis littéralement et physiquement écoeurée. Immédiatement, un homme s’avance à la barre et une autre séance commence. Nous décidons de rester.
Un homme, encore une fois racisé mais qui cette fois-ci parle « bien » français, porte un costard, et n’est pas enfermé. Les faits qui lui sont reprochés : « groupement en vue d’une préparation de violences ou de destruction de biens », ainsi que le port d’une « arme de catégorie D », en l’occurence, un couteau de cuisine à bouts ronds. (sisi). Je me dis qu’il doit forcément y avoir d’autres raisons qui l’amènent devant le tribunal... mais non.
Il est arrêté le samedi 12 janvier à 13h25 alors qu’il se rendait à une manifestation de gilets jaunes. Son sac est contrôlé : on y touve des protèges-tibias, une genouillère, du sérum phy, un lance-pierre, un masque, des lunettes de piscine, un tournevis cruciforme ainsi qu’un couteau de cuisine à bouts ronds dans un sac en plastique avec un pique nique.
Le matériel de protection sert à se protéger dit-il, puis justifie porter le « lance-pierre » pour le rendre à un ami et le « cruciforme » car il bricole de temps en temps. Evidemment le juge ne le croit pas. « ça vous étonne qu’on puisse ne pas vous croire ? » argue-t-il. Le juge lui demande quel était son « état d’esprit » en se rendant à la manifestation, ce qu’il « savait des événements précédents » l’accusé mentionne les blessés. De ce que je comprends, après cette fouille, il part au poste et le lendemain passe au tribunal où une procédure judiciaire est engagée. Depuis, il doit aller pointer tous les samedis à 16h au commissariat de Castelnaudary ville d’où il vient. Homme qui détient un casier judiciaire vierge, qui n’a jamais été condamné, n’est jamais comparu devant un tribunal. Malheureusement pour lui, son prénom ne sonne pas français. Les questions se font alors de plus en plus intrusives « Travaillez-vous ? Quelle est votre qualification ? Vous cherchez du travail dans quel secteur d’activité ? » En quoi ces questions sont censées appuyer le jugement me dis-je, avant de me rapppeler le fond raciste et classiste de la justice. Il s’agit toujours de mettre le plus de distance possible entre l’accusé et le juge.
En vient la tirade de notre procureur qui s’énerve sur le discours de l’accusé qui ne « tient pas la route », il dit « vous feriez mieux de jouer sur le fait que vous n’avez pas de casier au lieu d’inventer des histoires à dormir debout, vous feriez mieux de faire profil bas, sinon ça va clairement m’agacer » Ces derniers mots ont clairement l’allure d’une menace. Il mentionne le « parfait attirail du manifestant qui vient pour en découdre, on en a vu passer au tibunal, heureusement vous n’aviez pas de boules de pétanque vous, ça on en a vu passer, on pourrait même se faire une pétanque ! » Le cynisme continue jusqu’à la cerise sur le gateau avec le laïus sur les droits de manifester, « droit constitutionnel » pour lequel des « gens sont morts ! » [je me rappelle dès lors l’importance de ne plus jamais déclarer nos manifestations], mais, rajoute-t-il « pour montrer son désaccord, tous les moyens ne sont pas bons, pas justifiables. Quand on aura compris ça, on sera grand, grand dans la citoyenneté ! Si ce n’était pas le cas, comme pour bien d’autres manifestants, on ne se serait pas rencontré. ». Il demande 4mois avec sursis pour ce « jeune homme », la défense vient alors appuyer son casier vierge, sa méconnaissance des conséquences de ses actes (type que c’est interdit de porter sur soi un couteau, je l’apprends en même temps) et le fait qu’il aurait « appris de ses erreurs ». Ils disent rendre le verdict à la suite de l’autre affaire qui vient alors commencer. Une affaire de braquage armé ; les accusés sont en taule préventive, un d’eux a mon âge, ça me déstabilise un peu.
Je m’en vais avant que le verdict soit prononcé. Je sors complètement assomée, avec une nausée grandissante. La République enferme, tue et mutile. Je voudrais continuer de crier sur tous les toits que la justice est raciste et colonialiste, que je ne comprends pas comment ce n’est pas une criante évidence, mais il faut absoluement le dire, et le redire et le reredire.
CAS DE COMPARUTION IMMEDIATE 26 MARS A PROPOS DU SAMEDI 23 MARS
Comme la procédure l’indique, le juge demande en début de séance « Vous êtes d’accord pour que je vous juge aujourd’hui ? » Mais se garde surtout d’expliquer que c’est une procédure qu’il a le droit de refuser, qu’il peut demander un délai pour préparer sa défense. Il se garde d’expliquer que dans 90% des cas une comparution immédiate se termine avec une peine de prison ferme.
Il est reparé par l’hélicoptère qui prend un enregistrement vidéo. On le voit en train de donner des coups de pieds dans un container à poubelle déjà incendié et le pousser dans une barricade. La vidéo, très précise est alors immédiatement relayée dans toutes les unités de police. (L’hélicoptère est en capacité de filmer et de prendre des images très précises : donc SORTEZ COUVERT.ES !!) Il est finalement repéré et arrêté par les condés à 18h15 place du capitole lorsque l’ordre de dispersion des foules est donné. Comme d’habitude le juge est condescendant et se permet de couper la parole de l’accusé alors qu’il explique les faits.
« Le masque, les lunettes de piscine... C’est une tenue de combat ? »
« Non M. le président, c’est une tenue de protection »
Il est alors emmené au commissariat central de Blagnac. A 21h15 il met le feu à sa couveture dans sa cellule ce qui envoie 3 flics à l’hosto ayant respiré du monoxyde. Les gardés à vue sont emmenés vers le gymnase du commissariat, et aucun d’entre eux.elles n’est blessé.e.
(TIPS : LE COMMSSARIAT EST TOUJOURS DANS L’INCAPACITE D’ACCUEILLIR DES GARDE-Es A VUE AUJOURD’HUI !)
Le juge se trompe en rajoutant un chef d’inculpation l’accusant d’avoir du cannabis sur lui, repris ensuite par l’avocate...
Tirade Procureur : Elle mentionne un « dossier d’une certaine rareté » et assure que « Ces faits auraient pu être qualifiés de crime » -sous entendu dans le langage juridique = 15ans de taule.- Elle fait preuve d’un cynisme certain « l’envie de mettre fin à ses jours semble s’arrêter rapidement, du moment qu’il se sent en danger. » « soyons sérieux c’est inaudible » « Cet homme semble avoir un problème avec le feu mais semble surtout avoir un problème avec l’autorité. »
Réquisitions =
- 4 ans de taule dont 3 ans ferme sans aménagement possible notamment car « pas de garanties de représentation » + 1 an de sursis
- Obligation de soin
- Interdiction manifs en haute garonne
- Obligation de travailler
- Indemniser les victimes de l’incendie > de l’ordre de 9 000€
La mairie de Toulouse s’est positionnée partie civile pour les dommages. C’est vrai qu’un container à poubelles ça coute cher.
Défense : Alors que l’avocate commence à parler, le juge se permet de lire et de n’écouter qu’à moitié.
Elle explique notamment qu’on lui a refusé le repas au commissariat « tu pourras manger quand t’auras désoulé » Rajoute des éléments personnels ainsi qu’il serait préférable que son travail puisse se poursuivre pour indemniser les victimes qui est de l’ordre de 9000euros.
JUGEMENT =
- 3ANS FERME, MAINTENU EN DETENTION, PAS D’AMENAGEMENT DE PEINE POSSIBLE
- INTERDICTION DE MANIFESTER A PARIS + HAUTE GARONNE PENDANT 3ANS
- OBLIGATION DE SOIN + DE TRAVAIL
- DE 9 000€ DE DOMMAGES ET INTERETS
Il est alors menotté devant une salle pleine et est emmené par les condés.
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