Jurisprudences en action : relaxe des charges de refus de prélèvements d’empreintes et d’ADN

BONNE NOUVELLE dans la lutte contre la répression :
Récemment à Rennes un camarade a été relaxé de toutes les charges portées contre lui, et notamment celles concernant son refus de prélèvement d’empreintes et d’ADN. Son avocat a fait valoir les dernières décisions du Conseil Constitutionnel et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en la matière. Ces nouvelles jurisprudences vont rendre difficile la tâche des procureurs et des policiers pour renforcer "la répression de basse-intensité" contre le mouvement social.

VICTOIRE ! RELAXE SUR LES CHARGES DE REFUS DE PRÉLÈVEMENTS D’EMPREINTES ET D’ADN

Nouvelles jurisprudences

Ce jeudi 29 juin 2017, un camarade passait devant le tribunal correctionnel de Rennes pour deux affaires à priori distinctes, mais jointes en raison de chefs d’inculpations communs :

AFFAIRE N°1 : [Recel de palettes avec deux circonstances aggravantes : effraction par ruse, escalade et vol en réunion.]

Le 2 juin 2016, une action de blocage économique était organisée par la CGT devant les entrepôts de Logidis Carrefour market au Rheu, durant laquelle des palettes avaient été récupérées sur un chantier voisin pour faire un feu devant la porte.

Les quelques gendarmes présents sur place n’interviendont pas, mais convoqueront plus tard le camarade au motif que sa voiture aurait été repérée sur les lieux en train de transporter les fameuses palettes.
Après avoir refusé de répondre à leur convocation le temps de préparer sa défense et ses garanties de représentation, le camarade choisira de se rendre un vendredi à la fin du mois d’octobre (afin d’éviter notamment une comparution immédiate qui ne peut avoir lieu le week-end). Après plusieurs mois à préparer son passage à la gendarmerie, il choisira de ne rien déclarer à l’OPJ et sera placé en GAV pendant une dizaine d’heures, durant laquelle il refusera également donner ses empreintes et son ADN.

Les gendarmes, à défaut d’éléments pouvant justifier d’une quelconque mise en détention ou contrôle judiciaire pour le recel, le remettront en liberté avec une convocation neuf mois plus tard.

AFFAIRE N°2 : [Refus de se soumettre au prélèvement d’empreintes, et refus de se soumettre au prélèvement d’ADN.]

Le 4 mai dernier, il était interpellé lors d’une nasse de la dernière manifestation "ni Macron ni le Pen".

Après avoir été conduit au poste pour une vérification d’identité avec une douzaine d’autres personnes, les flics avaient alors posé la condition suivante :
ou les personnes se soumettaient directement à la vérification d’empreintes sur la borne (qui sert d’ordinaire au prélèvement de la signalétique),
ou elles étaient placées directement en garde à vue durant laquelle il leur serait immanquablement demandé de donner leur empreintes + leur ADN (cette fois sous la forme de prélèvement et non de vérification), avec du coup la menace de poursuites pénales pour ce nouveau refus.

Qu’importe le fait de donner son état-civil complet, qu’importe que les gens soient enregistrés sur le ficher des immatriculations (censé être accessible en temps réel pour les keufs), le procureur avait ordonné le placement en GAV direct de toute personne qui refuserait cette consultation immédiate.
Face à au refus de base des personnes arrêtées, les officiers de police judiciaire présents sur place ont insisté lourdement sur le fait que cette vérification des empreintes, bien qu’effectuée sur la machine permet leur prélèvement en GAV, n’engendrerait pas de stockage des informations, et donc à priori pas de fichage...

Habitués aux mythos des flics, les camarades ont discuté un moment de la pertinence d’un refus, qui les conduirait à priori directement en GAV (où ils refuseraient la signalétique avec des poursuites à la clé) dans une situation où aucune infraction n’avait été constatée et il où semblait possible d’éviter une judiciarisation qui tendait à devenir systématique en cas de refus.
Le cas prêtait d’autant plus à débat que l’un d’entre eux avait déjà effectué cette vérification à Lyon quelques mois auparavant, et qu’il était possible de constater directement sur la machine rennaise si un prélèvement engendrant un fichage avait été effectué à cette occasion.

Après consultation de la machine, les flics ont annoncé au camarade qu’ils n’avaient aucune trace de lui, et qu’il pouvait quitter le commissariat.
Après hésitation, la plupart des personnes ont décider d’accepter la "consultation" des empreintes, avec évidemment la très pénible impression de n’avoir aucune prise réelle sur ce nouveau dispositif des flics, visiblement pratiqué dans plusieurs grandes villes françaises.

Trois camarades, déterminés à refuser cette injonction ou ayant hésité trop longtemps, se verront placés en GAV pendant une dizaine d’heures, et convoqués au tribunal à différentes dates, dont celle du 29 juin pour celui qui était déjà poursuivi pour le recel de palettes.

- LE PROCES -

Plus d’un an après l’action qui lui a valu sa convocation, le camarade se retrouvait au tribunal correctionnel face à des juges sensiblement différents de ceux qui ont présidé les procès des militants jusqu’à présent : dernier à passer de la journée, les affaires qui se sont succédées avant la sienne étaient marquées d’une certaine mesure en matière de sanction, et d’une volonté d’affirmer une justice "pédagogique" à l’encontre des prévenus, aux antipodes de l’abattage sordide et brutal auquel on peut assister en comparution immédiate.

L’avocat avait transmis ses conclusions à l’ensemble de la composition du tribunal, évitant de fait des incompréhensions liées à la fatigue ou des quiproquos liés à l’explication purement orale de l’affaire.

Celui ci est catégorique : il demande la nullité de la procédure pour le refus de signalétique dans les deux cas, et la relaxe pour le recel de palette.

La nullité est exposée dès le début de l’audience, coupant l’herbe sous le pied aux questions qui pourraient être posées au prévenu (le camarade faisant savoir directement aux juges qu’il ne souhaiterait pas répondre aux questions). Elle est demandée sur la base de deux types de failles fondamentales du dossier des flics :

SUR LA FORME :

Les gendarmes de Mordelles qui l’ont placé en GAV pour le recel de palettes n’ont pas formellement inscrit la question du refus ou non de la signalétique dans leur PV d’audition, en se contentant de notifier son refus dans une note qu’ils rédigent eux-même. Pour l’avocat, il s’agit d’une façon d’agir irrégulière dans la mesure où les flics pourraient choisir eux mêmes de notifier un refus de signalétique, sans même à passer par l’avis de l’interpellé.

Les flics qui l’ont placé en GAV au mois de juin dernier pour le refus de vérification d’empreintes, n’ont pas fourni de PV d’interpellation, enlevant de fait de la procédure les motifs qui pourraient justifier de son interpellation. Son PV d’audition est d’ailleurs rédigé par des OPJ du service d’accueil de jour, et non pas la BAC qui a mené les interpellations dans la nasse, ce qui reflète une situation judiciairement absurde dans laquelle une personne se trouvant sans raison particulière au poste (sans même d’éventuelles suspicions à son encontre) devrait se justifier de ne pas y avoir donné ses empreintes et son ADN.

Par ailleurs, la vérification des empreintes sur la borne électronique n’est obligatoire que lorsqu’il s’agit de l’unique moyen dont disposent les forces de l’ordre de s’assurer de l’identité d’une personne interpellée. Le format de quatre heures de cette procédure est précisément dédié à la recherche d’éléments pouvant permettre l’identification : registres d’état-civil, présences de justificatifs dans la fouille, inscription au registres des immatriculations, vérification au domicile, fichier de traitement des antécédents judiciaires etc...
Dans le cas présent, les demandes de vérifications d’empreintes avaient été (volontairement) faites dès l’arrivée des camarades au poste, les obligeant à prendre une décision rapide permettant pour les flics de faire à moindre effort le tri entre les personnes susceptibles ou non de refuser la signalétique.

SUR LE FOND, l’avocat à versé deux jurisprudences qui viennent casser la validité de la procédure :

Du Conseil Constitutionnel (avec jurisprudence de la Cour d’Appel de Rennes N°17/00281) :

La première concerne la vérification d’identité elle-même, qui a été justifiée le jour de la manifestation par une ordonnance du procureur permettant de conduire au poste toute personne ne pouvant justifier de son identité dans un périmètre qui englobe le centre-ville rennais.
Ces ordonnances, définies dans l’article 78-3 du Code de Procédure Pénale, sont notamment celles qui permettent la mise en place de nasses permettant la rétention à l’air libre des manifestants pendant une durée qui correspond justement aux quatre heures réglementaires de la vérification d’identité.
Ainsi, selon les dispositions de l’article 78-2 alinéa 6 du CPP : "sur réquisitions écrites du procureur de la Républiques aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat".

Or, le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 24 janvier 2017, a décidé que pour être légalement viables ces ordonnances devaient justifier d’un lien entre le périmètre sur lesquelles elles s’appliquent et le type d’infraction recherchée (type vol, effraction, stup, détention d’armes et d’explosifs, comme on trouve habituellement dans les ordonnances qui permettent les arrestations et la nasse des manifestants).
Le texte est assez clair : "ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d’aller et de venir, autoriser le Procureur de la République à retenir les lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions". [1]

Dans le cas de l’arrestation du Pont Pasteur, le périmètre défini par l’ordonnance regroupait donc l’intégralité du centre-ville pour des délits sans rapports avec une zone aussi étendue, détournant de fait la fonction de l’article 78-3.

L’avocat de l’inculpé avait d’ailleurs déjà obtenu une nullité sur un contrôle d’identité le 20 juin 2017 sur une décision de la Cour d’Appel de Rennes, dont les conclusions appliquaient précisément l’injonction du Conseil Constitutionnel.

De la Cour Européenne des Droits de l’Homme :

La CEDH, dans une décision du 22 juin 2017, a sanctionné la France pour un usage disproportionné du prélèvement ADN qualifié d’atteinte « disproportionnée » à la vie privée.

L’affaire, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, concerne une affaire de violence sur agent (en l’occurence avec un parapluie) d’un agriculteur du Pays Basque, un délit qui motive souvent les arrestations de manifestants [2].

L’avocat s’est montré très clair avec le tribunal sur ce point : "Nous sommes face à une législation française inconventionnelle, et je vous rappelle ce que l’on nous apprend dès notre 1ere année de droit, la hiérarchie des normes dans le droit". C’est-à-dire qu’en la matière une décision européenne prévaut sur une législation nationale. Les juges et le procureur n’ont pas fait de commentaires.

Sur le recel de palette, l’avocat a soulevé le vide intersidéral du dossier des gendarmes, qui n’avaient fait qu’un récit indirect de l’action (relatant ce que leurs collègues pensaient avoir vu sans dresser avec eux un PV d’observation) et n’avaient aucune preuve formelle (photos, témoignages directs...). L’avocat a affirmé très clairement que son client n’était pas sur place (ce qui de fait pouvait annihiler le recel), que ça n’était pas sa voiture, et qu’en l’absence de preuve tangible, il devait être directement relaxé des faits qui lui étaient reprochés.
Cette situation contrastait fortement avec les menaces des gendarmes lorsque le camarade s’était rendu au poste de Mordelles en octobre dernier, où face à son silence un de ces derniers lui avait assuré qu’il l’avait formellement identifié et qu’il témoignerait contre lui.

Le réquisitoire du procureur, visiblement blasé par le niveau des éléments dont il dispose face à l’argumentaire, est famélique : sans citer le moindre élément sur le fond, il évoque "un dossier de police plus mince que les conclusions de la défense" en soulignant que "les gendarmes n’ont pas mis les moyens dans cette affaire".

Très clairement informé sur les principes de nullité évoqués sur le contrôle d’identité (il était lui même procureur sur la décision de la Cour d’Appel d’où vient la jurisprudence), il reconnaît la validité des arguments de l’avocat de la défense : "aucune infraction commise pouvant justifier une contrainte", l’article 78-3 n’a de fait pas été respecté".

Assez résigné, il finit par demander 400 euros d’amende pour le recel des palettes.

Battu en brèche, le réquisitoire est renvoyé aux oubliettes : le camarade est RELAXÉ des deux chefs d’inculpations.

Pourquoi ce procès est une victoire importante :

Dans la vague répressive assez catastrophique que le mouvement rennais a connu ces derniers mois (affaire du motard, affaire des témoins...), cette relaxe est une bouffée d’air là où le sentiment d’écrasement de la mobilisation sociale devenait proprement insupportable.

Si les faits reprochés au camarade sont de fait assez mineurs, la procédure menée à son encontre par les service de police et de gendarmerie est à l’image de la politique de harcèlement et de sanction par la procédure (plus que par la peine définitive) que nous avons évoqué à plusieurs reprises dans nos compte-rendus.

Au même titre que pour les "grosses affaires", il nous semble absolument prioritaire de mettre en échec cette répression de basse-intensité, qui peut s’avérer à la longue extrêmement coûteuse et décourageante, notamment pour des personnes venant à peine de s’impliquer dans les luttes.

Les interpellations et les poursuites pour refus de signalétique était un symbole de ce harcèlement policier et judiciaire low-cost, qui ne se justifiait même plus de la moindre infraction réelle pour arrêter des gens et les faire rentrer manu militari dans la machine pénale.

L’attitude du camarade, qui a gardé le silence, refusé de fournir ni empreinte ni ADN, et choisi le moment qu’il jugeait opportun pour se rendre à sa convocation au poste (après avoir fait attendre les gendarmes pendant plusieurs mois), s’est révélée être clairement payante au bout du compte (sachant qu’il est possible de ne pas s’y rendre du tout).

Alors que les flics n’ont cessé de bluffer sur leurs moyens de coercition et les éléments à leur disposition, c’est parce qu’il ne leur a pas donné la moindre matière à mener leurs investigations qu’au bout du compte, ils se sont retrouvés face à leur propre misère en matière d’investigation et de moyens alloués à ce type de procédure.

Et pour cause : cette politique de harcèlement ne tient que par une complaisance des juges à l’égard des procédures bâclées par leur caractère industriel. Dès lors que des défenses structurées apparaissent (notamment autour de jurisprudences comme celles du Conseil Constitutionnel ou de la CEDH), les tribunaux sont contraints d’être beaucoup plus rigoureux dans l’examen des réquisitoires sous peine de se faire casser en Cour d’Appel.

Dans l’espoir que cette relaxe en engendre une multitude d’autres, nous appelons à faire tourner cette information le plus largement possible, et à nous envoyer les infos sur les autres procès où ces types de défense auraient été éprouvés.

Pour que la lutte continue, défendons-nous collectivement !

LA DÉFENSE COLLECTIVE RENNES

P.-S.

Pour nous joindre : defense.collective@riseup.net
Facebook : Défense Collective
Documentation & réflexions : https://defensecollective.noblogs.org/

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