Dans les réus, dans les manifs (comme quelqu’un.e l’a récemment dit ici). Je pensais savoir ce que je faisais ici, dans ce « milieu militant » - dont je ne sais plus trop ce qu’il veut dire, et qui finit, on dirait, par désigner davantage un groupe d’ami.e.s, de connaissances plutôt que des personnes engagées dans des luttes. Je pensais trouver des objectifs politiques communs à toutes ces personnes. Des stratégies différentes, certes, mais du moins l’envie commune de soulager le monde d’un peu de sa souffrance.
On souhaite, il me semble, abolir les rapports de domination. Pour cela, me semble-t-il toujours, il faut que les dominé.e.s s’émancipent. Et pour s’émanciper, il faut qu’ielles prennent conscience de leur condition.
Je ne sais pas pour vous, mais moi, je ne suis pas née avec un doctorat en militantisme option déconstruction. J’ai appris assez tôt à m’y intéresser, j’ai rapidement intégré les concepts de base, mais je continue d’apprendre, tous les jours. Et encore, j’ai de la chance : j’ai des facilités à apprendre, à lire, ce qu’on appelle un capital culturel, j’ai évolué dans le milieu universitaire... Mais dois-je vraiment rappeler qu’on n’a pas tou.te.s les mêmes accès aux savoirs ?
Il me paraît donc nécessaire -arrêtez-moi si je me trompe- de faire de la pédagogie.
C’est dingue ce que le mot « pédagogie » a pris une connotation négative.
« J’vais pas m’emmerder à faire dans la pédagogie », « ça sert à rien », « Faire de la pédagogie ? Mais quoi, tu veux massifier c’est ça ? » (rire moqueur à l’extrême gauche).
« Massifier » aussi, l’insulte suprême. Si on te soupçonne de vouloir massifier, tu nies immédiatement, tu baisses la tête en rougissant, croisant les doigts pour que personne n’ait entendu ou ne le répète.
Certaines choses semblent être devenues des évidences qu’on ne peut plus questionner, qu’on a arrêté de questionner.
Moi, je ne comprends pas ce qu’il y a de négatif dans le fait de vouloir partager ses idées.
Ni dans l’envie, l’espoir d’être plus nombreux.ses à se battre.
Je pense qu’il faut aussi se rappeler que notre but, au fond, c’est pas d’attaquer des personnes, mais bien de dénoncer des systèmes.
Qu’à chaque fois qu’on méprise quelqu’un.e en particulier, on nie le fait que c’est la société qui lui a appris ce qu’ielle recrache.Que les outils qu’on utilise, les solidarités qu’on crée, n’ont pas comme objectif premier de punir, dénoncer, diaboliser des individus.
Alors oui, évidemment, la pédagogie c’est difficile, surtout quand ça touche à des questions de domination, c’est douloureux, c’est long et complexe. On n’a pas tous les jours la force, le temps, l’énergie pour en faire. Oui, les dominant.e.s sont lentes à la détente, et susceptibles avec ça. C’est qu’ielles ont toute une vie à reconsidérer.
Qu’on soit bien clair-e-s : je ne vous demande pas de rester souriant.e quand un.e bon.ne vieux.ille sourd.e de l’oreille vous crache son venin alors que vous buviez tranquillement un coup avec vos potes.
Crachez-lui à la gueule.
Pas non plus de faire de la pédagogie 24h/24, 7 jours sur 7. Même dans vos cadres militants.
Non, juste de garder en tête que vous aussi, vous êtes passé.e par là. Vous n’avez pas compris, au début. Vous avez dit des énormités. Vous avez regretté. Vous avez essayé, vous avez fait des erreurs. Bref, vous avez appris.
Et puis, en tant que dominé.e aussi, vous avez dit des conneries. Vous avez clashé vos semblables. Vous vous êtes tu.e. Et depuis, vous galérez à vous en sortir, de ce comportement. Vous avancez, certes, tant bien que mal. Mais ça laisse des traces, une vie passée à s’écraser.
Est-ce qu’on doit vraiment en vouloir aux personnes qui regardent au loin ? C’est pas facile à regarder, un vécu de domination. Alors, celles.ux qui essaient, qui se trompent ? Est-ce qu’on pourrait pas essayer de communiquer ?
Au moins en partie. On ne doit pas faire QUE ça. Bien sûr. Mais pour l’instant, je la vois nulle part, la pédagogie.
Pourtant, l’éducation populaire, on connaît, non ? C’est un truc de militant, ça. On a l’occasion d’aller faire des formations, on a des potes, des connaissances, qui ont les moyens de nous apprendre des trucs. Au final, tout ce qu’on sait, on l’a pas appris que dans des livres, on a appris avec elles.eux. On l’a appris en faisant, en essayant, en se trompant.
On pourrait arrêter de renvoyer ceux.elles qui n’y connaissent rien sans leur demander leur reste parce que « s’iellles sont vraiment intéressé.e.s, ielles liront, y a Google maintenant quand même ».
Est-ce qu’on est pas censé.e.s vouloir être le plus horizontal, le plus bienveillant possible ?
Elle est où, l’horizontalité, quand un groupe de personnes bien rodées aux codes militants t’envoient bouler parce que tu savais pas ?
Et la bienveillance, elle est où, quand tu te sens trop nul.le pour aller aux réus, pour parler, pour t’investir, parce que t’as toujours peur de dire une connerie ?
Quand t’oses pas demander ce que ça veut dire ci ou ça, pourquoi ceci semble évident à tout le monde sauf à toi, parce que t’as peur du ricanement collectif, ou du silence, tout simplement, parce qu’ielles sont quand même « pas là pour faire de la pédagogie » ?
A quel moment on a décidé que la pureté politique prévalait sur nos luttes ?
Peut-être que c’était déjà là. Que je n’avais juste pas compris. Que je me suis juste trompée de camarades.
J’espère pas.
Parce que cette paralysie dans laquelle je me sens quand je n’ose plus rien dire ou faire de peur que ce ne soit pas assez bien, pas assez révolutionnaire, pas assez anti-raciste, féministe, anarchiste...
Cette paralysie, je la connais : je ressentais la même avant de vous rencontrer.
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