Celles qui ne brandissent pas de pancartes mais qui, sans savoir écrire, ont géré des années de vie dans le pays des papiers et de l’administration. Celles dont les livres ne parlent pas et qui, chaque matin, nettoient les salles de classe, les couloirs, les métro et les halls d’immeubles qui permettent aux autres d’aller les étudier. Celles qu’on distingue à la marge, qu’on prend de haut ou de loin, qu’on suppose étrangères aux luttes féministes, étrangères tout court puisque pour être féministe, il suffirait de savoir épeler ce mot. Celles qu’on oublie, qu’on éloigne, qu’on ignore, alors même qu’elles incarnent au quotidien la force, le courage et la résilience de toute lutte contre les systèmes de domination. Comment est-ce qu’on compte celles qui ne comptent pas ?
Celles qui, loin de l’oeil médiatique, mènent des grèves et gagnent des combats face aux hôtels qui les exploitent. Celles qui luttent encore, les femmes de chambre, à Marseille et ailleurs. Celles qu’on assassine en silence, qu’on découvre sans émois, parce qu’elles travaillent avec leur corps comme outil. Celles qui habitent en banlieue et font des kilomètres pour aller étudier. Celles qui en plus d’étudier, aident les petits frères et les petites soeurs à le faire. Celles qu’ont les mains qui marquent, qui rassurent, rugueuses, à la peau épaisse et qui sentent l’huile d’olive jusque dans les plis des phalanges.
Celles qui se sont levées le matin pour faire Empalot – Quint Fonsegrives à pieds pour quelques heures de ménage. Celles qui ont eu trois emplois en même temps pour pouvoir faire grandir leurs sept enfants. Celles qu’ont gardé la tête haute quand le bus n’a pas voulu ouvrir ses portes pour les laisser monter, parce qu’elles portent le voile. Celles qui sont allées porter plainte face à des policiers méprisant, celles qui sont allées jusqu’au procès et qui n’ont rien lâché. Celles qui se sont faites violentées lors des perquisitions de leurs frères. Et celles qui font six heures de route par semaine pour trois quart d’heure de parloir avec leur fils, leur frère, leur mari. Celles qui ne sont pas dans les cortèges parce qu’elles sont encore en train de défoncer, silencieusement, les portes du patriarcat à coup de résistance. Et celles qui même absentes, font la force de tout ce mouvement. A nos grands-mères, à nos mères, à nos soeurs. Les gardiennes de nos histoires et de nos quartiers.
Cette année, j’ai vu à Toulouse des affiches placardées aux murs, des tags, des pochoirs, rappelant les prénoms et âges des personnes victimes de féminicides. Et je me demande : comment est-ce qu’on compte celles qui ne compte pas ?
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