L’art est vandale ou censure

Suite au journal de la mairie de Toulouse d’avril 2016 (n°43 –avril –mai 2016), what’s new pussycat ? [1] avait publier un petit article sur la question du graff à Toulouse. Nous vous le proposons en complément de l’article Rose béton et amère déception.

Le mur blanc

Il est un mythe qui prétend que le blanc est symbole de pureté. Peut-être mais la vie laisse des traces et un mur bariolé n’en est que plus vivant. Ces murs de couleurs unies choisies dans une palette normée par quelques législateurs sont notre décor quotidien. « Propres » ils ne ressemblent qu’aux parois d’un labyrinthe pour souris. Ils ne sont là que pour nous séparer. Alors qu’au contraire, on pourait envisager les murs comme des espaces d’expression et de créativité.

Mais qui choisit ce que portent ces murs ? Qui possède la face extérieure des murs ? L’habitant n’a pas forcément le choix. La mairie traque l’expression que cela lui plaise ou non et restreint les choix de déco. Le choix du mur blanc est en réalité imposé. Qui se soucie de demander aux voisins et voisines ce qu’ils pensent d’un tag avant de l’effacer ? Combien sommes-nous à nous arrêter devant une nouvelle inscription ou admirer la calligraphie d’une autre ? Le malheur du graffeur est qu’il ne connait jamais l’écho de sa création, au point que certains déclarent « Il a fallu que les galeries d’art s’intéressent au milieu du graff pour que la population s’y intéresse aussi. » [2] Ainsi c’est encore l’institution qui décide ce qui est beau... Alors que dans nombre d’autres pays la censure des graffs n’est pas prise en charge par la mairie, ici c’est une guerre asymétrique : notre maigre budget contre l’armée tentaculaire de la mairie...

Mais heureusement notre nombre fait notre force : « Près de 137 500 m2 de surfaces taguées en 2014 à Toulouse, soit environ 14 terrains de football, un vrai fléau [...] qui « semble » se stabiliser. [...] ça coûte un bras à Toulouse (près de deux millions d’euros par an) » [1]

Pour comprendre le rapport entre le pouvoir et le graff nous allons utiliser la voix du maître dans notre région : la Dépêche.

Graff ou tag ?

« En tout cas, les murs et façades peinturlurés avec un mauvais goût certain – à ne pas confondre avec les graffs ou le Street art – sont légion dans la Ville rose » [1].

Il existerait deux formes de peinture murale. Le tag, caractérisé ici par son coté « mauvais goût » et le graff qui lui est du Street art (c’est-à-dire côté en bourse). Le journal est bien embarrassé et aimerait trouver une façon de différencier ce qui est tendance de ce qui est vandalisme. Ainsi la question de la définition est régulièrement abordée :

« Il [un graffeur] commence par en donner une définition simple : « le travail de la lettre avec un médium : la bombe » [4]
« Le tag souffre de son côté interdit, mais c’est une des composantes du mouvement Graffiti, elle en est même la base. » [5]
« Reso : Le graffiti, c’est une forme d’art de la rue, qui se pratique avec des bombes de peinture. À la différence du « tag », qui est uniquement une signature.
 » [3]
« Le graff porte le sceau de l’illégalité, et c’est normal. C’est sa raison d’être. » [3]

Donc, si il semble que personne ne soit capable d’établir vraiment une différence, il en reste deux choses principales : le médium qui est toujours la bombe et la question du rapport à la légalité. Mais là c’est flou. Le tag est toujours illégal, mais au final le graff l’est aussi ? Alors c’est quoi la différence entre le bon et le mauvais graffeur ?

Le mauvais graffeur

Le mauvais graffeur ben c’est la personne qui s’exprime sans demander la permission. Qui parle sans en faire un business. Là, c’est criminel et il faut le chasser. La mairie nous l’a appris : il faut dénoncer le graff. Allô Toulouse n’en est qu’une facette. Dans cette guerre, c’est tout le monde qui doit participer :

« On essaye de démultiplier les actions, pas seulement au niveau du nettoyage, mais aussi repérer, détecter, c’est ce qu’on demande aussi aux employés de mairie, aux policiers municipaux » [1]
« Toulouse Métropole veut, en matière de tags, amplifier le réflexe de « détection ». » [1]

Cette déclaration prouve bien qu’il ne va pas de soi d’associer le tag et la dégradation. C’est un apprentissage que force la mairie par le biais de ses affiches de propagande et aidé par des médias qui se retrouve dans la délicate situation de devoir vanter le Street art qui se raréfie de plus en plus, tout en justifiant sa chasse.

Mais même dans le vandalisme, il y a différentes catégories : « Tags haineux, antisémites, signatures anodines, tags étudiants, tags très haut sur les murs, les agents de nettoyage en voient de toutes les couleurs. » [1]

Vous répondrez qu’en effet, la liberté d’expression n’est pas de pouvoir dire qu’il faut exclure les autres. Mais la suite est plus drôle. En exemple de la profusion de message que peuvent véhiculer les murs : « Récemment, rue d’Aubuisson, on pouvait lire ce message : « autogestion, skins antifascistes », consciencieusement barbouillé sur les façades du quartier. Pour ce genre de tags tendancieux, la Métropole ne lésine pas sur les moyens et le temps » [1]

Au final c’est la lutte contre le fascisme qui est tendancieuse... Et l’expression politique est la principale ennemie de la mairie.

Le bon graffeur

On l’avait déjà cité dans le numéro précédent : « Pour éviter cette dégradation liée à une expression libre qui ne va pas dans l’intérêt de la ville, pourquoi ne pas confier ces surfaces à des collectifs de graffeurs ? » « Cette initiative doit être bien pilotée avec des artistes rémunérés »

Voilà ! le gentil graffeur, c’est l’artiste. Mais qu’est ce qui fait un artiste ? « Autrefois vu comme une pratique vandale, le graff est aujourd’hui mieux considéré par les riverains. Ce changement de mentalité est dû selon Beynet, au professionnalisme qui s’est invité dans le milieu. » [2] La professionnalisation transforme le vandale en artiste. Que signifie cette professionnalisation ? L’intégration dans un système marchand, la vente de sa capacité de création à des entreprises ou des institutions... La volonté de vivre d’une activité nous rend évidement dépendant de ceux qui ont de l’argent à nous filer. Les clients sont les ennemis d’autre fois :

« Airbus [...], l’Oréal l’an passé. » [4]
« Il est même marrant de voir que certains qui ont eu des amendes énormes sont aujourd’hui des artistes reconnus ! Ils travaillent avec ceux qui les attaquaient il y a quelques années... » [5]
« il ne faut pas se le cacher, aujourd’hui c’est devenu tendance d’avoir un graff chez soi ou sur le mur de son entreprise. » [2]
« Bien qu’elles [les fresques] soient différentes, elles ont toutes la même particularité : ce sont les propriétaires des murs qui les ont commandées. » [2]

Pour échapper à l’usine, l’artiste bosse pour faire la propagande du chef d’entreprise. D’ailleurs il est intéressant de voir à quel point cette catégorie revient régulièrement dans les articles. L’art aux mains de l’artiste ne permet plus l’expression d’un message personnel, mais celle des pouvoirs sociaux.

En plus du message, le support change. Allant à l’encontre d’un art de rue offert à tous : « Certains adaptent même leurs tags sur des toiles qui deviennent ensuite des œuvres... » [5] Le passage de la rue à la galerie n’est rien d’autre que la privatisation de l’expression. Le développement de l’artiste, gagnant de l’argent à perfectionner son art, est une limite à la créativité des gens qui complexent sur leur talent. Il va de soi que l’on comprend que des individus profitent de l’opportunité de vivre de leurs passions. Mais cela ne doit surtout pas nous censurer et nous empêcher de toyer [6] leurs œuvres.

Moudenc, un ami du graff ?

Là nous laissons la parole aux « artistes graffeurs » interrogés par la Détresse du midi :

« Dans les années 80, la mairie avait une politique ouverte aux arts de la rue, cela n’a jamais dérangé les Baudis père et fils de voir des graffitis en ville. Au début des années 2000, le graff a commencé à avoir plus mauvaise réputation, on a inventé les « brigades » anti-tag. Le graff a été assimilé aux tags, et effacé de la même façon. Il a quasiment disparu du centre-ville. » [3]
« Pensez-vous que la Ville de Toulouse a su s’adapter à cette nouvelle vague ? Pas vraiment. Si on parle de la mairie, il n’y a pas de véritable volonté. Toulouse était une ville phare du Graffiti dans les années-90. L’usine JOB, véritable musée du graffiti à ciel ouvert au début des années 2000 a été complètement réhabilitée et les graffs effacés. » [5]
« Y a-t-il encore des lieux de graff tolérés par la mairie ? De moins en moins. Historiquement, la rue Gramat à Arnaud-Bernard, la rue du Coq d’Inde à Esquirol l’étaient. Gramat, c’est encore le cas, un peu. Les bords du Canal latéral ? Ils n’ont jamais été vraiment tolérés officiellement, c’est compliqué. » [3]

En conclusion, Toulouse n’est en rien la capitale du graff, mais sans doute une des villes françaises où la lutte entre un art et les institutions est la plus médiatisée.

L’art est vandale ou censure

Notes

[1What’s new pussycat ? C’est un petit journal de 8 page A5 qui sort de manière très irrégulière, qu’on peut trouver notamment à terre nova ou au grès des hasards dans des bars ou des manifs.

[6action consistant a recouvrir un graff avec un nouveau visu ou juste le pourir

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