La bombe agricole se transforme en pétard mouillé... Compte-rendu du procès d’un manifestant

Le 2 juin dernier avait lieu une opération de barrage filtrant aux Ponts Jumeaux dans le cadre de la lutte contre la Loi Travail. Un manifestant avait été interpellé. L’affaire avait fait grand bruit (c’est le cas de le dire.) Le Parisien écrivait alors : « Chargés de dégager la voie publique, [les CRS] ont été accueillis par des pétards et des « bombes » agricoles lancées par les manifestants, dans le quartier de Ponts Jumeaux. Les policiers souffrent « d’importants troubles auditifs », des acouphènes, ont précisé le syndicat Unité SGP Police FO et la Direction départementale de la Sécurité publique. » De refus de comparution immédiate en reports d’audience (quatre mois que le prévenu est soumis à un régime strict de contrôle judiciaire), l’affaire n’a été jugée que ce mercredi 28 septembre au Palais d’injustice. Récit d’une audience de deux heures.

Pour accéder au lieu du crime, c’est le parcours du combattant. Premier barrage filtrant à l’entrée du Palais, où l’on ne laisse passer que les personnes munies d’une convocation. Puis, quand les digues finissent par céder, c’est pour mieux se reconstituer aux portes de la salle d’audience, où l’on ne laissera entrer les dizaines de camarades venuEs en soutien qu’au compte goutte, et encore, pas touTEs.

Seule la présence de quelques robes noires différencient la salle d’audience d’un commissariat. Huit flics qui se constituent partie civile sont assis côte à côte au devant de la salle, bien entourés par leur comité de soutien. Saluons celui qui, prenant soudainement conscience de lui-même en regardant ses collègues serrés tout contre lui, s’exclame : « Une belle brochette ! » J’aurais volontiers rajouté un mot ou deux à cette allocution, mais sachons nous satisfaire de ce qu’on a.

Les magistrats prennent magistralement place dans la salle et l’audience peut commencer. Un homme de la quarantaine, manifestement atteint de troubles psychiatriques, rentre dans le box dans l’indifférence générale. Juges, proc et avocats se mettent à débattre de la pertinence de le juger le jour même alors qu’il manque une expertise psy. Celle-ci aurait permis de savoir si c’est d’une abolition du discernement dont Monsieur souffrait lorsqu’il a foncé sur un barrage de flics, écrasant au passage le pied d’un héros de la nation, ou d’une simple altération. Parce qu’il manque la-dite expertise au dossier d’instruction, on s’engage dans un débat que personne ne maîtrise sur le profil psychiatrique du prévenu, dont le casier est quasiment vide. Dans le doute, on le renvoie en taule jusqu’à ce qu’un expert veuille bien nous persuader qu’il y a toute sa place. Rendez-vous en novembre !

Notre camarade interpellé le 2 juin est appelé à la barre. Ce jour-là, une centaine de militantEs qui n’aiment ni la loi, ni le travail, alors la loi travail... effectuaient un barrage filtrant aux Ponts Jumeaux, jusqu’à ce que des CRS viennent les en déloger. Alors que les manifestantEs se dispersaient sans faire d’histoire, un pétard a été jeté en direction de la brave flicaille. Ce geste ne pouvant rester impuni, une personne attrapée au pif dans le tas en fin de dispersion devait faire l’affaire, et nous voilà réuniEs quatre mois plus tard pour voir la Cour lui donner l’extrême onction.

Dix fonctionnaires de police se sont constitués partie civile (leurs tympans auraient été endommagés) en plus de... l’État (on dit que ses oreilles aussi auraient sifflé). Le juge énonce les faits : violence volontaire avec usage d’une arme sur agents dépositaires de l’autorité publique ayant occasionné moins de huit jours d’ITT [1].

Il appelle un flic à venir témoigner. Il lit sa déposition à voix haute : « Vous dites avoir vu un individu jeter un projectile en votre direction, individu que vous n’avez ensuite pas perdu de vue jusqu’à l’interpellation ». Gêné, le policier répond « Euh, je ne l’ai pas perdu de vue jusqu’à ce qu’ils bifurquent dans une petite rue, mais on les a retrouvés quinze minutes plus tard ! » Un œil de lynx...

Il est ensuite demandé au policier de se retourner pour faire face à l’accusé. « Reconnaissez-vous formellement cette personne comme étant l’auteur du jet de projectile ? » « Oui. » L’opération se répète avec trois autres fonctionnaires ayant fait les mêmes dépositions.

A chaque « oui », la salle rit d’un rire jaune. C’est une chose de savoir que la police ment. C’en est une autre de la voir faire les yeux dans les yeux, dans une mise en scène dont seule la justice a le secret.

La parole est à la défense. A 32 ans, l’accusé travaille et n’a aucun casier. Il explique les raisons de sa présence dans cette manifestation et nie avoir lancé le pétard qu’il a lui-même reçu dans les pieds. Au président qui lui demande pourquoi les policiers disent l’avoir vu lancer quelque chose, il répond qu’ils ont du le confondre avec une autre personne, vu qu’il n’était pas le seul ce jour là à mesurer entre 1m70 et 1m75, à avoir une barbe naissante et à porter des vêtements sombres et une casquette. Conclusion du juge : « D’accord, donc l’histoire est simple. Quatre policiers vous reconnaissent formellement. Vous dîtes qu’ils vous prennent pour quelqu’un d’autre. On vous dira ce qu’on en pense après avoir entendu ce que vos conseils ont à nous dire. » Traduction : l’usage nous oblige à vous donner la parole, mais ne vous faites pas d’illusion, les dés sont jetés !

La défense fait citer trois témoins. Avant de leur faire prêter serment, le juge prend le temps de les intimider bien comme il faut : « J’attire votre attention sur le fait que vous vous apprêtez à faire des déclarations sous serment devant une juridiction, en cas de témoignage mensonger vous pourriez être poursuivi et puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. » Tout le monde n’a pas droit à tant d’égards.

Le premier témoin est professeur des écoles, militant à la CGT. Première question du président : « Avez-vous été témoin d’une explosion ? » « Oui. » Long silence... rires dans la salle. Vexé, le magistrat lance avec dédain à l’attention des avocats : « Vous l’avez convoqué, interrogez-le ! » Bref : il a même pas envie de faire semblant de s’intéresser.

Alors que le syndicaliste présente les raisons de sa présence sur le point de blocage, le juge l’interrompt, visiblement agacé : « Vous avez conscience que votre action est tout-à-fait illégale, en cela qu’elle porte atteinte à la liberté de circuler garantie par la constitution ? » Que fait la Cour Européenne des Droits de l’Homme ? Le tyran répond qu’il a souvent mené de telles actions avec son syndicat et que jamais les policiers n’étaient intervenu avec tant de brutalité et aussi peu d’inclinaison au dialogue.

Le témoin raconte qu’il était en première ligne (tout comme l’accusé) devant les flics, et qu’il a vu le pétard arriver de derrière et tomber à ses pieds. Il montre avec ses mains la taille du pétard : quelques centimètres.

Tracassé, le juge l’interrompt et demande aux policiers de venir à la barre. « De quelle taille était le projectile ? » Les bleus confirment plus ou moins ce que vient d’affirmer le témoin. « Dans les procès verbaux vous parlez de ’bombe agricole.’ J’imaginais quelque chose de plus.. » (écarte ses mains d’un demi-mètre.) Éclats de rire non contenus dans la salle. « Donc il s’agit bien d’un pétard. » Pitoyables, les policiers répondent, comme des gosses pris le doigt dans le pot de confiture : « Oui, oui, un pétard mais qui pour sa taille a fait un bruit impressionnant ! » Pas autant qu’une grenade assourdissante, on espère ?

Alors que le témoin est appelé à se rasseoir, il prend la parole. « Je peux rajouter quelque chose ? J’ai reçu le pétard à mes pieds, j’ai été travailler le lendemain. » Sourire crispé du juge. « Mais vous avez les tympans à l’épreuve du feu ! » Décidément, on rigole bien aujourd’hui...

Après que l’on a entendu les trois témoins qui disculpent touTEs l’accusé d’une manière ou d’une autre, c’est l’heure des plaidoiries. L’avocat des flics se lance. En gros : l’accusé n’a aucun courage, c’est un lâche, ils disent tous la même chose, ce n’est jamais eux : ils sont encapuchonnés, encasquettés (sic), mais jamais violents ! Bon sang, mais pour une fois, qu’il y en ait un qui OSE !

Nous croyons avoir atteint le sommet de la médiocrité oratoire quand soudainement, déjouant tout pronostic, l’avocat annonce qu’il va citer Coluche. Lui, au moins, on pourra pas dire qu’il ose pas. Les rires dans la salle recouvrent presque son charabia. « En France, on a le droit d’être en colère, mais il faut demander gentiment ! » Merde. On se pince. Il a pris Coluche au premier degré !

Il continue sur sa lancée : « Ils disent qu’il n’a pas lancé le pétard. Donc des personnes dépositaires de l’autorité publique mentent, c’est ça que ça veut dire ! » CQFD. « En plus on sent dans leurs propos une pointe d’humour, d’ironie. » En termes d’humour, il n’est pas en reste ! « A les entendre, on croirait qu’un policier d’un mètre quatre-vingt dix s’est cassé un ongle. Eh bien non, ce n’est pas ça ! » Les cheveux sont touchés ? « On s’imagine qu’on attaque l’État quand on attaque ces hommes. Mais ce sont des hommes. Ils assurent notre liberté constitutionnelle de circuler... Et ils en paient le prix fort ! » L’effet, complètement raté, provoque logiquement une certaine hilarité dans le public.

L’Etat parle par le biais de son avocat. Il demande 2 000 € de dommages et intérêts, en plus des 17 000 € demandées au civil [2] : le coût des arrêts maladie. Eh oui, bien que n’ayant que deux jours d’ITT, certains flics anti travail mais pas anti loi se sont accordés une semaine de congé. OKLM !

C’est au tour de la proc. Elle s’étonne que le prévenu n’ait pas fait appeler les témoins pendant sa garde à vue. S’agit-il d’un nouveau droit inscrit dans le Code de Procédure Pénal ? Ou juste d’un excès de mauvaise foi d’un ministère public à court d’argument ? Pas besoin d’appeler la legal pour connaître la réponse...

Constatant que le ridicule ne tue pas, elle affirme ensuite que le prévenu « ne portait pas la tenue du manifestant pacifiste. » Quel est ce mystérieux dress code ? Des tongs, un pantacourt ? On veut savoir ! En ce qui concerne notre camarade, il ne portait qu’une casquette renforcée, une arme de catégorie zéro.

Agile, elle trouve un beau compromis entre la thèse de la « bombe agricole » et celle, plus décevante, du pétard. Voilà comment on découvre le « pétard agricole. » Depuis Bourdieu, on sait que les enfants d’agriculteur.ices ne deviennent pas magistratEs...

Et un pétard agricole, ça vaut bien 12 mois de sursis mise à l’épreuve avec interdiction de partir à l’étranger, de se rendre à Toulouse, et obligation de voir régulièrement la juge d’application des peines afin qu’elle s’assure que tous les sous que l’on gagne iront bien dans la poches des flics menteurs, n’est-ce pas ?

Les avocats de la défense appuient sur le fait qu’il n’existe aucune preuve matérielle, aucune image. Les dix policiers qui se portent partie civile ont reconnu le prévenu par le biais d’une photo de mauvaise qualité leur présentant trois personnes, dont une seule portait la barbe. Le signalement radio ayant évoqué à plusieurs reprises un homme barbu, le QCM était de niveau flic +3. Iels plaident donc le doute raisonnable, un doute qui ne permet pas de rentrer en voie de condamnation.

L’histoire serait-elle moins simple que prévu ? Les juges , en tous cas, demandent du temps pour délibérer, et rendront leur verdict le 19 octobre à 14h.

En attendant, comme toujours, à bas l’Etat, les juges et les prisons !

Notes

[1Interruption Temporaire de Travail

[2L’avocat de l’Etat a demandé à ce que ce procès civil soit reporté à une date ultérieure afin d’évaluer les séquelles des fonctionnaires et d’ajuster en fonction.

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un-e administratrice/administrateur du site. Nous rappelons que les compléments d’information n’ont pas vocation à être des lieux de débat. Ne seront publiées que des informations factuelles.

Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Qui êtes-vous ?
  • Votre email, facultatif (si vous souhaitez pouvoir être contacté-e par l'équipe de Iaata)

Publiez !

Comment publier sur IAATA?

IAATA est ouvert à la publication. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment y accéder et procéder ! Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous contacter.