La cantine sans foie ni lois

Une cantine autonome tous les dimanches sur la place saint-pierre
Depuis quelques mois, tous les dimanches sur une place bien connue du centre ville de Toulouse, nous nous ramenons avec une remorque chargée de casseroles, une table, des valises remplies de fringues, et nous nous installons pendant quelques heures pour un repas partagé entre toutEs. Certes, manger ensemble c’est grave chouette :) mais pourquoi cette occupation, si c’est pas juste un pique-nique entre potes ? Ben justement, nous aimerions apporter quelques petites explications... pas du tout objectives, s’entend.

C’est gratuit car c’est à vous

La carotte du bonheur technocratique, c’est fini, on n’y croit plus. Mais pour les capitalistes, le pire serait que la machine s’arrête, alors ils brandissent le bâton : le bâton de la précarité, le bâton de la mise à l’index, et bien sûr le bâton du flic : c’est tu travailles, tu consommes, et tu te la boucles. Et les poubelles de l’Occident débordent... alors nous avons pris le parti d’utiliser ces surplus sous la forme d’un repas offert librement. En parallèle, nous créons une zone de gratuité, « tu prends ce dont tu as besoin, tu laisses ce dont tu ne veux plus ». Créer un espace où le partage n’est pas outrage, sortir de ce système marchand qui fait de chacun.e de nous des calculettes incontrôlables. Tout simplement parce que ça nous fout la rage d’être sans cesse pris dans les desseins malsains du système capitaliste, sous les néons sinistres de sa foire au consumérisme, dans le fétichisme absurde de ses petits bouts de papier. Rangez donc vos porte-monnaies, tout le fonctionnement du collectif est basé sur un système de partage de matériel, de temps et d’idées.

Reprenons ensemble le contrôle de nos villes et de nos vies

Y a pas à chier, en ce moment, Toulouse se bouge ! Aux quatre coins de la ville des actions collectives, joyeuses ou enragées, bousculent l’ordre établi et tentent de s’organiser sans l’aide (donc sans la tutelle) de personne. Avec un info-kiosque et des collectifs nous rejoignant occasionnellement, nous comptons bien joindre nos voix à la rumeur grandissante de la dissidence. Sans relâche, notre société du grand spectacle met en scène la menace d’un ennemi intérieur voire inconscient... Couverte par les menaces ronflantes (et auto-réalisatrices) du terrorisme et de l’insécurité, la répression choisit ses cibles là où elle l’a toujours fait : chez les pauvres et les gêneureuses. Nous pensons qu’il faut nous regrouper pour nous libérer, pour mettre ensemble des bâtons dans leurs rouages : Nous, les sales anarchistes, les djihadistes vert.e.s, les dou.x.ces rêveureuses, les parasites, les casseureuses, les chômeureuses, les terroristes de l’ultra-gauche, bref les emmerdeurs et les emmerdeuses, nous serons au rendez-vous. Pas de chef.fe chez nous, que des petites mains et sur cette base d’autogestion, nous encourageons chacun.e à venir mettre sa patte. Théâtre, musique, nourriture, brochures, affiches, dons de vêtements... toute initiative est bonne à prendre ! La rue nous appartient, quoi qu’en pensent M. Moudenc, maire de Toulouse, ou JC Decaux, pollueur visuel.

Nous ne respectons pas la nature, nous sommes la nature

Sous prétexte de faire respecter l’« ordre naturel », on défend le sexisme, le racisme, l’homophobie. Mais derrière les métaphores douteuses et les pseudo-théories scientifiques, on invoque en fait ainsi une volonté supérieure, une religion de plus en somme, pour paraître justifier l’injustifiable. De la même manière, c’est sur une différence prétendûment "naturelle", en l’occurrence d’espèce, que se fonde l’oppression incessante et massive des animaux non-humains : on parle alors de "spécisme". On nous a appris à penser que le devenir des non-humains se confond avec "ce que la nature a prévu" : les chats sont faits pour attraper les souris, les moutons pour être tondus, les poulets pour être rôtis. Mais qui a défini ainsi la « nature animale », si ce n’est les hommes de pouvoir qui ont œuvré pour défendre leurs intérêts depuis des siècles, en domestiquant, en hybridant, en déforestant, en monopolisant les terres pour y mettre leurs troupeaux ? Qui, si ce n’est les mêmes qui veulent nous enfermer dans des usines, dans des écoles, dans des bureaux, dans des prisons ? Alors vu que nous pouvons nous nourrir sans les manger, vivre sans les exploiter, vu que ni Dieu ni Nature ne dictent nos destins ou les leurs, rien ne nous empêche d’être solidaires avec ces milliards d’individus sensibles, conscients, ressentant la douleur et ne souhaitant pas mourir qui sont torturés tous les jours. C’est un combat politique et collectif, dont le but est de changer le monde—pas un "mode de vie" ou une discipline personnelle visant à sauver nos âmes ou alléger notre conscience. C’est pourquoi tous nos repas sont véganes, c’est-à-dire sans viande, poisson, œufs, produits laitiers, ni miel, même si nous ne sommes pas tout.e.s véganes à titre individuel.

Nous sommes bien conscient.e.s de ne rien inventer

Les Diggers dans les années 60 s’activaient déjà dans les rues de San Francisco pour en faire un théâtre de leur liberté, une mise en scène d’un monde sans argent basé sur l’entraide et l’autogestion. Actions choc théâtrales, bouffes gratuites, free shops, fanzines, chacun.e apportait sa touche active et créative. Leurs mots d’ordre : "everything is free" (tout est gratuit/libre) et "Do your own thing" (réalise-toi et choisis ton action). En plus de fournir un réseau de gratuité de plus en plus complet (de la santé au logement en passant par la bouffe), iels ont marqué les esprits par leurs happenings osés et sans complexes. Comme la fois où, prévenu de l’interdiction de jouer leur pièce dans un parc l’un d’eux mit en scène sa propre arrestation. Ou alors quand illes manifestèrent, déguisé.es en animaux, pour la mort de l’argent et que pour l’occasion illes transportèrent un cercueil qui se remplissait peut a peu de dollar à travers la ville. La police finit par garder les marionnettes en prison… Food Not Bombs depuis les années 80 prend la rue à coup de fourchette en partageant un repas sauvage aux saveurs anticapitalistes, antimilitaristes et libertaires. De l’action directe se passant de toute autorisation pour créer un espace de partage, de réflexion et de rencontre dans la rue, pour arrêter de s’y croiser sans se voir. En bref, attaquer les rouages quotidiens du modèle capitaliste, révéler les fondations les plus révoltantes de notre société : exploitation animale, crimes et absurdités de l’industrie alimentaire, individualisme exacerbé,... et amener la réflexion sur le militarisme croissant, la dérive sécuritaire et autoritaire de nos sociétés, et l’appropriation privée de nos biens communs - notamment la rue. Avec le temps, cette petite gangrène s’est exportée, disons que ça a permis une mise en réseau de collectifs similaires. Et de fait, rendu la chasse au repas libre plus facile, si le hasard ne fait pas affaire. Un petit clic sur l’interface Food not bombs (http://www.foodnotbombs.net/FRANCE.html) et une petite chance de trouver un collectif dans la ville en question. Disons tout de même que Sans Foie Ni Lois, c’est Sans Foie Ni Lois, que si nous mentionnons les Diggers et Food Not bombs c’est juste pour certaines valeurs partagées, mais tenons loin l’idée d’une fusion totale, tenons hors de portée les confusions.

Nous ne sommes pas charitables

La charité permet de justifier la pauvreté : pourquoi s’attaquer aux racines, puisque, grandeur d’âme des riches, les pauvres ont de quoi manger ? La charité permet ainsi de justifier l’ordre de domination, car le pauvre est gardé dans la dépendance du riche qui sauve sa conscience en lui donnant ses miettes, diminuant du même coup le risque de lutte. Cette vision idéale est bien sûr en tension avec celle qui voit dans chaque pauvre un criminel, et l’époque actuelle est marquée par cette inquiétude. En ce qui nous concerne, nous ne souhaitons pas participer à la gestion de la misère et laissons ça aux diverses organisations qui complètent le gouvernement. La bouffe que nous laissons à libre disposition nous la mangeons avec vous. Nous ne sommes pas différent.e.s de vous et refusons d’être des donateurices : toute personne qui passe manger un bout sera peut-être celle qui fera à manger la semaine d’après. En somme, nous ne cherchons pas à "donner" mais à partager. On va se répéter mais si "c’est gratuit", c’est bel et bien "parce que c’est à vous" !

Pascifiste que ça

Va t’on en vouloir a un esclave de détruire ses chaînes ? Pourtant elles ne sont pas a lui, c’est donc de la dégradation de bien privé ! Est-ce que c’est de la "violence", au sens où cela fait souffrir un autre être sensible ? Difficile à dire sans tomber dans des généralités ou des contradictions. C’est pourquoi nous pensons que l’idéologie dite "non-violente" est en grande partie construite sur des mensonges et par des institutions réactionnaires. Ce que nous pouvons affirmer, en revanche, en toute subjectivité, c’est que la violence on la subit tous les jours, du réveil qui contrôle notre rythme de sommeil aux images de publicité qui nous avilissent. Rien qu’en payant la TVA, on participe à la violence des soldats qui brandissent la bannière de l’impérialisme français et des policiers qui assurent le racisme d’État. De Mandela à Thoreau, l’idée qu’il est légitime de combattre avec force ces outils de domination est toujours présente (surtout pour Mandela qui était partisan de la lutte armée ^^ ). La cantine Sans Foie Ni Lois est un des nombreux outils de lutte qui sont à notre disposition et nous refusons de nous enfermer dans des positions de principe. Ainisi nous ne nous déclarons pas plus "non-violentEs" que "violentEs". Si la cantine est un moyen de création d’un espace nouveau, il faut être conscient/e que c’est un espace qui ne peut survivre que temps qu’il ne gêne pas vraiment le pouvoir et, après ça, que si nous avons un rapport de force favorable. C’est le même principe que pour toute zone occupée. Comme le disent les diggers :" Fleur ou fusils [...] Vous pouvez avoir les deux, mais vous ne pouvez pas tirer avec des fleurs et les fusils ne sont jamais que de foutus pots de fleurs."

P.-S.

Retrouvons nous chaque dimanche à partir de 18h sur la place saint Pierre.

Le collectif sans foie ni lois


À lire également...

Publiez !

Comment publier sur IAATA?

IAATA est ouvert à la publication. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment y accéder et procéder ! Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous contacter.