Petit rappel des faits
Depuis 2010, le projet dénommé Toulouse Euro Sud Ouest (TESO) est en gestation. 220 hectares du centre-ville soumis à la réflexion intense des gestionnaires, ça promet ! On nous disait alors « Dans ce périmètre, les allées seront transformées, l’habitat ancien dégradé fera l’objet d’une attention particulière, les bords du Canal seront réaménagés et desservis par la ligne Canal du Tramway. Une cinquantaine d’hectares pourraient être concernés par des nouvelles constructions (habitat, commerces, immobiliers d’entreprises). » [1]
Le cœur du projet c’est la gare qui, avec ou sans TGV [2], doit devenir un nœud de transport [3] et un « pôle d’attractivité économique », « une vitrine de la métropole ». En bref, l’emprise s’étend du pont Pompidou (allée Jean Jaurès) à la rue Cazeneuve [4] où vont s’ériger plus de 41 terrains de foot de bureau [5], presque 7 de commerce et 2500 logements. Si la grande majorité du projet va se faire sur l’emprise ferroviaire existante et des terrains occupés par des bâtiments techniques de la SNCF, l’avenue de Lyon, la rue des jumeaux et la rue des cheminots vont être en grande partie détruite pour laisser place à « l’avenir ».
Pour comparaison, la ZAC de Borderouge c’est 1220 logements et 16 000 m2 de bureaux. À cette démesure horizontale il manquait un « geste fort » symbolisant le projet, ce sera la tour d’Occitanie, 150 mètre de mépris dans la gueule des toulousain.ne.s. Si le TESO a bénéficié d’un travail d’acceptabilité sociale [6] la tour, elle, est annoncée sans aucune précaution mais avec toute la propagande dont est capable la Dépêche du Midi.
Ainsi, le journal local n’a eu de cesse de nous vendre le projet comme un fait accompli et une « chance » pour la ville.
Petite revue de presse : Le 15 mars le journal annonce une « spirale verte » et nous montre dans, une vidéo « époustouflante », le « futur gratte-ciel toulousain », le 17 mars on apprend que pour des riverains « l’Occitanie Tower sera un peu notre carte de visite » pour faire bonne mesure elle relaiera tout de même la parole de « quelques conservateurs, pour qui rien ne doit bouger ». Le 18 mars nous avons droit à la publicité pour les « lofts avec vue imprenable sur la Ville rose et les Pyrénées ». Enfin, alors que la grogne monte un peu, le journal publie in-extenso l’argumentaire des promoteurs.
Une contestation assez faible
Le projet TESO a fait peu de vague, entre ignorance et enfumage, il n’y a pas eu grand monde pour remettre en question le projet [7]. Depuis 7 ans, l’EPFL [8] organise la désertification des immeubles à détruire avec une certaine roublardise : location à bas prix pour des artistes, relogements précaires pour des populations fragiles. L’effet de vide est ainsi en partie compensé tout en éloignant la menace d’une mobilisation dans le future, une expulsion lente, à bas bruit, en quelque sorte.
La tour, elle, semble un peu plus agiter les esprits. Quelques protestations se sont fait entendre ici ou là et un collectif « non au gratte-ciel toulousain s’est constitué dénonçant une erection tower. Si la contestation devient plus diverse il semblerait que c’est dans un rétrécissement de perspective qui, se concentrant sur la tour oublie le quartier d’affaire qui va avec. C’est le sentiment qui reste après le débat organisé salle Castelebou le 27 septembre 2017, on retrouve des arguments très proche de ceux développé à cette occasion dans la retranscription d’un débat public organisé par une instance de Toulouse métropole ou bien lors du passage de l’animateur du collectif sur canalsud dans le cadre du magazine. Il n’est pas inintéressant d’examiner ces arguments pour en percevoir les limites.
Le débat public dans l’ombre de la tour
C’est à peu près sous ce titre que le CODEV [9] publie un document de 4 pages résumant les échanges d’un café débat organisé en septembre 2017. Sans disserter sur l’ensemble du document qui n’est qu’une synthèse et qui ne saurait exprimée un point de vue particulier, on peut tout de même y relever des arguments que l’on retrouve souvent : le manque de concertation, les nuisances quotidienne, la laideur et, plus timidement ici, l’impact social.
Quelques extraits
C’est d’abord l’absence de concertation dans la décision de faire la tour qui est dénoncé, est-ce que ce serait mieux si les édiles nous avait demandé gentiment ?
Ce sont surtout les habitants, associations et instances locales associés au dispositif de concertation sur le projet TESO (à l’intérieur duquel se situe la tour Occitanie) – dispositif jusque-là salué pour sa qualité – qui se sont déclarés les plus surpris : lors des derniers ateliers de concertation qui se sont tenus avant l’été, la possibilité d’un quartier d’affaire et d’immeubles d’une hauteur maximale de 50m semblait actée. Après l’été, la Tour Occitanie s’était invitée dans le périmètre du projet TESO, sans avoir fait l’objet d’aucun débat.
À partir de cette capitulation les arguments se concentrent donc sur la forme : « ombres portées, réverbérations des nuisances sonores de la gare et des boulevards, risques d’éblouissement et accentuation des îlots de chaleur du à la réverbération du soleil, augmentation des flux de personnes et de véhicules dans une zone déjà engorgée » tout en appelant à un « projet urbain cohérent ». Enfin, la note se termine en pointant un « projet chargé symboliquement » et là, ça se corse.
Dans un contexte social qui se tend, le projet est susceptible de cristalliser le ressentiment de certains toulousains. Les quartiers directement aux abords de la Tour sont – ou étaient encore il y a peu de temps – des quartiers populaires de la ville, où l’on s’inquiète des risques de gentrification. Comment la co-existence entre, d’une part, les cadres, touristes et résidents fortunés de la Tour et, d’autre part, les autres habitants du quartier et les usagers du pôle multimodal de la gare a-t-elle été pensée ? Si le pied ou les abords de la Tour deviennent un lieu de tensions, ne risque-t-on pas d’y voir fleurir portiques de sécurité, vigiles et mobilier urbain anti-SDF ? Autant de questions qui manifestent chez les participants au débat le souci de l’insertion de la Tour dans son environnement social.
Tous ces problèmes n’ont rien de « symbolique » et les marchandages proposés seraient presque comique par leur naïveté si l’enjeu n’était pas si dramatique pour les personnes concernées certainement absente de ces débats.
Pour éviter que la Tour Occitanie – déjà rebaptisée par certains la « Tour Occinantis » -ne se coupe du reste de la ville, il a semblé nécessaire à nombre d’entre eux (les participant.e.s au débat) que soient incluses au projet des contreparties en termes d’espaces publics, de logements sociaux, de locaux pour les associations et autres aménités accessibles pour le commun des toulousains dans son environnement. Le souhait a également été formulé d’une réflexion plus poussée sur les flux de personnes et les usages du pied d’immeuble, espace qui doit assurer la liaison entre la gare, la médiathèque et les futures ramblas des allées Jean-Jaurès.
Contre la tour d’Occitanie et son quartier d’affaire
Il est urgent de recentrer la discussion sur l’ensemble du quartier d’affaire et de TESO. En effet, les nuisances sont à craindre avec ou sans la tour. Déjà la dégradation de l’environnement avenue de Lyon et alentours est sensible, rendant difficile la vie des habitant.e.s qui s’y trouve. Rappelons que le problème numéro 1 dans cette ville comme tant d’autre est celui du logement. Bon nombre de logement sont vides et se dégradent [10] tandis que beaucoup d’habitant.e.s sont maintenu dans la précarité de baux précaires. Bien sûr on nous dira qu’il s’agit de construire du logement à terme, mais du logement pour qui ? Certainement pas pour ceux et celles qui se trouvent déjà là. Et quand on parle de logement, il faut parler plus généralement de quartier habitable, vivable, ce qui sera rendus difficile dans l’environnement promis. En effet, la construction massive de bureau semble acquise. Quelle est la vie qui va avec ces bureaux ? À quelle vie de quartier est promise cet espace avec une population essentiellement présente la journée ? De jour, ce sera costard et salade bar, et le soir, le désert. Dans tous les cas ce qui se profile c’est l’éloignement des populations les plus précaires.
Les dégâts du projet sont déjà perceptibles avenue de Lyon mais vont être accentué par le démarrage des travaux. Combien de temps cela va-t-il durer ? Quels effets sur la vie des quartiers environnants ? Fermeture des commerces, dégradations des logements, encombrements des voies de circulation, c’est l’ensemble de la vie quotidienne dans cette partie de la ville qui va être impactée. De fait, ce sera le meilleur prétexte pour justifier la « rénovation » du quartier. Sans compter que le quartier d’affaire et la tour sont destiné à jouer un rôle de levier dans « l’attractivité de la ville » : attirer les grands comptes (des sièges de multinationale), augmenter les chances que le TGV arrive, attirer encore plus de flux touristique, etc. Sans compter les bénéfices immédiats d’une telle opération immobilière [11] qui ne peut qu’accentuer la gentrification générale de la ville.
Pour la cristallisation du ressentiment contre le quartier d’affaire et le projet urbain
Les villes sont depuis longtemps le support de l’organisation du travail : stoker et contrôler la main d’œuvre, la déplacer sur les lieux de travail, permettre sa reproduction et ce, en assurant une rente foncière non négligeable. Aujourd’hui, il faut en plus que les métropoles produisent de la richesse en optimisant au maximum ces fonctions premières et en étant des éléments, symboliques et pratiques, de « l’attractivité ». Si la tour contient symboliquement tout le mépris du projet TESO, le projet TESO symbolise lui le mépris général du projet urbain de la métropole pour les toulousain.ne.s. Du Grand Projet de Ville à la troisième ligne de métro en passant par le parc Garonne (la liste complète serait trop longue), les discours de l’amélioration du cadre de vie, de réponse au enjeux environnementaux et économique [12] tentent sans cesse de nous faire oublier les échecs précédents : Grands ensembles, quartiers d’affaires (St george, Compans Cafarelli), etc. Et ce, pour nous vendre encore une fois des promesses de modernité et d’avenir radieux que nous paieront, comptant ou pas, en perdant tout bonnement la ville où nous évoluons et aimons vivre.
Celle-ci n’est certes pas parfaite et il ne s’agit pas de défendre de manière nostalgique des espaces particuliers, mais plutôt de prendre la mesure de ce que nous allons encore perdre si ces projets se déroule sans heurts.
Les dégâts collatéraux de TESO, à quoi viendront s’ajouter les effets de la ligne de métro Airbus [13], seront d’abord une hausse généralisé des loyers et des prix d’achat [14]. Notons que le prix du logement s’envole déjà à Toulouse à l’achat ou à la location [15] depuis 10 ans. Pour finir les discours qu’inspirent l’urbanisme, qu’ils soient porter par des collectifs ou comités de quartier, ou par des gestionnaires (élu.e.s ou non) laisse de côté la question sociale. En parlant de la Ville comme un tout, ce sont les hiérarchies sociales, les inégalités, les conditions d’existences particulières, qui sont évacuées. "Cristalliser le ressentiment", c’est faire vivre les clivages sociaux et faire valoir les intérêts de ceux et celles qui ne sont pas invité.e.s au banquet de la spéculation immobilière.
Comment faire ?
La constitution d’une lutte contre ce projet nécessite un gros travail d’information puisque, réalisé en grande partie sur des terrains non habités, il n’y a pas une population importante directement concerné par des expulsions. Faire percevoir à l’avance les dégâts que peut causer un tel projet n’est pas chose aisée. Il semble possible de faire le lien avec la question du logement. Dans une ville qui en manque cruellement alors qu’elle déborde de bureau vide, il serait possible de construire plus de 3000 logements à la place des bureaux et ce sans toucher au bâtit habitable existant (donc sans destruction de logement). Sans vouloir rentrer dans la constitution d’une alternative gestionnaire plausible, démontrer l’existence d’autre choix doit permettre de souligner le caractère politique des décisions trop souvent prise sous couvert de « gestion », de « réponse aux problèmes » etc.
D’une manière générale, et ce malgré une activité intense de propagande par la mairie, l’ignorance sur la teneur et la réalité du projet est importante dans la population. Le nom même de TESO n’est pas très connu des toulousain.ne.s. Peut-être que la présentation, simplement factuelle, de ce qui est en train d’arriver pourrait entraîner plus de contestation. Ce faisant, il importe de casser l’illusion de l’unité de la Ville, des "habitant.e.s" de Toulouse. Nous subirons différemment ces transformations du fait de notre réalité sociale. Comment faire émerger cet antagonisme dans la rue, au sein des espaces de concertations, dans les médias, dans les imaginaires ? Rendre impossible que la ville se construise ni contre nous, ni sans nous.
Dans cette perspective l’articulation avec les effets de la dite "rénovation urbaine" notamment dans le cadre du GPV est à réfléchir. L’épisode actuel de destruction des collèges au Mirail relève, à une autre échelle, du même mépris.
Peut être que nous devons également croire un peu que nous pourrions y arriver. À Toulouse, des personnes ont réussi à s’opposer à la construction d’une voie sur berge préservant un des éléments centrale de la vie dans cette ville [16], son accès au fleuve.
Nous sommes dans un moment beaucoup plus tendus du fait de la multiplication des projets et des moyens mis en œuvre qui donnent le tournis, pourtant le projet TESO est tout aussi absurde que les précédents et tous les moyens seront bons pour s’y opposer.
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