« Plus coupole que métropole, plus Ravelin que centre commercial »

JEUDI 7 JUIN. PLACE DU RAVELIN. MINUIT ET DEMI.

C’est les fêtes dans le Quartier. Les fêtes de Saint-Cyp’
Sur la place du Ravelin quelques boulistes jouent encore à la pétanque, à la fraîche, à la lumière des lampadaires. Les terrasses des deux bars encore ouverts sont bondées quand, dans un joyeux bordel, une centaine de personnes débarque sur le terter. Pour le tournage d’un clip paraît-il. Du son commence à sortir d’une enceinte branchée en direct de la rue.


« La Grave en grève, grave grave en grève. Kaufman and Broad [1] dans nos rêves souvent tu crèves ! »

Les gens se rassemblent sur le carré central de la Place, autour de la Fontaine. Ca se dandine un peu, ça boit des bières. L’ambiance se chauffe. Un des protagonistes du clip monte sur le monument central et craque un fumigène. Il est affublé d’un masque de carnaval florentin, avec un immense bec de corbeau. La fumée rouge de la fusée se répand dans l’air. Certains se masquent comme ils peuvent, avec des lunettes et des capuches. Les cameramans glissent parmi la foule, tentant de capter l’électricité qui se dégage de cet étrange mélange. Le son passe et repasse. On commence à connaître et à reprendre en coeur.

« Enfants sauvages, impossibles à sauver. Ambiance saccage, dans les rues du quartiers ».

Le tournage se termine après une vingtaine de minutes. L’ambiance est toujours au beau fixe et personne n’a trop envie de partir. Les corps survoltés occupent de plus en plus l’espace. En dansant et chantant. Voilà pour le contexte.

C’est sûrement vers 1h00 que ça commence à basculer. Une première voiture de flic arrive sur la Place et s’arrête à la hauteur de l’enceinte. On baisse le son direct. On arrête même de danser. Et puis tout se passe assez vite. Ils descendent de voiture, nous disent de dégager la place. Ils ont mis le paquet : au moins 6 ou 7 voitures de police, plusieurs flics avec des chiens (qu’ils ne maîtrisent pas du tout), une ou deux voitures de la Bac, des voltigeurs au bout d’une rue (Bac à moto).

Personne n’a trop envie de se laisser déloger aussi facilement. Mais les flics mettent la pression. Ils nous poussent assez violemment. Puis lâchent du leste sur les laisses des chiens qui nous sautent alors dessus (avec leur muselière). Et finissent assez vite par sortir les gazeuses à main.

Ils s’en prennent particulièrement à toute personne qui tenterait d’immortaliser la scène, en chopant téléphones et camera. Un mot d’ordre : garder le contrôle des images. Pas de problème lorsqu’il s’agit de filmer la place avec des caméras de vidéosurveillance. Mais quant aux vidéo des quidams, celles qui pourraient servir de preuves à charge et leur porter préjudices, il faut tout faire disparaître.

Personnes n’était trop préparé à cette offensive. On ne peut pas faire grand-chose face à eux. A part crier et rester là autant que possible. Ce qu’on fera pendant quelques dizaines de minutes avant de se faire repousser dans une rue. Beaucoup de gens partent à ce moment-là. Les flics font des contrôles d’identité un peu partout dans les rues adjacentes. Un petit groupe se dirige au pas, vers le rond point de Saint-Cyp’. En chantant encore un peu à tue-tête.

« Et on promène nos poulets, et on promène nos poulets ! »

Et d’un coup sans crier gare, les poulets en question se mettent à courir sur nous. On ne s’en inquiète pas vraiment et restons ensemble, plutôt tranquilles. Ils arrivent à notre hauteur. Choc frontal. Ils attrapent une première personne, la jettent sur le pavé. Menottée c’est pesé. Première arrestation. Quelques secondes plus tard, une autre personne. Les keufs défoncent son vélo avant de le défoncer lui. Deuxième arrestation.

L’équipe qui est encore là est sous le choc. On hurle sur les keufs, on tente des avancées mais rien n’est possible. Une des flics chope une copine par les cheveux en lui disant « Maintenant ça suffit vous dégagez ». Voilà pour la fin de la soirée.

Pour résumer la situation : il y a du monde sur une place, on écoute du son pour le tournage d’un clip en buvant quelques bières et suite à une dénonciation (caméra de vidéosurveillance présente sur la place ou voisin vigilant), une cohorte de municipaux, de nationaux et de baqueux vient jouer aux cow-boys et nous dégage à coup de matraque et de gaz lacrymo, en nous laissant au passage de nombreux bleus et les yeux bien niqués.

Toulouse.fr : Services → Prévention et Sécurité → Toulouse « festive et tranquille »

(Nous prendrons soin de souligner l’oxymore : Festive&Tranquille #FairefêtedansuneFanZone #NOWAY)

Il faut rappeler que depuis le 1er février 2016, un arrêté anti-alcool a été signé par Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse. Cet arrêté « interdit la consommation d’alcool de 16 heures à 6 heures du matin sur l’espace public du centre-ville » (la liste de rues et de places est longue, on y trouve la Place du Ravelin).

D’autre part, une rubrique du site de Toulouse Métrople nous explique qu’il est tout à fait possible de faire la fête à condition de respecter un périmètre de sécurité. Soit dans les bars. Jusqu’à 2 heures dans la semaine et 3 heures le Samedi soir. Car évidemment « L’interdiction ne s’applique pas aux terrasses de café et restaurants et sur les lieux de manifestations locales où la consommation d’alcool a été autorisée. » Il faut donc posséder un minimum de capital pour se permettre de boire des pintes à 5€ (et ne parlons pas des coktails).

… et ne pas trop avoir le diable au corps pour être obligé d’arrêter la fête à 2 heures.

Cette offensive policière s’inscrit dans un contexte répressif plus large quant à « l’occupation » de la Place du Ravelin. En effet, depuis que la municipalité a entamé son plan de restructuration/ réhabilitation du quartier, on a vu surgir tout un arsenal de contrôle passant des installations massives de caméra de vidéosurveillance, à la politique « tolérance zéro » pour les bars (ne pas dépasser : son petit périmètre de trottoir, un certain volume sonore, la limite horaire de fermeture, sous peine d’amende voire de fermeture administrative) et des contrôles, amendes et dégagement massifs de gens qui « traîneraient », dans les rues ou sur les places.

Tranquillité donc ? Vous pouvez toujours (nous) courir (après), nous irons toujours plus vite que vous.

Nous avons d’autres ambitions pour la ville que celle d’en faire une cité tranquille, propre et sécurisée. Nous aimons le débordement dans la fête. Nous aimons l’imprévu. Nous aimons parcourir les rues sans nous sentir observés par des tonnes de caméras.
Et visiblement nous ne sommes pas les seuls puisque ce Jeudi au Ravelin, il y avait du monde. Du monde pour danser, du monde qui jouait à la pétanque, du monde qui ne voulait pas se laisser dégager par les flics, du monde prêt à mettre son corps en jeu pour défendre nos manières d’habiter.

__________________

Pour info : concernant les deux personnes arrêtées, l’une est sortie le lendemain matin après avoir passé une nuit en cellule de dégrisement. Elle nous a raconté être tombée sur un flic sympa qui a fait le pied de grue toute la nuit devant sa cellule pour éviter qu’il ne se fasse défoncer par les autres flics.

La deuxième personne a eu moins de chance. Elle a fait plus de 24 heure de garde-à-vue. Les flics l’accusent « d’Outrage et Rebellion ». Trois keufs témoignent contre lui. Évidemment il fallait bien trouver quelque chose pour expliquer le fait que la personne arrive au commissariat avec de nombreux bleus et un énorme hématome/ boule sur la cheville (peut-être une fracture..).
Il aura un procès au mois de Novembre.

« KAUFMAN AND BROAD DANS NOS REVES SOUVENT TU CREVES ! »

Quelques habitant.e.s du quartier encore en vie (et qui comptent bien le rester).

Notes

[1Kaufman and Broad : c’est le promoteur immobilier qui a signé un compromis de vente avec la mairie pour acheter une partie de l’Hôpital La Grave. Il prévoit de complètement raser les bâtiments les plus récents pour construire à la place 500m² de centre commercial, d’hôtels et appartement de luxe. Plus l’appareil sécuritaire qui va avec (compagnies privés de vigiles, caméra intelligente de vidéo surveillance, périmètre fermé … inspiré des gated communities tristement célèbres aux Etats-Unis ou aux Mexique). Cet transformation du quartier implique évidemment un « nettoyage » qui s’applique à coup de répression. Cette soirée en était un parfait exemple.

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