Cet article a été rédigé dans le cadre du collectif d’entraide à la rédaction.
Qu’est-ce que la PM, historiquement et sociologiquement ? Quels sont les droits d’un.e agent de police municipale ? Comment devient-on flic municipal.e ? Nous apportons des éléments de réponse dans ce premier article.
Dans un deuxième temps, on se penchera plus spécifiquement sur la situation propre à la ville de Toulouse, où la PM s’applique à maintenir les plus précaires dans un sentiment d’insécurité permanent, qu’elle surgisse dans un squat lors d’une projection ou qu’elle tabasse et interpelle gratuitement des personnes à la rue : quelles sont les évolutions des missions de la PM sous le règne de Moudenc ? Comment joue-t-elle un rôle actif dans le nettoyage et la gentrification de la ville rose ?
Brève histoire de la police municipale en France
Mais d’abord, tentons de faire un bref historique de ce corps policier.
La révolution française se débarrasse de la police de l’Ancien Régime et, dès 1789, la confie aux maires. Ses fonctions et prérogatives sont définies dans la loi du 14 décembre 1789 qui lui confère une mission essentiellement municipale. Elle est chargée de « faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté ». Le/la maire s’affirme alors comme le responsable direct de la police, ce qui perdure jusqu’à aujourd’hui où l’édile est le/la première magistrat.e de la ville.
Et Vichy créa la police nationale
Arrive le gouvernement de Vichy qui n’affectionne pas particulièrement les polices municipales. Il les accuse d’être « loyales et fidèles à la République ». Pour cause, il faut savoir que les policiers municipaux de l’époque n’étaient pas toujours des spécialistes : peu nombreux et mal appointés, ils devaient parfois exercer un deuxième emploi, et n’avaient pas d’uniforme commun. Si bien que le gouvernement collabo fera peser sur elles les causes de l’insécurité en France. La loi du 23 avril 1941 organise par conséquent l’étatisation de la police pour les villes de plus de 10 000 habitants... La police nationale est née [1].
Dans les villes plus petites, la sécurité publique fut confiée à la gendarmerie nationale. Notons au passage que l’État n’a juridiquement jamais renoncé à la possibilité d’étatiser les agents de la police municipale.
Les années 70 jusqu’aujourd’hui : le retour de la mumu
En 1965, un arrêté stipule qu’une commune de plus de 2 000 habitant.es peut se doter de sa propre police municipale. Ainsi, et malgré le mouvement général d’étatisation des polices, les polices municipales, loin de disparaître, se développent pour connaître un essor fulgurant à partir des années 80. A titre d’exemple, la ville de Toulouse comptait 12 policiers municipaux en 1974, contre 170 en 2014, et 340 d’ici la fin du mandat de Jean-Luc.
Face au « sentiment d’insécurité » grandissant savamment orchestré par les médias de masse malgré la baisse continue de l’insécurité réelle [2], les élu.e.s se rendent populaires à moindres frais par la création d’une police réputée de proximité et au service des administré.es. Pour elleux, c’est surtout des agents à leur service qui leur confèrent un réel pouvoir exécutif sur leur commune.
La PM est aujourd’hui en pleine expansion. Elle constitue la troisième force de police en France et son développement n’est pas prêt de s’arrêter, y compris dans les villes qui disposent déjà d’une police d’État [3], dont les effectifs augmentent eux aussi régulièrement. Sur les quelques 35 000 communes que compte la France, près de 4 000 possèdent une mumu. Les 50 plus grandes villes en ont toutes une, à l’exception notable de... Paris, où le préfet de police exerce les pouvoirs et attributions habituellement confiés aux maires. D’autres villes ont fait le choix politique de se contenter de la police d’État : Nanterre, Créteil et Brest (dans cette dernière, il y a même des pages Facebook qui appellent à la création d’une police municipale !)
Comparaison internationale : de la PM au NYPD
Si la PM ne jouit pas d’une légitimité extraordinaire en France et ne bénéficie à ce titre, nous allons le voir, que de pouvoirs limités, il en est tout autrement dans les autres pays industrialisés où elle n’a jamais été étatisée. La police y est donc de ce fait d’abord municipale. C’est intéressant de le relever, mais gardons en tête que les comparaisons sont hasardeuses : un.e maire n’a pas les mêmes pouvoirs en France qu’ailleurs, selon les systèmes politiques propres à chaque état.
Citons tout de même la célèbre Met de Londres (rien à voir avec la crystal, mais plutôt avec la Metropolitan police service) [4], fondée en 1829 et qui s’est notamment distinguée en 2011 par le meurtre du jeune Mark Duggan, provoquant cinq jours d’émeutes mémorables à Londres et malheureusement autant de morts. Ou encore la mythique NYPD (New York city Police Department), fondée en 1845 sur le modèle anglais et dont les 35 000 agents sont secondé.e.s depuis 1950 par le réjouissant NYPD Auxiliary Police ; 4 000 bénévoles qui consacrent, sous uniforme officiel, une partie de leur temps libre à jouer à la police (on se rassurera comme on peut en apprenant qu’iels ne sont pas armé.es). Cela veut effectivement dire que l’Inspecteur Harry (auquel on préfèrera la version originale Dirty Harry) et son 44mm, interprêté par Clint Eastwood en 1971, n’est qu’un "policier municipal" de San Francisco... A Barcelone, c’est la Guardia Urbana de Barcelona de 1843 et ses 4 000 agents qui font régner l’ordre (avec plus ou moins de succès...) en disposant de tous les pouvoirs dévolus en France à la police nationale.
L’exception française en matière de police est donc à mettre sur le dos de Vichy d’une part, et de la tradition jacobiniste d’autre part, qui tend à faire de l’État un grand organe centralisateur, devant lequel tou.te.s les citoyen.nes, où qu’iels vivent, sont égaux en droit (ah, ah, ah).
Quelles sont les compétences [5] de la police municipale ?
La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.
Article L2212-2 du Code Général des Collectivité Territoriales.
Les polices municipales sont régies par plusieurs codes du fait qu’elles agissent dans les domaines à la fois administratif (contraventions, application d’arrêtés municipaux, etc...) et judiciaire (relatif au crime et délit - voir par exemple ici). D’ailleurs les prérogatives et fonctions de ce corps ne sont pas très claires et peuvent varier d’une ville à l’autre puisqu’ils dépendent des conventions de coordination signées avec la Police Nationale (milice du capital) localement.
Les agents de Police Municipale ont la « qualité » d’agents de police judiciaire adjoints [6].
Contrôles et relevés d’identité
Iels ne peuvent procéder à des contrôles d’identité, mais ont la faculté de relever les identités dans les cas prévus par la loi : en gros lors d’infraction constatée dans leur domaines de compétences (arrêté municipaux, code de la route, voie publique et tout récemment transport). Si la personne n’a pas de pièce d’identité les policières municipales [7] doivent référer à un.e officier.e de police judiciaire qui peut ordonner que la personne lui soit présentée.
Lors du vote de la LOPPSI II, les parlementaires avaient permis aux PM de procéder à des contrôles d’identité. Cette mesure a été refusée par le Conseil constitutionnel au motif que ce contrôle n’était pas effectué sous la surveillance et la responsabilité d’un.e OPJ.
Interpellations
Il faut qu’un délit soit constaté dans sa sphère de compétence pour que la police municipale puisse intervenir, ou alors un « flag ». Dans ce dernier cas, comme tout.e citoyen.ne [8], elle peut appréhender l’auteur.e des faits et le ou la présenter de gré ou de force devant l’officier.e de police judiciaire la plus proche [9]. À noter que cette prescription ne vaut que lorsque le délit est passible d’une peine d’emprisonnement et non simplement d’une peine d’amende.
Concrètement, dès que le PM a connaissance d’un délit ou crime flagrant, il est tenu par l’article 21-2 du CPP d’en informer l’officier de police judiciaire (OPJ) territorialement compétent.e. En principe, car en pratique, il y a constatation puis interpellation et seulement avis à l’OPJ. C’est pourquoi les modalités d’application des mises à disposition sont précisées au travers de conventions de coordination, comme la façon de joindre l’OPJ. Celle de Toulouse, signée en 2014 (photo ci-dessous), est disponible ici, nous y reviendrons.
Les policiers municipaux peuvent parfois attendre plusieurs minutes avant de voir l’OPJ arriver et prendre en charge leur victime. Une fois remis aux officier.es, les agents peuvent reprendre leur patrouille de surveillance, car iels sont incompétent.es en matière d’investigation.
Néanmoins, l’usage des entraves (menottes) et la mise à disposition à l’OPJ peuvent intervenir en l’absence de délit ; c’est le cas des personnes en état d’ébriété sur la voie publique ou celui des « aliénés ». En août dernier d’ailleurs, un homme décédait en cellule de dégrisement du commissariat central de Toulouse d’une mystérieuse fracture du crâne. La police municipale l’avait déposé quelques heures plus tôt à l’embouchure.
La mumu a donc un pouvoir de nuisance assez important, si bien qu’à Cannes par exemple, elle se place au second rang des services les plus productifs en matière d’interpellations, juste derrière la BAC [10] !
Limites
En bref, deux limites sont présentes dans les textes sur les « compétences » des policierères municipales : la participation au maintien de l’ordre ainsi que les actes d’enquête (audition par exemple), tout comme les contraventions relatives à l’atteinte à l’intégrité des personnes. Pour le reste (sécurité de la voie publique, interventions sur des troubles de voisinages, surveillances etc...) ce n’est plus qu’une question de moyens.
Conscients des limites de leur mandat, les policiers municipaux exploitent au maximum leur marge de manœuvre vis-à-vis des textes, au point, parfois, d’agir aux frontières de la légalité. Dans les travaux de la sociologue Virginie Malochet on en apprend pas mal sur ce genre de pratiques :
Avant que la loi de 1999 ne permette le relevé d’identité, les policiers municipaux utilisaient des parades inquiétantes pour pallier l’interdiction de contrôle. A la "grande époque" du travail en 3/8, quand la PM multipliait les interventions sur flagrant délit, ils devaient ruser pour faire aboutir leurs procédures. En situation, ils se débrouillaient pour obtenir l’identité du délinquant et "arrangeaient" les rapports au mieux pour que le parquet les accepte, grâce à des formules magiques du type : "L’individu nous déclare verbalement et spontanément son identité." Lise raconte : "Un rapport de PM, avant, c’était de l’art ! Parce que c’était réussir à rédiger quelque chose de légal, alors qu’on avait contourné un texte pour y parvenir. Mais il faut voir les chemins qu’on empruntait pour y parvenir !" Aujourd’hui encore, les PM manient habilement les subtilités langagières.
A savoir : divers droits accordés à la PM
Les agents de PM peuvent constater le délit d’occupation des halls d’immeubles au moyen d’un rapport.
Lorsqu’elles sont affectées, sur décision du maire, à la sécurité des manifestations sportives, culturelles et récréatives rassemblant plus de 300 personnes (1500 avant la parution de la LOPPSI II), elles peuvent procéder à l’inspection visuelle des sacs, et, lorsque la personne l’autorise, à la fouille éventuelle des bagages. A défaut de consentement, la personne n’est pas autorisée à entrer sur le lieu de la manifestation. Ils peuvent dans ce cadre également procéder aux palpations de sécurité comme lors d’une interpellation de flagrance.
La PM peut saisir du matériel lors d’événements festifs à caractère musical (rave parties par exemple).
En cas de danger grave et immédiat pour les personnes (un chien non tenu en laisse suffit...), la PM peut placer un animal à la fourrière, et même faire procéder à l’euthanasie après avis d’un vétérinaire mandaté par les services vétérinaires.
Quel armement pour la police municipale ?
C’est au maire qu’appartient la décision politique d’armer ou non son service de police municipale. Le décret du 24/03/2000 prescrit qu’iel doit en faire la demande motivée auprès du préfet de son département.
Mais le 9 janvier dernier, Amedy Coulibaly assassinait Clarissa Jean-Philippe, policière municipale de Montrouge (banlieue parisienne). L’occasion était trop belle pour les syndicats de police municipale ; après un intense travail de lobbying (« On est passés dans une autre époque. C’est être un assassin pour un maire de mettre un agent non armé sur le terrain. [11] »), la loi de prorogation de l’état d’urgence du 21 juillet dernier assouplissait drastiquement les règles. En effet, elle modifie l’article L.511-5 du Code de la sécurité intérieure qui stipulait que les préfet.es ne pouvaient autoriser l’armement des PM uniquement « lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifiaient. » Cette derniere phrase a été supprimée.
Une circulaire du ministère de l’intérieur adressée aux préfet.e.s le surlendemain précise, au cas où ce n’était pas assez clair : « Vous n’êtes donc plus fondés à refuser une autorisation de port d’arme au seul motif des circonstances locales que constituent, par exemple, le niveau de la délinquance, l’importance de la commune, ou encore la nature des interventions de la police municipale de cette commune. » Open bar pour la mumu !
Dans les grosses villes, 54% des policieres municipaux ont un flingue à la ceinture, une progression de 12% par rapport à 2012.
Mais évidemment, ça ne suffit déja plus. Déjà, des maires réclament des armes longues, comme les nationaux, pour jouer à faire la guerre. Comme le dit si bien le maire d’Asnières-sur-Seine : « Tant qu’à s’armer, autant ne pas le faire dans la demi-mesure et ne pas lésiner sur les moyens. Je crois qu’il ne faut pas susciter de faux espoirs chez les gens. » Rire ou pleurer ?
Autre joujou de choix pour les agents de la mumu, le pistolet à impulsions électriques (Taser). 60% des policières municipales en sont équipé.es.
Sont aussi autorisées (et utilisées) : les armes de catégorie 4 comme le calibre 38 spécial, le 7,65mm Parabellum, mais aussi le flashball et le LBD40 - Bordeaux, Nantes, Marseille, Lyon (liste non exhaustive, hélas) ont fait ce choix. Les armes de 6ème catégorie sont bien sûr autorisées : matraques, tonfas, lacrymos...
L’agente de PM doit tirer au moins 50 cartouches au cours de deux séances annuelles d’entrainement, 8 lorsqu’iel est armé.e d’un flash ball. L’armement des agents est subordonné à l’obtention d’un certificat d’aptitude psychique et physique délivré par un médecin généraliste. Mais un.e agente de police municipale peut consulter autant de médecins qu’iel le souhaite jusqu’à délivrance de ce certificat...
Autre arme très en vogue, les chiens policiers. Les services de PM ont la possibilité de détenir des chiens et de les dresser au mordant sans avoir l’obligation de détenir la qualification ou le certificat de capacité, obligatoire pour les personnes privées ou pour les sociétés privées de sécurité. Pourquoi s’en priver ?
Les ASVP : kézako ?
Les Agents de Surveillance de la Voie Publique sont les auxiliaires indispensables des agents de police municipale. Les ASVP œuvrent avec ou sans les PM, suivant l’organisation du service, et ont pour principale mission de surveiller le stationnement payant et gênant, afin que les policiers municipaux puissent agir dans d’autres domaines de leurs compétences. Toutefois les ASVP exécutent bien d’autres missions. Ils complètent les patrouilles de PM sans pour autant pouvoir conduire les véhicules des PM et peuvent avoir en charge l’accueil du public et les missions de planton. Leur formation est inexistante. Ils sont soumis au règlement intérieur des PM, mais en revanche ils ne sont pas soumis à leur Code de déontologie.
Les ASVP sont recrutés en masse pour une grande part afin de pallier le manque de policiers municipaux, car les « candidat s’avèrent difficiles à recruter ». Ainsi l’importante pénurie favorise largement leur recrutement, si bien que de nombreux ASVP passent et obtiennent le concours de policier municipal. D’une manière générale le recrutement de ces agent.e.s permet de concentrer les agent.e.s de la PM sur des missions de police.
Sociologie de la police municipale
Qui donc entre dans la PM ? Si l’on ne peut répondre avec précision statistique faute d’enquêtes quantitatives, le travail de Virginie Malochet permet de dresser un vague profil : il s’agit d’un métier masculin qui recrute majoritairement parmi les milieux populaires, à niveau scolaire assez bas (formation courte, technique ou professionnelle le plus souvent), plus élevé cependant chez les jeunes gardiens (bac voire bac+2) compte tenu de l’inflation générale des diplômes et du renforcement de la sélection à l’entrée dans la profession.
Mais pourquoi devient-on policier.e municipal.e ? Certaines des observations de la sociologue battent en brèche quelques idées reçues. Les municipaux ne seraient pas (que) des flics raté.es ! Ce sont aussi, pour résumer avec un peu de mauvaise foi, des provinciaux qui n’ont pas envie de se farcir la région parisienne. En effet, la PM laisse aux agents le libre choix de leur affectation, contrairement à la PN qui envoie généralement ses jeunes recrues dans les zones les moins bien réputées. Certain.e.s flics ont même réussi le concours de la gendarmerie ou de la police nationale, mais ont préféré la mumu dans le but de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle.
Recrutement
Les fonctions de PM au grade de gardien sont accessibles par concours. Il suffit d’avoir plus de 18 ans, d’être titulaire d’un diplôme de niveau V (CAP, BEP…) et bien sûr d’être de nationalité française.
La réussite du concours est souvent considérée comme un parcours du combattant. En effet, les informations ne sont pas faciles d’accès et les épreuves sont très éloignées du système scolaire traditionnel. Certains candidats réussissent après quinze tentatives, ce qui, selon les mots même du directeur de la police municipale, « interroge nécessairement sur la qualité du public recruté » [12].
Par ailleurs, il est observé un aspect lacunaire dans les épreuves d’admissibilité. En effet, « aussi incompréhensible qu’il y paraisse » (dixit, toujours, le directeur national de la PM), le concours de gardien de police municipale ne comporte pas de tests psychologiques, à l’inverse de ceux de chef.fe de service de police municipale et de directeur.ice de police municipale.
Dès lors que la nomination est prononcée, le.la lauréat.e devient stagiaire pour un an avant d’être titularisé.e sur présentation d’une attestation de fin de stage.
Discrimination sexiste à l’embauche
Sans surprise, la PM est un univers « imprégné des valeurs viriles ». Selon V. Malochet, les femmes intègrent petit à petit la profession sur fond de discriminations récurrentes autour d’espaces ségrégués et de domaines sexués réservés.
L’incorporation des femmes suscite réticences et oppositions dans les rangs masculins de la PM. Sur l’un des terrains d’enquête, le chef de police rejette systématiquement toute candidature féminine [13] parce que les choses se sont mal passées avec l’unique policière qu’il a recrutée et que cette expérience vaut pour lui règle générale. Les discours laissent ainsi transparaître de puissantes résistances à la présence féminine. Ils se fondent d’abord sur le postulat d’infériorité physique et allèguent l’incapacité du "sexe faible" à faire face, lors des rixes notamment. Ils portent aussi sur l’incompatibilité supposée de la vocation maternelle et de la fonction policière et renvoient la femme son rôle traditionnel d’épouse et de mère.
Bien évidemment il pouvait difficilement en être autrement dans cette institution dont un des rôles est de maintenir l’ordre patriarcal.
Ambiance
Pour finir, nous vous donnons à lire quelques situations rapportées par la sociologue qui a partagé la compagnie de neuf services différents pendant trois ans d’enquête.
C’était mieux avant :
A Cannes, Manuel raconte : "C’est vrai qu’on pouvait se permettre certaines choses que maintenant on n’imaginerait même pas pouvoir s’autoriser. - Du type ? - Ben... Il nous est arrivé parfois d’interpeller quelqu’un et puis peut-être il prenait une baffe ou deux, je veux dire, voilà. Ou il nous est arrivé de tirer en l’air. On tirait en l’air, avec le pistoler à l’époque, on poursuivait quelqu’un, ’pouf, pouf, pouf !’, on tirait trois coups de feu en l’air..." Le renforcement du cadre juridique limite aujourd’hui les dérives dans ces "PM de cow-boys" (pour reprendre l’expression utilisée par leurs détracteurs), mais pour nombre des agents socialisés en leur sein, le "vrai" travail consiste à arrêter les délinquants et le repositionnement de l’activité en termes de surveillance des squares ou des sorties d’école paraît illégitime. Ils se remémorent avec nostalgie un âge d’or révolu, ’le bon vieux temps’, ’la grande époque’, et ne manquent pas d’évoquer les ’superflags’ pour raviver la mémoire collective et la transmettre aux plus jeunes.
Une police de proximité... :
Les policiers d’un poste annexe m’annoncent qu’ils partent "îloter" au centre commercial du quartier. Deux d’entre eux "patrouillent" sur 15 mètres à peine - la distance qui sépare le véhicule du guichet bancaire automatique où ils retirent chacun trente euros - tandis que le troisième "prend contact" avec une commerçante - 20 secondes, le temps de lui payer L’Equipe et Le Parisien. L’îlotage donna un alibi professionnel aux courses personnelles effectuées pendant les heures de travail.
Robert rejoint les maîtres nageurs dans un local fermé au public, Patrick attend quelques minutes près du bassin. Là, Patrick reçoit un appel radio pour un problème de stationnement en centre ville. Comme Robert ne revient pas, il part le chercher. Les maîtres nageurs terminent un repas bien arrosé, ils l’invitent à s’asseoir. Robert les connaît bien, il boit un verre de rosé et rit avec eux. Patrick tente subtilement de le mobiliser pour l’intervention, mais Jammy, en terrain conquis, lui fait comprendre qu’ils vont prendre leur temps et apprécier le café qui leur est offert.
... et conviviale
Tristesse et désarroi chez les policiers municipaux de la ville X. C’est un jour sombre, celui des funérailles d’un ancien collègue. L’homme s’est suicidé avant-hier. L’événement tragique bouleverse la police municipale. Le "patron" décide d’alléger le service et de mettre un fourgon à disposition pour permettre au plus grand nombre d’assister aux obsèques. Il prend également l’initiative de réserver une table dans un restaurant pour réunir le groupe après l’enterrement. En fin d’après-midi, lorsqu’il ramène le véhicule au poste, son attitude laisse à penser que le déjeuner prolongé fut bien arrosé. Par ailleurs, il est prévu de longue date qu’il m’emmène patrouiller cette nuit. Fortement affecté par la mort de son ami, un brin soûl, il ne paraît pas vraiment en état de travailler. Cependant, il tient à m’accompagner et a même mobilisé pour l’occasion - notre rendez-vous initial n’est plus qu’un prétexte - ses plus fidèles compagnons, grisés par l’alcool, qui ne font pourtant plus les nuits depuis fort longtemps. Ensemble, ils veulent revivre leurs vieux souvenirs, "comme à la grande époque". Je ne mesure pas alors la portée des incidents à venir et pars avec ce drôle d’équipage.
Je passe sur le détail des agissements de ces cinq personnes et sur leurs pérégrinations nocturnes à la buvette de la caserne militaire, à la pizzeria de la commune voisine puis au comptoir d’un hôtel du centre. Notons simplement que, s’ils noient ce soir leur chagrin dans la boisson, ils semblent bien connus des barmen de leurs divers points de chute. Entre deux verres, ils circulent un peu dans la ville. Après avoir heurté plusieurs trottoirs, évité in extremis deux ou trois obstacles, ils s’arrêtent au milieu de la route et contrôlent sans raison - illégalement, donc - deux jeunes gens qui marchent tranquillement. Ils les fouillent et, comble de l’ironie, les soumettent à l’alcootest avant de les laisser repartir. A mon grand soulagement, ils ne saisissent aucune autre (fausse) opportunité d’intervention. Puis, vers 2 heures du matin, les compères se lâchent autour d’un dernier verre : "On va te faire un beau flag pour que tu voies ce que c’est", "on va casser du bougnoule", j’en passe. J’annonce qu’il est temps pour moi de rentrer.
Un métier difficile.
Lors d’une manifestation de policiers municipaux en mars 2002 à Paris, dans un défilé "long, lent et bruyant, un agent déclare "quand-même, ce qu’on fait aujourd’hui c’est l’équivalent de deux ans d’îlotage !"
Bibliographie
- Que fait (réellement) la police municipale ? Une comparaison entre six villes, Délinquance, justice et autres questions de société, Virginie Malochet (sociologue), 2010.
- Les policiers municipaux, Virginie Malochet, 2007.
- Police municipale : mission et moyen, Franck Denion (directeur de la PM), 2013. [14]
- La Police, Que sais-je, Alain Bauer (truand), 2010.
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