Arrivé·e·s à la fin d’une manif bien trop calme et beaucoup trop courte (du haut des allées Jean Jaurès jusqu’à la place Héraclès en passant par Jeanne d’Arc, Arnaud B et Compans), nous voyons quelques personnes brandir des pancartes décorées d’un canard jaune.
Nous comprenons que ce n’est pas une flash-mob ou une performance artistique, mais le signal de départ d’une action qui avait été annoncée plusieurs jours à l’avance sur les réseaux sociaux :

Pendant la manif de jeudi, suivez les canards jaunes pour une action 100% offensive et légale.

Après un moment de flottement où on plaisante en se disant que l’action cible peut être le commissariat central qui n’est pas très loin, une rumeur commence à circuler : « pour les canards c’est à Arnaud B ! ». En quelques minutes c’est plusieurs centaines de personnes qui se mettent à remonter le cortège en sens inverse pour aller sur les lieux de l’action.
On les a cherchés pendant toute la manif ces canards, alors on y va aussi. Les gens avec les pancartes continuent à les brandir pour qu’on les suive jusqu’à Arnaud B, un peu comme des guides touristiques. Sauf qu’on est pas les seul·e·s à les voir leurs pancartes, les flics aussi, tout comme iels ont vu l’annonce sur les réseaux sociaux. Alors on suit quand même, mais d’un peu loin.

Forcément des centaines de personnes qui remontent la manif en sens inverse, ça se voit sur les caméras de Moudenc, et donc logiquement les flics finissent par s’en apercevoir et nous bloquent au niveau de Compans. On se dit que ça aurait peut-être été plus malin de lancer l’action quand la manif est passée pour la première fois à Arnaud B.
Heureusement, c’est pas des condés du cru local, iels connaissent pas les lieux et on arrive à bon port en passant par des chemins de traverse. On y retrouve 100-200 personnes et les fameux canards jaunes. Bon, ça y est là ? On la fait cette action ? C’est quoi la cible les copaines ?

Pas de cible nous dit-on. L’action « 100% offensive et légale », c’est en fait de bloquer la circulation grâce à des piéton·nes qui traversent sur le passage clouté. Et en effet en regardant mieux on se rend compte que c’est ce que les gens font. Quelques un·e·s parviennent même à bloquer un court instant des fourgons de CRS qui roulent en direction de Jean-Jaurès. Il y en a qui traversent de façon vraiment nonchalante, c’est rigolo.

Mais on arrête de rire quand un·e CRS manque de renverser un·e manifestant·e. On rigole encore moins quand quelques minutes plus tard le commissaire de la CSI nous balance les lacrymos après une ou deux sommations. Le vent est contre nous alors il n’y a pas vraiment d’autre choix que de se disperser. Un rassemblement finit tant bien que mal par se reconstituer au métro Jean Jaurès, avec blocage de la circulation pendant quelques minutes, sommation des flics, et dispersion finale par Wilson.

Quel est donc le bilan de cette action ? Quelques dizaines de voitures bloquées pendant de courtes minutes, dont 4 ou 5 fourgons de CRS.
Quel en est son prix ? Plusieurs interpellations après la dispersion finale, dont au moins une personne portant une pancarte « canard ».
Mais, pourquoi interpeller quelqu’un qui fait une action « 100% légale » ? Bah, parce qu’elle ne l’est pas, légale. Eh oui. Bloquer des voitures (même en passant au passage piéton) ça porte un autre nom en langage policier : entrave à la circulation. Un délit qui peut valoir de la prison ferme (même si c’est rare quand le blocage est pacifiste).
Risquer la prison ferme, c’est beaucoup pour avoir seulement bloqué quelques voitures un court instant, non ? Nous on dirait même que le jeu n’en vaut pas la chandelle. C’est pas qu’on refuse le risque, c’est qu’on veut pas en prendre pour n’importe quoi, ou pour rien.

On a la flemme de faire une analyse complète de ces faits comme si on était les Peter Gelderloos du coin, alors on va juste finir par un message amical aux organisat·eur·rice·s de cette action :
Une arrestation pour « entrave à la circulation » pour certain·e·s d’entre nous c’est un mauvais moment à passer, pour d’autres c’est toute une vie qui s’écroule. Certain·e·s ont un casier judiciaire. D’autres ne peuvent pas en avoir un sans perdre leur emploi. Une personne blanche avec une « bonne » situation familiale et professionnelle s’en sortira beaucoup mieux qu’une personne racisée sans cette « bonne » situation. En décrivant votre action comme « 100% offensive et légale », en cachant sa nature jusqu’au dernier moment, et en exposant ses participant·e·s à la répression comme vous l’avez fait, vous êtes au mieux inconscient·e·s, au pire irresponsables.