« Rien n’a changé à Seysses »

Nouveau communiqué de détenus de Seysses. Retour sur la mort de J, sur le suicide de l’autre détenu mort le 14 avril, sur les retours de bâton de l’Administration Pénitentiaire par des pressions et transferts suite à la révolte, sur les conditions de détention à Seysses et son « escadron de la mort ».

Suite à la mort de J. et au suicide d’un autre détenu le 14 avril à la Maison d’Arrêt de Seysses, un mouvement de révolte avait suivi dans la taule, accompagné de quelques nuits de solidarité émeutière dans différents "quartiers" de Toulouse.

Dans un premier communiqué envoyé au Syndicat pour la Protection et le Respect des Prisonniers et notamment relayé par l’Envolée (journal anti-carcéral), des détenus de Seysses niaient la thèse du suicide de J. et dénonçaient un tabassage par les surveillants.

Un nouveau communiqué est sorti ce 12 mai, lisible sur le site de l’Envolée, mais que nous reproduisons ici in extenso pour laisser trace. Solidarité avec les prisonnièr-e-s et leurs proches !

il ne voulait pas mourir, il était juste en détresse...C’est la prison qui est responsable

Il faudrait qu’on nous explique comment J. a pu se pendre alors qu’il était à poil au mitard. Il n’était pas suicidaire, on le sait tous ici.

Communiqué des détenus : « Rien n’a changé à Seysses »

Maison d’Arrêt de Seysses, le 12 mai 2018.

Dans notre précédent communiqué du 20 avril 2018, on dénonçait ce que tout le monde sait à la prison de Seysses : J., retrouvé mort au mitard le samedi 14 avril 2018, ne s’est pas pendu. Il a été battu à mort par l’équipe de surveillants responsables du quartier disciplinaire. Le même jour, un prisonnier a fait une tentative de suicide au SMPR (l’hôpital de la prison) et il est mort deux jours plus tard. Depuis, on en a appris plus sur lui en parlant entre nous. C’était un jeune marocain sans-papiers d’une vingtaine d’années qui ne posait pas de problèmes. Il avait acheté du cannabis à d’autres prisonniers et il leur devait de l’argent. C’est pour ça qu’il a été mis à l’amende dans la cour de promenade. Il a été emmené au SMPR pour être soigné. Il réclamait de voir un psychiatre, on lui a refusé, alors il s’est ouvert les veines. Des témoins l’ont très bien entendu crier qu’il venait de se couper. C’était un appel à l’aide, il était à bout, et on l’a laissé se vider de son sang. Il n’avait pas de famille en France donc tout le monde s’en foutait. Mais il ne voulait pas mourir, il était juste en détresse. C’est la prison qui est responsable, avec les surveillants et les infirmiers.

Depuis la mort de ces deux prisonniers, rien n’a changé à la maison d’arrêt. La direction a transféré ceux d’entre nous qu’elle jugeait responsables du mouvement qui a duré plusieurs jours (on a été jusqu’à 200 à refuser de remonter de promenade pour protester, on a fait une banderole, on criait « matons assassins » aux fenêtres) et les témoins directs du tabassage de J. qui a provoqué son décès ont subi des pressions. Mais l’équipe de matons qu’on appelle entre nous « l’escadron de la mort » est toujours là et tourne encore au mitard.

Ce matin, un autre prisonnier a tenté de se pendre à la maison d’arrêt côté condamnés. L’après-midi, il devait passer devant le prétoire. C’est le tribunal interne à la prison qui juge les prisonniers accusés d’avoir provoqué des incidents en détention. Le prétoire peut décider de mesures disciplinaires, et le plus souvent c’est un placement au mitard. Le prisonnier avait très peur d’y aller vu comment ça se passe là bas : des brimades, des insultes, des coups et parfois même la mort comme on le racontait dans notre premier communiqué. Alors il s’est passé la corde au cou au moment de la gamelle du matin. Heureusement, les infirmiers ont réussi à le réanimer, mais des témoins ont entendu le major qui disait devant le mec qui n’était même pas encore décroché : « il nous fait toujours le même cinéma, celui-là ». Pour eux, une tentative de suicide c’est du cinéma ! Le lendemain de la mort de J., on a entendu le même major qui menaçait un prisonnier qui tapait dans sa porte, en lui disant : « Le dernier qui a fait ça, il a fini dans un sac ! »

On est emprisonné par des gens qui sont inhumains. Comment peut-on supporter que ceux qui dirigent la détention se moquent de nos appels à l’aide, des tentatives de suicide et des morts dont ils sont responsables ? On a parfois l’impression d’être dans un cauchemar. Il y a des prisonniers ici qui sont juste en attente d’un jugement, qui ne sont même pas encore jugés coupables. Et il y en a d’autres qui ont été condamnés et qui acceptent de faire leur peine, mais on ne peut pas accepter d’être traités comme du bétail ! On a l’impression d’être rejugés chaque jour par les surveillants et les chefs. On le voit dans les regards, les paroles, les gestes… Ils nous déshumanisent, on est juste des numéros pour eux. Ils veulent nous faire comprendre qu’ils ont tout le pouvoir, qu’ils sont comme une mafia à l’intérieur. Ils peuvent tout se permettre, ils n’ont rien à craindre parce qu’ils sont toujours couverts. Ils dirigent tout par la peur. Un major peut même nous menacer de mort parce qu’on tape dans une porte pour réclamer quelque chose !

Tout ce qu’on demande, c’est d’être traités comme des êtres humains. De faire notre temps en prison sans craindre pour notre vie, sans subir en permanence les humiliations et les violences des surveillants. Ici, il n’y a aucun respect de la dignité, aucune déontologie, tout est fait contre les prisonniers. On dirait aussi qu’ils font tout pour que ça se passe mal entre nous, en mettant ensemble en cellule des gens qui n’ont rien à voir ou en enfermant des gens qui n’ont rien à faire en prison, qui devraient être soignés : des malades, des mecs qui ont des troubles psychiatriques parfois très graves. On craint pour notre santé, on craint même pour notre vie, alors qu’on devrait juste patienter avant notre sortie. L’État s’en fout, on est juste des numéros à gérer, et ça arrange bien les surveillants sadiques qui se passent les nerfs sur nous.

La situation est explosive ici, et c’est aussi en grande partie à cause de la juge d’application des peines (JAP) et le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui se charge des conditionnelles. Il y a très peu d’aménagements de peines, les remises de peine et les grâces sont trop peu accordées, on est de plus en plus à faire notre peine quasiment pleine. Il n’est pas rare que le procureur fasse tomber des vieux sursis peu de temps avant la sortie pour qu’on reste enfermés. A croire qu’ils veulent nous garder le plus longtemps possible, et rien n’est fait pour la réinsertion. La loi Taubira était censée « vider les prisons » en facilitant les conditionnelles et les peines alternatives, mais c’est comme si elle n’était pas arrivée jusque Seysses. On est tous sous pression, et rien ne nous encourage à montrer des signes de réinsertion, de travailler, de se tenir à carreaux, puisqu’on sait que rien n’est fait en échange pour nous laisser sortir.

Il faudrait qu’on nous explique comment J. a pu se pendre alors qu’il était à poil au mitard. Il n’était pas suicidaire, on le sait tous ici. Et il n’avait ni drap, ni couverture dans sa cellule. Pour éviter qu’il s’accroche, soi-disant, on lui a seulement laissé un pyjama en papier…. Leur version officielle ne tient pas debout.

  • Nous réclamons la vérité sur ce qui s’est passé pour J.
  • Nous réclamons que l’équipe de surveillants responsable de sa mort soit suspendue.
  • Nous dénonçons les transferts disciplinaires et les pressions exercés sur les témoins. Nous exigeons de ne pas être condamnés à des nouvelles peines chaque jour par ceux qui devraient juste nous surveiller et assurer notre intégrité physique et morale.
  • Nous exigeons de ne pas être enfermés avec des gens qui n’ont rien à faire en prison et qui peuvent menacer notre sécurité.
  • Nous exigeons d’être traités dignement, comme des êtres humains.
  • Nous nous associons à la peine des familles et sommes prêts à témoigner si elles nous le demandent.
Des prisonniers de la maison d’arrêt de Seysses.

Le premier communiqué :

Solidarité à l’extérieur :

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