Squat la Glacière, 1 an putain

Mineur-es Isolé-es Etranger-es
Plus de deux ans de lutte et un an de vie en squat sur Toulouse !

Un an, putain.

Numéro 75. Rue de la glacière. 31200 TOULOUSE. C’est tout au bout de l’avenue des États-Unis. Après les supermarchés, les parkings pour routiers, le terminus du bus, les trottoirs qui disparaissent. Au 75, il y a un petit immeuble qui s’arrondit. « L’étoile de Tunis ». Deux étages, des fenêtres alignées les unes à côté des autres. Quatre écriteaux accrochés au mur racontent que l’hôtel a vécu.

Ça fait un an. Un an que les jeunes ont décidé de prendre possession du lieu, abandonné depuis longtemps. C’est octobre 2017. Il commence à faire froid. Y a de moins en moins de place dans les hébergements solidaires. Chaque semaine, chaque lundi, le DDAEOMIE met des jeunes à la rue, appliquant les directives du département de la Haute-Garonne et de la politique d’État.

12 octobre 2017. L’occupation du bâtiment est officialisée. 35 jeunes en squat ! Le ciel les encourage avec un bleu pétant. Des dizaines de gens s’amassent dans l’impasse des États-Unis, on accroche des banderoles aux murs de la façade. « Mineurs isolés étrangers à la rue » ! On lève le poing. Autant par rage que par soulagement. Ceux-là dormiront pas dehors ce soir...

75 rue de la glacière 31200 TOULOUSE. Dans cette ville qui n’est pas rose pour tout le monde, les enfants de la Françafrique ont trouvé un toit. Sur le métal froid de la boîte aux lettres sont marqués vingt noms. Jeunes à la peau noire, condamnés à des nuits de bitume par le département. Font pas assez mineurs. Disent un truc un peu plus intelligent que « ya bon ». Une ride de trop sur le front, une cicatrice de trop sur le bras. Le département n’a pas de tunes pour accueillir tout le monde, à ce qu’il paraît, et puis de toute façon ils sont pas mineurs disent les rapports hardcore et les tests osseux fallacieux. Pendant ce temps-là, Bolloré cache les milliards de ses ports africains dans les chiottes de la fraude fiscale.

75 rue de la glacière 31200 TOULOUSE : l’exil les a amenés jusqu’ici. Il y a une boîte aux lettres et enfin ils ont le droit d’écrire leurs noms quelque part. Ils l’ont pris, ce droit. S’ils avaient attendu qu’on le leur donne, ils y seraient encore, à la rue, sans noms, sans boîte aux lettres, sur des cartons à la gare de cette ville qui n’est pas rose pour tout le monde. Dans la boîte aux lettres du 75, pas de cartes postales de Jean-Luc Moudenc mais des convocations au tribunal d’instance. L’huissier est passé, chien de garde mandaté par le propriétaire du bâtiment, l’établissement public foncier de Toulouse métropole. Enfin, on écrit leurs noms. Enfin, on les écoute. Enfin, un interlocuteur politique daigne s’adresser à eux. Il aura fallu réquisitionner un bâtiment vide pour exister.

Le racisme d’État préfère créer des ombres plus noires que noires, des ombres qui ont la transparence des fantômes, des ombres qui rasent les murs, errant de ville en ville, une foule d’anonymes frappant à toutes les portes, attendant d’en voir une s’ouvrir, par chance ou par hasard. La protection de l’enfance est malade à crever, et Marianne se bourre la gueule à l’extrême-droite pour oublier qu’elle est devenue moche.

75 rue de la glacière 31200 TOULOUSE, c’est une adresse, des dates et des aventures. Le squat est devenu un foyer auto-géré pour et par les jeunes. Foyer imparfait, mais foyer quand même. Il arrive que, pendant les cours de Français ou de Maths donnés par une cohorte de profs bénévoles, des gouttes perlent au plafond. Ça fait des petites flaques sur le sol de la classe. La plomberie est antique, mais heureusement on a des bras et des cerveaux. Les gouttes arrêtent de tomber. À chaque fois, avec les outils de la solidarité, le problème trouve une solution. À chaque galère sa débrouille… les jeunes bouffent la bouffe que le système recrache. On fait sans argent, avec celles et ceux qui savent faire. Ça donne. Ça redonne. On pourrait ouvrir un magasin de classeurs et de pochettes pastiques. On préférerait avoir autre chose à foutre, on préférerait que le département et l’État fassent leur boulot. On fait quand même, avec les jeunes. On compte pas. Parce qu’on peut pas compter ce que valent leurs vies.

Combien de choses incroyables sont arrivées entre les murs du 75 rue glacière 31200 TOULOUSE ? Combien de rêves d’une vie meilleure ? Combien de cauchemars ravivant les traumatismes de l’exil ? Combien de larmes ? Combien de sourires perçant l’obscurité ? Combien de batailles gagnées ?

Il y en a au moins une. Le 25 mai 2018, après trois reports d’audience et une réunion-occupation au Capitole, on apprend devant le tribunal que Toulouse Métropole abandonne les charges contre les jeunes du bâtiment et passe la main à la ville de Toulouse. 1-0 pour Autonomie, match gagné aux pénalties de la lutte. Y avait pas d’arbitre alors on a inventé nos règles. Et on gagné. Ils ont gagné et d’ailleurs ils l’ont fait savoir en tapant sur les tam-tams toute la journée. Les cinquante jeunes qui survivent dans le bâtiment, en attendant de voir leurs droits de mineurs en danger rappelés au département par la juge des enfants, vont pouvoir rester là, un toit au-dessus de leur tête. À Autonomie, y a pas un pied plus doué que l’autre, c’est le collectif qui fait la force. Un an, putain. Octobre 2018. Le froid revient et les jeunes sont toujours foutus dehors par le DDAEOMIE. On fait quoi ?

Ce bâtiment, c’est un rafiot branlant tenu par des jeunes en détresse et des enragé.e.s de la protection de l’enfance. C’est une permanence juridique intermittente qui se bat contre la désinformation organisée des mineurs isolés étrangers. C’est des morts de froid évités. C’est une école improvisée. C’est un passage, rien de plus et rien de moins, un passage pour ces jeunes qui gagnent finalement la reconnaissance de leurs droits dans neuf cas sur dix. Le 75 rue de la glacière 31200 TOULOUSE, c’est tout ça et c’est des trucs qu’on n’a pas encore raconté ou qui se racontent pas. Des 75 rue de la glacière 31200 TOULOUSE, il en existera tant qu’on insultera ces adolescents venus d’ailleurs en leur expliquant du haut des diplômes et des estrades judiciaires à quelle date ils sont nés.

À la place de « Chez Tony » ou de « L’étoile de Tunis », on aurait aimé écrire, en lettres découpées dans la Convention internationale des droits de l’enfant : « un jeune est un jeune, quelle que soit sa nationalité ». On n’a pas de thunes et on n’a pas le temps, alors on l’a pas fait. 75 rue de la glacière 31200 TOULOUSE. C’est là-bas, c’est ici, c’est ailleurs, c’est partout, et c’est chez toi. On continue. Et bon anniversaire.

P.-S.

Photo : collectif AutonoMIE 31

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