Un nouveau modèle d’indemnisation du chômage

Nouveau modèle d’indemnisation du chômage pensé pour accompagner l’emploi discontinu : un modèle mutualiste.

Pourquoi des poètes du temps de la pauvreté, et pourquoi des artistes encore du temps de la guerre et de la haine ?

Pourquoi prétendre jouer, ce mot, « jouer », jouer et résister au travail, et bien plus qu’au travail, là encore, résister au discours sur le travail ?

Ne vaudrait-il pas mieux écouter en effet, acquiescer, rester là dans son rôle, amuser et ne pas inquiéter, faire ce qu’on dit et non ce qu’on pense, prendre sa belle mine de circonstance et parler de belles et longues heures entre gens qui s’entendent et se comprennent de la dureté du temps sans se soucier jamais d’en changer le cours, ne serait-ce qu’une seule seconde ?

Et remercier encore poliment de ce qu’on nous doit pourtant, et se prosterner avec déférence pour une aumône prise sur notre propre fortune ?

Du Luxe et de l’impuissance, Jean-Luc Lagarce, 1995

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L’Emploi ne recouvre pas le travail, le travail ne recouvre pas la vie.

Aujourd’hui, 35 % de la population active est en situation précaire face à l’emploi (chômeurs, CDD , Interim, nouveaux indépendants). En tenant compte des CDD et CDI à temps partiel, c’est en fait à 40 % que l’on peut estimer la part de la population active directement concernée par la crise de l’emploi. Cela ne va qu’augmenter puisque 90% des embauches se font actuellement en contrats courts.

Les politiques qui sont menées actuellement par les gouvernements européens, basées sur un objectif de plein emploi conduisent toutes à une logique de durcissement des conditions d’accès aux droits à l’assurance chômage et à une baisse des revenus de l’indemnisation. Ce durcissement a pour effet second de dégrader les conditions de travail de ceux qui sont en situation d’emploi (baisse des salaires, flexibilité accrue, chantage à l’emploi).

Nous refusons l’idée d’un plein emploi à tout prix, d’un plein emploi précaire selon le modèle allemand, ses lois Hartz, et ses conséquences désastreuses en terme d’accroissement vertigineux du nombre de travailleurs pauvres.

En France, le dogme actuel est celui d’une politique d’assurance chômage de plus en plus individualisée, où chaque salarié acquière des droits proportionnellement à ce qu’il travaille.. Le chômeur se voit incité à l’emploi par la nécessité qu’il a d’entretenir son capital de droits pour ne pas sombrer socialement. Les travailleurs sont ainsi mis en concurrence sur un marché de l’emploi particulièrement féroce. Si on regarde les chiffres de Pôle Emploi, on recense 6 millions de chômeurs contre seulement 200 000 offres d’emploi (dont 90 % de contrats courts ou atypiques)…

Nous contestons aujourd’hui les idéologies qui prennent le plein emploi comme référence et les chiffres du chômage comme quasi-unique indice de pilotage des politiques de l’emploi et du revenu.

Le plein emploi est un mythe. Les politiques fondées sur l’objectif d’un retour au plein emploi ne permettent pas de penser l’assurance chômage comme un outil d’émancipation sociale dans les pratiques de l’emploi aujourd’hui. En revanche, le maintien de ce mythe est propice à l’idéologie néolibérale, entretenant l’idée d’une dette de l’assurance chômage et accélérant la déconstruction des droits sociaux liés au travail (attaque des minimums salariaux, des contributions sociales, de la juridiction prudhommale) sur l’argument qu’ils seraient trop coûteux. Dans le système paritaire à la française, les syndicats patronaux tenants de cette idéologie sont dominants dans la définition des règles de l’assurance chômage et n’ont aucun intérêt à sortir d’un système qui accroît la précarité des travailleurs. Les paroles politiques et les relais médiatiques derrière sont légion qui assènent que la France vit au dessus de ses moyens en maintenant un système de protection sociale mutualiste et redistributif.

Il faut penser l’assurance chômage à partir du constat d’un impossible retour au plein emploi. Le plein emploi est-il au demeurant souhaitable s’il est lié à des logiques de surproduction aux conséquences écologiques néfastes ? La pensée politique sociale ne peut-elle assumer pleinement que la place de l’emploi salarié dans la vie des gens va aller en diminuant, et que c’est le sens de l’émancipation et du progrès ? Reste la question du partage du travail et des richesses : c’est ici que l’assurance chômage peut se montrer l’outil d’une politique sociale vertueuse au contraire d’un levier de casse des droits, si elle est pensée dans le sens de l’accompagnement des pratiques professionnelles et de la socialisation des risques de la précarité.

Partout en Europe, on voit des personnes revendiquer des aspirations à des emplois indépendants et fragmentaires. Contestant la primauté du revenu, ils cherchent à développer des activités qui ont du sens, qui procurent d’autres sources d’épanouissement. Ils revendiquent d’avoir du temps pour s’investir dans des pratiques qui ne sont pas obligatoirement génératrices de revenu. Ces activités ne sont pas pour autant sans valeur économique et sociale.

Avec le régime d’assurance chômage spécifique de l’intermittence d’avant 2003, on a l’exemple d’un système qui a montré sa capacité à accompagner socialement des pratiques professionnelles par essence courtes, discontinues et à employeurs multiples. Ce système, qui a prouvé historiquement son à-propos et sa viabilité, reconnaît qu’une pratique professionnelle peut avoir une grande partie de son travail qui s’exerce hors emploi salarié sans pour autant être déconnectée de la vie économique et sociale, et même y être nécessaire. Pour un artiste ou technicien du spectacle cette part paraît évidente (apprentissage, formation, entretien physique, conception de projets, recherche). Mais si on y regarde bien, cette réalité s’étend à tout le corps social si on pense l’emploi comme un territoire où la liberté, le choix et l’initiative sont des enjeux fondamentaux pour l’émancipation.

La défense d’un modèle d’indemnisation du chômage adapté à l’emploi discontinu va au-delà d’une question corporatiste, car elle est avant tout la défense du seul régime historiquement connu qui soit capable d’accompagner vertueusement ces pratiques d’emploi en promouvant l’autonomie collective et en rejetant la mise en concurrence des travailleurs. Il représente en quelque sorte le seul rempart connu aux attaques de la sécurisation sociale de l’emploi par les marchés, et pour autant, il est par évidence totalement adapté aux réalités du monde de l’emploi aujourd’hui.

C’est fort de ce constat, de l’expérience des pratiques et de l’indemnisation des intermittents du spectacle que la Coordination des Intermittents et Précaires travaille depuis 11 ans à inventer et promouvoir un modèle d’assurance chômage évolutif capable d’accompagner dans un esprit d’équité sociale toutes les pratiques d’emploi telles qu’elles se développent aujourd’hui. On parle d’intermittence de l’emploi.

Le nouveau modèle de la CIP reprend principalement la vertu qu’avait le régime d’assurance chômage spécifique des intermittents entre 1979 et 2003, celle de découpler la précarité économique de la précarité contractuelle. C’est-à-dire garantir au travailleur en emploi discontinu (que celui-ci soit choisi ou contraint) la maîtrise de son temps. Maitrise fondamentale pour la liberté et le choix dans la conduite de ses pratiques d’emploi, voire dans sa capacité d’invention de son activité elle-même, et enfin surtout dans la conduite de son mode de vie.

Nous croyons que le progrès, au XXIè siècle, ne peut faire l’économie d’un grand débat sur le salaire socialisé et l’assurance chômage comme étant les outils propices à repenser le partage du travail et des richesses sociales dans un esprit de liberté, d’égalité et d’émancipation collective. Nous affirmons que les choix qui sont fait aujourd’hui en termes d’assurance chômage sont idéologiques et destructeurs et qu’il est important d’y opposer des choix politiques déterminés. Il faut pour cela défendre le mutualisme et le salaire socialisé en réfutant l’argument idéologique de son coût.

Le Nouveau Modèle : les grands principes d’un modèle mutualiste

Contre la logique du système par capitalisation actuellement à l’œuvre dans l’assurance chômage nous défendons une logique mutualiste.

Contre la logique néo-libérale et individualiste, nous affirmons que nous ne trouverons notre autonomie et notre liberté que dans une logique collective.

A/ Une Annexe Unique

Les annexes 8 et 10 n’ont pas été créées au nom d’un « statut d’artiste », mais pour répondre à une pratique spécifique d’emploi discontinu, en premier lieu chez les techniciens du cinéma puis étendue aux artistes.

À une pratique d’emploi spécifique, il faut penser des droits spécifiques.

Ainsi, contre la logique actuellement fondée sur des listes de métier, nous proposons une annexe unique fondée sur les pratiques d’emploi permettant ainsi de couvrir l’ensemble des pratiques d’emploi discontinues.

À pratique d’emploi égale, condition de traitement égale.

Compte-tenue de l’interdépendance des secteurs d’activité dans la production de richesses, cette annexe relève légitimement et exclusivement du système de solidarité interprofessionnelle.

B/ La date anniversaire

C’est l’élément fondateur qui assure un système mutualiste.

La date anniversaire est la date d’admission dans le régime d’assurance chômage qui devient alors la date fixe de réexamen et donc d’éventuelle réouverture de droit.

À l’inverse de la logique assurantielle actuellement en cours pour les annexes 8 et 10, où l’ouverture de droit donne lieu à un capital de 243 jours d’indemnité à toucher, la date anniversaire fixe ouvre des droits à un possible versement d’indemnités sur 12 mois. Dans cette logique mutualiste ceux qui travaillent beaucoup perçoivent moins d’indemnités, assurant ainsi une solidarité intra et interprofessionnelle.

De plus, la date anniversaire donne à la personne une lisibilité sur son parcours. Là encore se joue la question de la maitrise de chacun sur son temps, l’absence de lisibilité entrainant l’absence de maitrise.

C /Le plafond

Afin d’affirmer le caractère mutualiste de ce modèle et de prévenir les dérives liées à un possible aléa moral de comportement, il paraît nécessaire d’inaugurer un mode de régulation efficace sous forme d’un plafond de cumul mensuel salaires + indemnités, recalculé chaque mois en fonction d’une moyenne pondérée des cumuls salaires + indemnités des 24 mois précédents. Il ne sera versé d’indemnité à l’allocataire que jusqu’à hauteur de ce plafond. Au-delà, il n’aura droit à aucune indemnité.

Ce plafond permet ainsi une meilleure distribution des allocations en fonction des besoins de l’allocataire. Il se substitue à la franchise (ou carence) en modulant la pénalité tout au long de l’année d’indemnisation.

D / Calcul de l’indemnité

Notre formule répond à une exigence de répartition plus juste des allocations sur un principe mutualiste et réduit l’écart entre les faibles et les fortes indemnités. Il rééquilibre l’indemnisation annuelle entre allocataires ayant perçu le même salaire annuel.

La formule tenant compte à la fois du salaire annuel et du nombre d’heures déclarées, elle permet de faire évoluer l’indemnité journalière (IJ) entre un plancher fixé à un SMIC/jour et un plafond fixé à K fois le SMIC/jour.

En supprimant ainsi au maximum les effets de seuil, cette formule ajointe au principe de plafond tend à engendrer des comportements vertueux assurant la stabilité du modèle.

Cette formule permet de faire varier le nombre d’heures minimum requises pour entrer dans le régime entre 507h (critère actuel) et 0h.

Ainsi, nous arrivons à un modèle d’indemnisation chômage à 2 annexes :

• Une annexe pour l’emploi discontinu à taux de rémunération variable (nouveau modèle).

• Une annexe pour l’emploi continu, couvrant le chômage accidentel.

E / Financement

Nous proposons de déplafonner les cotisations salariales et patronales.

Lorsque qu’on parle de financement, il ne s’agit pas de questionner celui d’un modèle ou d’un autre, mais celui de l’organisme gestionnaire.

La bonne gestion d’un organisme implique la couverture des dépenses par les recettes. Dans le cadre de l’UNEDIC, les recettes proviennent essentiellement des cotisations.

Si l’on prend pour exemple l’année 2011, la différence entre cotisations perçues et indemnités versées présente un excédant de 4,5 milliards d’euros. Pourtant cette même année l’UNEDIC présente un déficit de 1,5 milliard car il engloutit 6 milliards de frais de gestion.

Dans ces frais de gestion, 10 % des cotisations perçues sont reversées à Pole Emploi pour son fonctionnement. Aujourd’hui, cela représente 3 milliards d’euros sur les 30 milliards d’euros de cotisation. Si l’on retire la part versée à Pôle Emploi, on résorbe la majeure partie du déficit…

Est-ce à la cotisation sociale (donc à la part socialisé du salaire des travailleurs) de financer un organisme de délégation de service public dont la mission est en principe l’accompagnement des chômeurs dans leur recherche d’emploi et qui d’ailleurs substitue de plus en plus à cette activité celle du contrôle ? L’État s’est peu à peu désengagé du financement de l’ex-ANPE et la fusion Pôle Emploi lui a permis d’arrêter de financer un SERVICE PUBLIC.

La construction de ce déficit est donc un choix politique qui ne sert qu’à légitimer l’attaque contre les chômeurs et le durcissement de l’accès à l’indemnisation alors que 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés.

Étant donné l’opacité dans la gestion de l’UNEDIC ;

Étant donné la non-représentativité des partenaires dit « sociaux » ;

Étant donné que les cotisations sociales appartiennent aux salariés et que la présence du patronat dans la gestion de ce salaire socialisé est illégitime ;

Étant donné que ce salaire socialisé est une possible voie vers le travail libre ;

Il est urgent de repenser ce que certains osent encore appeler le dialogue « social » et de mettre en place une réforme complète de l’UNEDIC.

Formule de calcul de l’indemnité journalière du nouveau modèle

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IJ : Indemnité Journalière (en euros)
SMICJ : Smic Jour (en euros)
n : Coefficient pondérateur pour obtenir l’IJ en net
k : Coefficient multiplicateur
k . SMICJ . n : Indemnité journalière maximum théorique (en euros)
p : coefficient compris entre 0 et 1
hm : Nombre d’Heures Minimum requis pour rentrer dans le régime (en heures)
sm = hm . SMIC horaire (en euros)
hmoy : Variable permettant de régler la pente de la courbe (en heures)
smoy : Variable permettant de régler la pente de la courbe (en SMIC annuel)
NHT : Nombre d’heures travaillées pendant la période de référence (en heures)
SAR : Total des salaires de la période de référence (en euros)

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Ce « nouveau modèle », élaboré dans l’œil du cyclone pendant un été houleux, a été adopté par la Coordination Nationale des Intermittents à Lille en décembre 2003. Il est à présent une des bases de travail du Comité de Suivi à l’Assemblée Nationale, qui regroupe Coordinations d’intermittents, Syndicats non signataires (CGT, Sud), organisations de professionnels (Syndéac, SRFS), élus de tous bords, et qui s’est donné pour but de convaincre gouvernement et partenaires sociaux de la nécessité urgente d’une réforme.

Pour construire ce modèle, nous sommes partis des pratiques réelles des salariés intermittents : des emplois discontinus, des taux de rémunération variables, des employeurs souvent multiples ; et parfois : une part du travail rémunérée forfaitairement (cachet), une part du travail réalisée en dehors des périodes d’emploi (travail d’écriture, de projets). Nous sommes également partis de leurs besoins : celui d’une continuité de droits pour faire face à une précarité désormais érigée en norme d’emploi ; celui de disposer d’un temps pour soi, libéré des contraintes de l’emploi salarié, sans lequel aucun processus de création, d’invention, de coopération ne sauraient se développer.

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