Visites au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Toulouse

Rencontre d’un retenu dont le témoignage fait partie d’un des innombrables récits de vie ordinaire de personnes sans papiers révélant l’acharnement raciste de l’administration qu’elles subissent.

Le parcours de M. L entre prison et Centre de Rétention Administrative (CRA) en circuit quasi-fermé est représentatif de ces retenus qui sont placés au CRA à la sortie de prison où ils ont passé plusieurs mois pour être restés illégalement sur le territoire.
Sans cesse contrôlé au faciès par la police, ces personnes peuvent rester ainsi enfermées entre CRA et prison de longs mois. Comme beaucoup de ces retenus, M. L n’est visiblement pas expulsable puisqu’il s’agit de la 5ème tentative d’expulsion mais l’État s’acharne néanmoins sur lui par tous les moyens.
Depuis 2015 à la fin de sa rétention actuelle qui ira à son terme sans expulsion, il aura été privé de liberté pendant 18 mois !

De l’aveu même de deux députés de la majorité [1] les décisions de placement dans le sud de la France “prennent moins en compte les possibilités d’éloignement effectif et reposent largement sur la volonté de maintenir l’ordre public et de dissiper tout sentiment d’impunité au sein des communautés étrangères les moins aisément "éloignables".”

M. L a quitté le Maroc à l’âge de 15 ans, en se cachant au-dessus de la roue d’une remorque de camion qui prenait le bateau vers l’Espagne. Il a fini par nous montrer dans le parloir comment il a dû rester arcbouté à la force des bras au-dessus du roulement pendant des dizaines de minutes au péril de sa vie.

Il est arrivé en 2009, dans la région de Bayonne et a été pris en charge par l’ASE, placé dans un foyer pour mineurs. Il s’est formé à la mécanique automobile et a effectué plusieurs stages en entreprise. Il a quitté le foyer à 17 ans et ½ puis a séjourné ensuite quelques temps dans un foyer pour majeurs.

Depuis 2015, il s’agit de son 5e séjour en CRA, sans jamais avoir été expulsé. Il a de plus effectué 2 séjours de 4 mois en prison à cause de 2 IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français), une de 1 an, terminée, l’autre de 3 ans en cours depuis 2018.
Il est marocain mais puisqu’il a quitté le Maroc étant mineur, il n’y a pas trace suffisante de lui au Maroc, notamment pas d’empreintes, il n’a pas de passeport et le consulat marocain persiste à ne pas le reconnaître.

Ma vie est France, je suis venu jeune mais il veulent pas me donner les papiers, je suis toujours en prison ou ici, toujours enfermé, j’en peux plus !

Il a eu sa mère au téléphone qu’il n’a pas vu depuis 10 ans,” elle pleure au téléphone et me dit de ne pas venir car à Oujda, il n’y a plus de travail, la frontière avec l’Algérie est fermée. L’essence est plus chère qu’en France. Mais j’aimerais bien y aller mais comment faire si le Maroc ne me reconnait pas, je suis coincé !

Il a vu un ophtalmologue en prison qui lui a fait une prescription pour des lunettes, au CRA on lui refuse la possibilité de les faire. Il doit également se faire opérer du bras, on doit lui enlever un bout d’os suite à une fracture. Le bras est douloureux, refus du CRA de Cornebarrieu de voir un médecin pour ça.

A propos des conditions de vie dans le centre : “On nous sert la nourriture comme aux chiens, comme les boîtes qu’on ouvre aux chiens.
Moi je suis tranquille, je cherche pas d’histoire sinon les policiers s’énervent, pas tous mais il y en a qui sont agressifs.” Il a voulu faire l’interprète pour un co-détenu qui s’exprime mal en français et qui voulait acheter des cigarettes : “Quand j’ai demandé pour lui, le policier m’a dit va te faire foutre, j’ai rien dit, sinon on sait pas ce qu’il se passe après.”
Le co-détenu s’est énervé du refus de la police et 3 policiers sont arrivés et lui ont dit : “on va te calmer si tu continues”. Alors il s’est tu.

Il a fait une grève de la faim pendant 2 jours, “quand j’ai vu qu’ils n’en avaient rien à foutre que je mange pas, j’ai arrêté et quand je suis revenu manger, ils ont ri.”
Quand j’étais au CRA de Sète, j’étais malade, je ne pouvais pas bouger, les policiers n’ont pas appelé les médecins, ils nous traitent comme des chiens

Nous faisons une seconde visite à M. L car il manquait de vêtements et de cigarettes.
Il nous demande d’emblée et avec un sourire : “c’est comment dehors ?”, sa façon de nous dire son enfermement.

Nous lui demandons comment va-t-il et comment cela se passe avec les policiers depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.
ça va un peu, c’est la prison ici, j’en ai marre, j’ai rien, pas d’argent, pas de cigarettes, pas de vêtements...Avec les policiers, ça dépend des équipes, y’en a qui sont tranquilles, qui nous laissent prendre un yaourt ou du pain pour faire des sandwichs dans la chambre si on a faim après, mais y’en a s’ils veulent partir en week-end, ils nous parlent fort avec des gestes, ils nous cherchent..."
M. L semble avoir bien compris que les policiers peuvent disposer de primes ou de temps de repos supplémentaires quand ils gèrent des situations « difficiles ».
"L’autre jour, y’en a un qui m’a dit de l’attendre, je lui dis “vas-y, je t’attends”.
Il me dit : “pourquoi tu me dis vas-y ? C’est une insulte

C’est pas une insulte, c’est du français, vas-y !
Si ! C’est une insulte, me prend pas pour un con ! Il a commencé à crier et il a pointé son doigt sur moi, (il met son doigt sur son torse), là j’ai compris qu’il cherchait une droite, j’ai rien dit, j’ai dit ok, ok.

Un policier entre dans le parloir pendant notre visite et dit à M. L qu’il devra aller voir le médecin. On lui demande ensuite pourquoi.
Je sais pas, peut-être pour les médicaments, faut que je prenne des médicaments sinon je dors pas et je suis pas bien." Le médecin du CRA, lui donne du Tercian (neuroleptique sédatif) et du Diazepam (Valium : anxiolytique et sédatif). Ces médicaments lui sont prescrits pour une consommation quotidienne.

N’étant toujours pas expulsable vers le Maroc, M. L a été finalement expulsé vers l’Espagne sans que l’on en sache davantage.

Visites au CRA - septembre 219

Notes

[1Rapport de règlement de budget et d’approbation des comptes de l’année 2018, 6 juin 2019

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