De la logique génocidaire

Du traitement médiatique de la guerre en Israël et Palestine et de la logique génocidaire du gouvernement d’extrême-droite israélien

À longueur de débats télévisuels sur la question de savoir quelle façon de tuer des enfants est plus légitime que l’autre, ou sur la question de savoir quels enfants il est moins grave de tuer, bref, de tentatives continuelles d’héroïser une armée criminelle d’occupation qui serait justifiée par l’auto-défense, on peut vite être pris de vertige. L’arme absolue de la propagande n’est pas tant le mensonge pur et simple (c’est trop facile à démonter, surtout à moyen terme), mais plutôt la décontextualisation des faits. Elle permet une mise en scène du réel et in fine sa dépolitisation.

Le traitement médiatique français des massacres du 7 octobre est un cas d’école. La décontextualisation, c’est évidemment de faire passer les massacres du Hamas pour le début d’un conflit, alors que, depuis des décennies, les Palestiniens colonisés sont assassinés, violentés et emprisonnés quotidiennement. Une puissance coloniale qui pratique le crime contre l’humanité d’apartheid et réprime les manifestations de Palestiniens à coups de snipers devient seulement une démocratie attaquée. Face aux horreurs, réelles, subies par une démocratie attaquée par des terroristes, il ne reste plus que le jugement moral, limpide. On se contente donc de condamner, de façon effectivement évidente, des massacres de civils, mais, se contenter de cette condamnation, c’est renoncer à la politique. Quand on prend en compte le contexte, les massacres du Hamas n’en sont pas moins horribles, mais on peut comprendre d’où ils viennent et, surtout, on évite d’ériger un camp du Bien, chose bien plus dangereuse encore que d’ériger un camp du Mal (même si, par définition, ce sont les deux faces d’une même pièce).

Or, lorsque l’on renonce à faire de la politique, et que l’on se contente de la morale, on en arrive vite à imaginer être le camp du Bien, contre celui du Mal. Vouloir parler absolument de terrorisme, plutôt que d’utiliser le langage du droit, celui de crime de guerre, a participé à cette dépolitisation et ajouté par-dessus le marché l’incohérence. Si le terrorisme, c’est tuer des civils pour terrifier une population, alors Israël est un État terroriste au même titre que le Hamas est une organisation terroriste. Bien entendu, l’accusation n’est allée que dans un sens, prouvant par-là même son caractère éminemment idéologique. En effet, derrière le terme, il y a la « guerre contre le terrorisme », en fin de compte la guerre contre le Mal : le terrorisme est en fait, dans la bouche d’une grande partie des politiques et des journalistes, le synonyme de Mal. Ne pas dire terrorisme, c’était dire que c’est bien. Le problème, quand on est dans le camp du Bien, camp, rappelons-le, qui n’existe pas, c’est qu’on est coincé : le Bien ne pouvant pas faire le Mal, Israël ne peut pas être terroriste, donc ne peut pas faire le Mal. Si l’armée israélienne tue des enfants, c’est donc qu’elle a une bonne raison. Comme le bon chasseur, elle tire, mais ce n’est pas pareil, parce que c’est le bon chasseur. Et nous voilà revenus au débat de caniveau par lequel j’ouvrais cet article.

Ceux-là même qui accusaient LFI de justifier des atrocités, ce qu’elle n’a jamais fait justement parce qu’elle s’en est tenu au langage du droit et qu’elle a pu, avec précision, dénoncer les crimes de guerre des deux camps, sont désormais les premiers à justifier des atrocités d’une ampleur encore plus grande. Les somme-t-on de parler de terrorisme ? Sort-on de l’arc républicain si l’on ne parle pas de terrorisme pour les milliers d’enfants assassinés par l’armée israélienne ? Voilà bien un débat qui ne mène nulle part.

Alors voilà : une fois que l’on a dit que massacrer des civils était un acte horrible, il faut avancer, et avancer à travers un positionnement politique, donc dans un contexte. Ce contexte, c’est celui d’une asymétrie colossale, une colonisation galopante d’une extrême violence dont les structures d’apartheid correspondent à un crime contre l’humanité, comme le dit très bien Amnesty International. Cette réalité, qui contient un brutal rapport de force, doit nous aider à envisager l’avenir. Ainsi, si nous sommes désormais au bord d’un génocide, ce n’est pas un hasard : un système de domination raciste et meurtrier, dans la durée, a toutes les chances de produire une logique génocidaire qui a les moyens de ses ambitions. Voilà ce qui doit inquiéter, en premier lieu, l’ensemble des Etats du monde.

Mais voilà qu’il faudrait discuter du terme génocide, car les intentions ne sont pas toujours claires dit-on. Que faut-il de plus que les déclarations illuminées et racistes de tout le gouvernement d’extrême-droite israélien ? Quand un ministre parle d’« animaux humains », ce n’est pas sous le coup de l’émotion : c’est ce qu’il pense depuis bien longtemps. Ce sont les paroles d’hommes qui saisissent l’occasion d’en finir avec ceux qu’ils voient comme des animaux depuis toujours.

Le siège de Gaza et son bombardement systématique ne peuvent constituer en eux-mêmes un génocide au sens strict du terme pour une seule raison très simple : on ne peut vraiment parler de génocide qu’une fois qu’il est accompli. Car, le propre d’un débat sur la bonne désignation d’un crime, c’est que, pour qu’il puisse donner une quelconque issue concluante, il faut que le crime en question soit commis : difficile de qualifier un meurtre avant que la victime soit effectivement morte. Il en est de même avec un génocide. Les débats pseudo-intellectuels sur le fait de savoir si on peut ou pas parler de génocide n’ont donc aucun intérêt sur le plan politique, dont la vocation est d’éviter qu’un crime soit commis. On lit même dans cet article de Médiapart que l’organisation Genocide Watch a déjà identifié le franchissement de six paliers sur dix[1]. Certes, mais combien de gazaouis restera-t-il lorsque le dernier palier aura été franchi ? Le débat relève donc de l’absurde, de l’examen historique avant l’heure.

La seule chose qui doit intéresser les acteurs politiques actuels c’est la question suivante : le massacre actuel des Palestiniens par l’armée israélienne a-t-il une logique génocidaire ? À cette question, la réponse est beaucoup plus simple à trouver. C’est oui. Dans une situation où est mise en œuvre de façon très assumée une logique génocidaire, nous avons un président français qui parle de lutte contre le terrorisme avec le génocidaire en chef, son cher Bibi. Quand les bombes russes tuent des Ukrainiens, il s’insurge, à juste titre, quand elles tuent des Arabes, il s’en fout. Voilà la triste réalité de la diplomatie française à l’ère de Macron.

Au stade où nous en sommes, face à un gouvernement de fanatiques de la pire espèce, qui ont créé, de façon d’ailleurs active, le monstre qu’est le Hamas, pour pouvoir mieux justifier leurs propres crimes, il n’y aura que la contrainte. Nous sommes loin du compte.

[1] https://www.mediapart.fr/journal/international/011123/guerre-au-proche-orient-le-genocide-terme-juridique-et-arme-politique

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