Police municipale : force ou farce ? Enquête

Alors que la police municipale (PM) n’a cessé de gonfler ses effectifs depuis les années 80 pour devenir la troisième force de police du pays, ses prérogatives, son fonctionnement et son histoire restent peu connus. Pourtant, à Toulouse comme dans bien d’autres métropoles, elle prend une place de plus en plus importante dans le dispositif répressif de la guerre aux pauvres. Dans une optique d’autodéfense populaire, il nous semblait important de se pencher sur cette question.

Cet article a été rédigé dans le cadre du collectif d’entraide à la rédaction.

Qu’est-ce que la PM, historiquement et sociologiquement ? Quels sont les droits d’un.e agent de police municipale ? Comment devient-on flic municipal.e ? Nous apportons des éléments de réponse dans ce premier article.

Dans un deuxième temps, on se penchera plus spécifiquement sur la situation propre à la ville de Toulouse, où la PM s’applique à maintenir les plus précaires dans un sentiment d’insécurité permanent, qu’elle surgisse dans un squat lors d’une projection ou qu’elle tabasse et interpelle gratuitement des personnes à la rue : quelles sont les évolutions des missions de la PM sous le règne de Moudenc ? Comment joue-t-elle un rôle actif dans le nettoyage et la gentrification de la ville rose ?

Brève histoire de la police municipale en France

Mais d’abord, tentons de faire un bref historique de ce corps policier.

La révolution française se débarrasse de la police de l’Ancien Régime et, dès 1789, la confie aux maires. Ses fonctions et prérogatives sont définies dans la loi du 14 décembre 1789 qui lui confère une mission essentiellement municipale. Elle est chargée de « faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté ». Le/la maire s’affirme alors comme le responsable direct de la police, ce qui perdure jusqu’à aujourd’hui où l’édile est le/la première magistrat.e de la ville.

Et Vichy créa la police nationale

Arrive le gouvernement de Vichy qui n’affectionne pas particulièrement les polices municipales. Il les accuse d’être « loyales et fidèles à la République ». Pour cause, il faut savoir que les policiers municipaux de l’époque n’étaient pas toujours des spécialistes : peu nombreux et mal appointés, ils devaient parfois exercer un deuxième emploi, et n’avaient pas d’uniforme commun. Si bien que le gouvernement collabo fera peser sur elles les causes de l’insécurité en France. La loi du 23 avril 1941 organise par conséquent l’étatisation de la police pour les villes de plus de 10 000 habitants... La police nationale est née [1].

Dans les villes plus petites, la sécurité publique fut confiée à la gendarmerie nationale. Notons au passage que l’État n’a juridiquement jamais renoncé à la possibilité d’étatiser les agents de la police municipale.

Les années 70 jusqu’aujourd’hui : le retour de la mumu

En 1965, un arrêté stipule qu’une commune de plus de 2 000 habitant.es peut se doter de sa propre police municipale. Ainsi, et malgré le mouvement général d’étatisation des polices, les polices municipales, loin de disparaître, se développent pour connaître un essor fulgurant à partir des années 80. A titre d’exemple, la ville de Toulouse comptait 12 policiers municipaux en 1974, contre 170 en 2014, et 340 d’ici la fin du mandat de Jean-Luc.

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Le petit graphique qui va bien

Face au « sentiment d’insécurité » grandissant savamment orchestré par les médias de masse malgré la baisse continue de l’insécurité réelle [2], les élu.e.s se rendent populaires à moindres frais par la création d’une police réputée de proximité et au service des administré.es. Pour elleux, c’est surtout des agents à leur service qui leur confèrent un réel pouvoir exécutif sur leur commune.

La PM est aujourd’hui en pleine expansion. Elle constitue la troisième force de police en France et son développement n’est pas prêt de s’arrêter, y compris dans les villes qui disposent déjà d’une police d’État [3], dont les effectifs augmentent eux aussi régulièrement. Sur les quelques 35 000 communes que compte la France, près de 4 000 possèdent une mumu. Les 50 plus grandes villes en ont toutes une, à l’exception notable de... Paris, où le préfet de police exerce les pouvoirs et attributions habituellement confiés aux maires. D’autres villes ont fait le choix politique de se contenter de la police d’État : Nanterre, Créteil et Brest (dans cette dernière, il y a même des pages Facebook qui appellent à la création d’une police municipale !)

Comparaison internationale : de la PM au NYPD

Si la PM ne jouit pas d’une légitimité extraordinaire en France et ne bénéficie à ce titre, nous allons le voir, que de pouvoirs limités, il en est tout autrement dans les autres pays industrialisés où elle n’a jamais été étatisée. La police y est donc de ce fait d’abord municipale. C’est intéressant de le relever, mais gardons en tête que les comparaisons sont hasardeuses : un.e maire n’a pas les mêmes pouvoirs en France qu’ailleurs, selon les systèmes politiques propres à chaque état.

Citons tout de même la célèbre Met de Londres (rien à voir avec la crystal, mais plutôt avec la Metropolitan police service) [4], fondée en 1829 et qui s’est notamment distinguée en 2011 par le meurtre du jeune Mark Duggan, provoquant cinq jours d’émeutes mémorables à Londres et malheureusement autant de morts. Ou encore la mythique NYPD (New York city Police Department), fondée en 1845 sur le modèle anglais et dont les 35 000 agents sont secondé.e.s depuis 1950 par le réjouissant NYPD Auxiliary Police ; 4 000 bénévoles qui consacrent, sous uniforme officiel, une partie de leur temps libre à jouer à la police (on se rassurera comme on peut en apprenant qu’iels ne sont pas armé.es). Cela veut effectivement dire que l’Inspecteur Harry (auquel on préfèrera la version originale Dirty Harry) et son 44mm, interprêté par Clint Eastwood en 1971, n’est qu’un "policier municipal" de San Francisco... A Barcelone, c’est la Guardia Urbana de Barcelona de 1843 et ses 4 000 agents qui font régner l’ordre (avec plus ou moins de succès...) en disposant de tous les pouvoirs dévolus en France à la police nationale.

L’exception française en matière de police est donc à mettre sur le dos de Vichy d’une part, et de la tradition jacobiniste d’autre part, qui tend à faire de l’État un grand organe centralisateur, devant lequel tou.te.s les citoyen.nes, où qu’iels vivent, sont égaux en droit (ah, ah, ah).

Mais qui a dit que la mumu à la française n’avait pas la classe ? Ici, Jean-Michel prend en chasse les baleiniers chinois ayant eu l’audace de s’aventurer sur la côte méditérannéenne

Quelles sont les compétences [5] de la police municipale ?

La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.
Article L2212-2 du Code Général des Collectivité Territoriales.

Les polices municipales sont régies par plusieurs codes du fait qu’elles agissent dans les domaines à la fois administratif (contraventions, application d’arrêtés municipaux, etc...) et judiciaire (relatif au crime et délit - voir par exemple ici). D’ailleurs les prérogatives et fonctions de ce corps ne sont pas très claires et peuvent varier d’une ville à l’autre puisqu’ils dépendent des conventions de coordination signées avec la Police Nationale (milice du capital) localement.

Les agents de Police Municipale ont la « qualité » d’agents de police judiciaire adjoints [6].

Contrôles et relevés d’identité

Iels ne peuvent procéder à des contrôles d’identité, mais ont la faculté de relever les identités dans les cas prévus par la loi : en gros lors d’infraction constatée dans leur domaines de compétences (arrêté municipaux, code de la route, voie publique et tout récemment transport). Si la personne n’a pas de pièce d’identité les policières municipales [7] doivent référer à un.e officier.e de police judiciaire qui peut ordonner que la personne lui soit présentée.

Bon à savoir : l’agent de PM ne peut demander plusieurs pièces d’identité, au risque de basculer dans le contrôle d’identité : cela signifie que la policière municipale ne peut pas comparer plusieurs documents pour en vérifier l’exactitude.

Lors du vote de la LOPPSI II, les parlementaires avaient permis aux PM de procéder à des contrôles d’identité. Cette mesure a été refusée par le Conseil constitutionnel au motif que ce contrôle n’était pas effectué sous la surveillance et la responsabilité d’un.e OPJ.

Interpellations

Il faut qu’un délit soit constaté dans sa sphère de compétence pour que la police municipale puisse intervenir, ou alors un « flag ». Dans ce dernier cas, comme tout.e citoyen.ne [8], elle peut appréhender l’auteur.e des faits et le ou la présenter de gré ou de force devant l’officier.e de police judiciaire la plus proche [9]. À noter que cette prescription ne vaut que lorsque le délit est passible d’une peine d’emprisonnement et non simplement d’une peine d’amende.

Concrètement, dès que le PM a connaissance d’un délit ou crime flagrant, il est tenu par l’article 21-2 du CPP d’en informer l’officier de police judiciaire (OPJ) territorialement compétent.e. En principe, car en pratique, il y a constatation puis interpellation et seulement avis à l’OPJ. C’est pourquoi les modalités d’application des mises à disposition sont précisées au travers de conventions de coordination, comme la façon de joindre l’OPJ. Celle de Toulouse, signée en 2014 (photo ci-dessous), est disponible ici, nous y reviendrons.

Signature de la nouvelle convention, musclée, de coordination entre la PM et la PN à Toulouse

Les policiers municipaux peuvent parfois attendre plusieurs minutes avant de voir l’OPJ arriver et prendre en charge leur victime. Une fois remis aux officier.es, les agents peuvent reprendre leur patrouille de surveillance, car iels sont incompétent.es en matière d’investigation.

Néanmoins, l’usage des entraves (menottes) et la mise à disposition à l’OPJ peuvent intervenir en l’absence de délit ; c’est le cas des personnes en état d’ébriété sur la voie publique ou celui des « aliénés ». En août dernier d’ailleurs, un homme décédait en cellule de dégrisement du commissariat central de Toulouse d’une mystérieuse fracture du crâne. La police municipale l’avait déposé quelques heures plus tôt à l’embouchure.

La mumu a donc un pouvoir de nuisance assez important, si bien qu’à Cannes par exemple, elle se place au second rang des services les plus productifs en matière d’interpellations, juste derrière la BAC [10] !

Limites

En bref, deux limites sont présentes dans les textes sur les « compétences » des policierères municipales : la participation au maintien de l’ordre ainsi que les actes d’enquête (audition par exemple), tout comme les contraventions relatives à l’atteinte à l’intégrité des personnes. Pour le reste (sécurité de la voie publique, interventions sur des troubles de voisinages, surveillances etc...) ce n’est plus qu’une question de moyens.

Le charmant Groupe d’Opération Mobile de la police municipale de Lyon

Conscients des limites de leur mandat, les policiers municipaux exploitent au maximum leur marge de manœuvre vis-à-vis des textes, au point, parfois, d’agir aux frontières de la légalité. Dans les travaux de la sociologue Virginie Malochet on en apprend pas mal sur ce genre de pratiques :

Avant que la loi de 1999 ne permette le relevé d’identité, les policiers municipaux utilisaient des parades inquiétantes pour pallier l’interdiction de contrôle. A la "grande époque" du travail en 3/8, quand la PM multipliait les interventions sur flagrant délit, ils devaient ruser pour faire aboutir leurs procédures. En situation, ils se débrouillaient pour obtenir l’identité du délinquant et "arrangeaient" les rapports au mieux pour que le parquet les accepte, grâce à des formules magiques du type : "L’individu nous déclare verbalement et spontanément son identité." Lise raconte : "Un rapport de PM, avant, c’était de l’art ! Parce que c’était réussir à rédiger quelque chose de légal, alors qu’on avait contourné un texte pour y parvenir. Mais il faut voir les chemins qu’on empruntait pour y parvenir !" Aujourd’hui encore, les PM manient habilement les subtilités langagières.

A savoir : divers droits accordés à la PM

Les agents de PM peuvent constater le délit d’occupation des halls d’immeubles au moyen d’un rapport.

Lorsqu’elles sont affectées, sur décision du maire, à la sécurité des manifestations sportives, culturelles et récréatives rassemblant plus de 300 personnes (1500 avant la parution de la LOPPSI II), elles peuvent procéder à l’inspection visuelle des sacs, et, lorsque la personne l’autorise, à la fouille éventuelle des bagages. A défaut de consentement, la personne n’est pas autorisée à entrer sur le lieu de la manifestation. Ils peuvent dans ce cadre également procéder aux palpations de sécurité comme lors d’une interpellation de flagrance.

La PM peut saisir du matériel lors d’événements festifs à caractère musical (rave parties par exemple).

En cas de danger grave et immédiat pour les personnes (un chien non tenu en laisse suffit...), la PM peut placer un animal à la fourrière, et même faire procéder à l’euthanasie après avis d’un vétérinaire mandaté par les services vétérinaires.

Quel armement pour la police municipale ?

C’est au maire qu’appartient la décision politique d’armer ou non son service de police municipale. Le décret du 24/03/2000 prescrit qu’iel doit en faire la demande motivée auprès du préfet de son département.

Mais le 9 janvier dernier, Amedy Coulibaly assassinait Clarissa Jean-Philippe, policière municipale de Montrouge (banlieue parisienne). L’occasion était trop belle pour les syndicats de police municipale ; après un intense travail de lobbying (« On est passés dans une autre époque. C’est être un assassin pour un maire de mettre un agent non armé sur le terrain. [11] »), la loi de prorogation de l’état d’urgence du 21 juillet dernier assouplissait drastiquement les règles. En effet, elle modifie l’article L.511-5 du Code de la sécurité intérieure qui stipulait que les préfet.es ne pouvaient autoriser l’armement des PM uniquement « lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifiaient. » Cette derniere phrase a été supprimée.

Une circulaire du ministère de l’intérieur adressée aux préfet.e.s le surlendemain précise, au cas où ce n’était pas assez clair : « Vous n’êtes donc plus fondés à refuser une autorisation de port d’arme au seul motif des circonstances locales que constituent, par exemple, le niveau de la délinquance, l’importance de la commune, ou encore la nature des interventions de la police municipale de cette commune. » Open bar pour la mumu !

Après les attentats de janvier dernier, la mumu n’a jamais été aussi Charlie !

Dans les grosses villes, 54% des policieres municipaux ont un flingue à la ceinture, une progression de 12% par rapport à 2012.

Mais évidemment, ça ne suffit déja plus. Déjà, des maires réclament des armes longues, comme les nationaux, pour jouer à faire la guerre. Comme le dit si bien le maire d’Asnières-sur-Seine : « Tant qu’à s’armer, autant ne pas le faire dans la demi-mesure et ne pas lésiner sur les moyens. Je crois qu’il ne faut pas susciter de faux espoirs chez les gens. » Rire ou pleurer ?

L’avant-garde bitteroise dans ses plus belles oeuvres

Autre joujou de choix pour les agents de la mumu, le pistolet à impulsions électriques (Taser). 60% des policières municipales en sont équipé.es.

Sont aussi autorisées (et utilisées) : les armes de catégorie 4 comme le calibre 38 spécial, le 7,65mm Parabellum, mais aussi le flashball et le LBD40 - Bordeaux, Nantes, Marseille, Lyon (liste non exhaustive, hélas) ont fait ce choix. Les armes de 6ème catégorie sont bien sûr autorisées : matraques, tonfas, lacrymos...

L’agente de PM doit tirer au moins 50 cartouches au cours de deux séances annuelles d’entrainement, 8 lorsqu’iel est armé.e d’un flash ball. L’armement des agents est subordonné à l’obtention d’un certificat d’aptitude psychique et physique délivré par un médecin généraliste. Mais un.e agente de police municipale peut consulter autant de médecins qu’iel le souhaite jusqu’à délivrance de ce certificat...

Autre arme très en vogue, les chiens policiers. Les services de PM ont la possibilité de détenir des chiens et de les dresser au mordant sans avoir l’obligation de détenir la qualification ou le certificat de capacité, obligatoire pour les personnes privées ou pour les sociétés privées de sécurité. Pourquoi s’en priver ?

Des malinois promènent leur flic à l’occasion du traditionnel défilé du 14 juillet

Les ASVP : kézako ?

Les Agents de Surveillance de la Voie Publique sont les auxiliaires indispensables des agents de police municipale. Les ASVP œuvrent avec ou sans les PM, suivant l’organisation du service, et ont pour principale mission de surveiller le stationnement payant et gênant, afin que les policiers municipaux puissent agir dans d’autres domaines de leurs compétences. Toutefois les ASVP exécutent bien d’autres missions. Ils complètent les patrouilles de PM sans pour autant pouvoir conduire les véhicules des PM et peuvent avoir en charge l’accueil du public et les missions de planton. Leur formation est inexistante. Ils sont soumis au règlement intérieur des PM, mais en revanche ils ne sont pas soumis à leur Code de déontologie.

Les ASVP sont recrutés en masse pour une grande part afin de pallier le manque de policiers municipaux, car les « candidat s’avèrent difficiles à recruter ». Ainsi l’importante pénurie favorise largement leur recrutement, si bien que de nombreux ASVP passent et obtiennent le concours de policier municipal. D’une manière générale le recrutement de ces agent.e.s permet de concentrer les agent.e.s de la PM sur des missions de police.

Sociologie de la police municipale

Qui donc entre dans la PM ? Si l’on ne peut répondre avec précision statistique faute d’enquêtes quantitatives, le travail de Virginie Malochet permet de dresser un vague profil : il s’agit d’un métier masculin qui recrute majoritairement parmi les milieux populaires, à niveau scolaire assez bas (formation courte, technique ou professionnelle le plus souvent), plus élevé cependant chez les jeunes gardiens (bac voire bac+2) compte tenu de l’inflation générale des diplômes et du renforcement de la sélection à l’entrée dans la profession.

Mais pourquoi devient-on policier.e municipal.e ? Certaines des observations de la sociologue battent en brèche quelques idées reçues. Les municipaux ne seraient pas (que) des flics raté.es ! Ce sont aussi, pour résumer avec un peu de mauvaise foi, des provinciaux qui n’ont pas envie de se farcir la région parisienne. En effet, la PM laisse aux agents le libre choix de leur affectation, contrairement à la PN qui envoie généralement ses jeunes recrues dans les zones les moins bien réputées. Certain.e.s flics ont même réussi le concours de la gendarmerie ou de la police nationale, mais ont préféré la mumu dans le but de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle.

Recrutement

Les fonctions de PM au grade de gardien sont accessibles par concours. Il suffit d’avoir plus de 18 ans, d’être titulaire d’un diplôme de niveau V (CAP, BEP…) et bien sûr d’être de nationalité française.

La réussite du concours est souvent considérée comme un parcours du combattant. En effet, les informations ne sont pas faciles d’accès et les épreuves sont très éloignées du système scolaire traditionnel. Certains candidats réussissent après quinze tentatives, ce qui, selon les mots même du directeur de la police municipale, « interroge nécessairement sur la qualité du public recruté » [12].

Par ailleurs, il est observé un aspect lacunaire dans les épreuves d’admissibilité. En effet, « aussi incompréhensible qu’il y paraisse » (dixit, toujours, le directeur national de la PM), le concours de gardien de police municipale ne comporte pas de tests psychologiques, à l’inverse de ceux de chef.fe de service de police municipale et de directeur.ice de police municipale.

Dès lors que la nomination est prononcée, le.la lauréat.e devient stagiaire pour un an avant d’être titularisé.e sur présentation d’une attestation de fin de stage.

Discrimination sexiste à l’embauche

Sans surprise, la PM est un univers « imprégné des valeurs viriles ». Selon V. Malochet, les femmes intègrent petit à petit la profession sur fond de discriminations récurrentes autour d’espaces ségrégués et de domaines sexués réservés.

L’incorporation des femmes suscite réticences et oppositions dans les rangs masculins de la PM. Sur l’un des terrains d’enquête, le chef de police rejette systématiquement toute candidature féminine [13] parce que les choses se sont mal passées avec l’unique policière qu’il a recrutée et que cette expérience vaut pour lui règle générale. Les discours laissent ainsi transparaître de puissantes résistances à la présence féminine. Ils se fondent d’abord sur le postulat d’infériorité physique et allèguent l’incapacité du "sexe faible" à faire face, lors des rixes notamment. Ils portent aussi sur l’incompatibilité supposée de la vocation maternelle et de la fonction policière et renvoient la femme son rôle traditionnel d’épouse et de mère.

Bien évidemment il pouvait difficilement en être autrement dans cette institution dont un des rôles est de maintenir l’ordre patriarcal.

Ambiance

Pour finir, nous vous donnons à lire quelques situations rapportées par la sociologue qui a partagé la compagnie de neuf services différents pendant trois ans d’enquête.

Jean-Michel teste un véhicule expérimental dont le cockpit téléscopique permet une visibilité quasi-panoptique sur ses administré.es

C’était mieux avant :

A Cannes, Manuel raconte : "C’est vrai qu’on pouvait se permettre certaines choses que maintenant on n’imaginerait même pas pouvoir s’autoriser. - Du type ? - Ben... Il nous est arrivé parfois d’interpeller quelqu’un et puis peut-être il prenait une baffe ou deux, je veux dire, voilà. Ou il nous est arrivé de tirer en l’air. On tirait en l’air, avec le pistoler à l’époque, on poursuivait quelqu’un, ’pouf, pouf, pouf !’, on tirait trois coups de feu en l’air..." Le renforcement du cadre juridique limite aujourd’hui les dérives dans ces "PM de cow-boys" (pour reprendre l’expression utilisée par leurs détracteurs), mais pour nombre des agents socialisés en leur sein, le "vrai" travail consiste à arrêter les délinquants et le repositionnement de l’activité en termes de surveillance des squares ou des sorties d’école paraît illégitime. Ils se remémorent avec nostalgie un âge d’or révolu, ’le bon vieux temps’, ’la grande époque’, et ne manquent pas d’évoquer les ’superflags’ pour raviver la mémoire collective et la transmettre aux plus jeunes.


Une police de proximité...
 :

Les policiers d’un poste annexe m’annoncent qu’ils partent "îloter" au centre commercial du quartier. Deux d’entre eux "patrouillent" sur 15 mètres à peine - la distance qui sépare le véhicule du guichet bancaire automatique où ils retirent chacun trente euros - tandis que le troisième "prend contact" avec une commerçante - 20 secondes, le temps de lui payer L’Equipe et Le Parisien. L’îlotage donna un alibi professionnel aux courses personnelles effectuées pendant les heures de travail.

Robert rejoint les maîtres nageurs dans un local fermé au public, Patrick attend quelques minutes près du bassin. Là, Patrick reçoit un appel radio pour un problème de stationnement en centre ville. Comme Robert ne revient pas, il part le chercher. Les maîtres nageurs terminent un repas bien arrosé, ils l’invitent à s’asseoir. Robert les connaît bien, il boit un verre de rosé et rit avec eux. Patrick tente subtilement de le mobiliser pour l’intervention, mais Jammy, en terrain conquis, lui fait comprendre qu’ils vont prendre leur temps et apprécier le café qui leur est offert.

Prise de contact ou harcèlement ?

... et conviviale

Tristesse et désarroi chez les policiers municipaux de la ville X. C’est un jour sombre, celui des funérailles d’un ancien collègue. L’homme s’est suicidé avant-hier. L’événement tragique bouleverse la police municipale. Le "patron" décide d’alléger le service et de mettre un fourgon à disposition pour permettre au plus grand nombre d’assister aux obsèques. Il prend également l’initiative de réserver une table dans un restaurant pour réunir le groupe après l’enterrement. En fin d’après-midi, lorsqu’il ramène le véhicule au poste, son attitude laisse à penser que le déjeuner prolongé fut bien arrosé. Par ailleurs, il est prévu de longue date qu’il m’emmène patrouiller cette nuit. Fortement affecté par la mort de son ami, un brin soûl, il ne paraît pas vraiment en état de travailler. Cependant, il tient à m’accompagner et a même mobilisé pour l’occasion - notre rendez-vous initial n’est plus qu’un prétexte - ses plus fidèles compagnons, grisés par l’alcool, qui ne font pourtant plus les nuits depuis fort longtemps. Ensemble, ils veulent revivre leurs vieux souvenirs, "comme à la grande époque". Je ne mesure pas alors la portée des incidents à venir et pars avec ce drôle d’équipage.
Je passe sur le détail des agissements de ces cinq personnes et sur leurs pérégrinations nocturnes à la buvette de la caserne militaire, à la pizzeria de la commune voisine puis au comptoir d’un hôtel du centre. Notons simplement que, s’ils noient ce soir leur chagrin dans la boisson, ils semblent bien connus des barmen de leurs divers points de chute. Entre deux verres, ils circulent un peu dans la ville. Après avoir heurté plusieurs trottoirs, évité in extremis deux ou trois obstacles, ils s’arrêtent au milieu de la route et contrôlent sans raison - illégalement, donc - deux jeunes gens qui marchent tranquillement. Ils les fouillent et, comble de l’ironie, les soumettent à l’alcootest avant de les laisser repartir. A mon grand soulagement, ils ne saisissent aucune autre (fausse) opportunité d’intervention. Puis, vers 2 heures du matin, les compères se lâchent autour d’un dernier verre : "On va te faire un beau flag pour que tu voies ce que c’est", "on va casser du bougnoule", j’en passe. J’annonce qu’il est temps pour moi de rentrer.

Un métier difficile.

Lors d’une manifestation de policiers municipaux en mars 2002 à Paris, dans un défilé "long, lent et bruyant, un agent déclare "quand-même, ce qu’on fait aujourd’hui c’est l’équivalent de deux ans d’îlotage !"

Bibliographie

  • Les policiers municipaux, Virginie Malochet, 2007.
  • Police municipale : mission et moyen, Franck Denion (directeur de la PM), 2013. [14]
  • La Police, Que sais-je, Alain Bauer (truand), 2010.

Notes

[1Auparavant, c’était l’armée, par la gendarmerie, qui assurait la plupart des fonctions de la police nationale. Il faut remettre tout cela dans le contexte d’un pays très rural. L’histoire de la Préfecture de police de Paris reste une histoire tout à fait à part.

[2Si l’on n’exclue bien sûr celle causée par la dangerosité exponentielle de la police en France...

[3Police nationale ou gendarmerie.

[4A noter que la City, le centre d’affaire de rang mondial présent au coeur de la ville, dispose de sa propre police, la City of London Police.

[5Nous ne parlons pas ici de domaines où iels seraient particulièrement doué.es mais bien de ce que la loi les autorisent à faire.

[6OPJ (officier.e de police judiciaire) , APJ (Agent de Police judiciare) et APJA (Agent de Police Judiciaire Adjoint) sont trois rangs (dans l’ordre hiérarchique) qui déterminent des fonctions différentes. L’ajout de "judiciaire" implique un lien avec l’institution du même nom et donc le parquet (procureur). Ces personnes sont habilitées par une formation et leur titre à faire des actes judiciaires : mettre en GAV, auditionner dans le cadre d’une enquête etc...

[7Du fait de la lourdeur de la féminisation du terme "policiers municipaux", nous avons choisi de parler au féminin une fois sur deux.

[8Enfin toutes celles qui veulent bien se prêter au jeu de l’auxiliaire de police bénévole.

[9art.73 de leur code de procédure pénale.

[10Virginie Malochet (voir plus haut) rapporte : En 2002, la police municipale de Cannes a effectué au total 1412 mises à disposition (soit 4 par jour en moyenne), dont 503 ont donné lieu à une GAV. Sur ce plan, elle se place au second rang des services les plus "efficaces de la circonscription de la sécurité publique, juste derrière la BAC qui a effectué la même année 504 mises à disposition ayant donné lieu à une garde à vue.

[11Dixit le délégué niçois d’un syndicat, ici.

[12L’admissibilité au concours de gardien de police est composée d’une épreuve de rédaction, d’un rapport de police à partir d’un sujet donné ainsi que de questions de grammaire et d’orthographe. Quant aux épreuves d’admission, elles comportement un entretien avec le jury, qui est destiné à permettre d’apprécier la personnalité, la motivation du candidat, ainsi que d’évaluer les connaissances en matière d’organisation administrative et judiciaire, puis deux épreuves physiques : une course à pied obligatoire, puis, au choix, un saut en hauteur ou un saut en longueur, ou bien un lancer de poids ou une épreuve de natation.

[13Ce qui est illégal, ndlr...

[14A noter, pour l’anecdote, que son bouquin commence par une citation de... Michel Foucault. « Notre civilisation disparaîtra quand les gens auront perdu le désir d’accepter la souffrance nécessaire pour préférer l’avenir au présent. »

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  • 4 février 2019

    Je me permets d’insérer un extrait d’un article personnel intitulé "Brève histoire de la police" et publié le 17 juin 2011 :

    Si l’on peut faire remonter la définition des pouvoirs de police du maire au décret du 22 décembre 1789, donc à la Révolution, la police municipale fut plus clairement instituée en 1884, précisément par la loi du 5 avril 1884. Cette dernière est donc antérieure à la police nationale. Cela dit, HISTORIQUEMENT, C’EST LA POLICE NATIONALE QUI EST MODERNE ET NON LA POLICE MUNICIPALE dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Le XIXème siècle voit le début d’un mouvement d’étatisation des polices municipales d’un certain nombre de grandes villes ou de communes appartenant à la conurbation parisienne, qui se poursuit au XXème siècle. Citons à titre d’exemples : Lyon en 1851, Marseille en 1908, Toulon en 1918, Nice en 1920, Strasbourg, Mulhouse et Metz en 1925, etc. Les raisons de cette évolution sont intéressantes. En 1907, une commission que nous devons à Georges Clémenceau concluait à la nécessité d’étatiser les services de police municipale en raison de leur inefficacité, de leur inadéquation aux problèmes posés et de la trop grande proximité entre l’opérationnel et le politique. Il faut aussi rappeler qu’aux reproches déjà énoncés s’ajoutait celui d’un classement sans suite des plaintes des victimes très important. En 1935, la quasi-totalité des communes de Seine-et-Oise et quatorze communes de Seine-et-Marne étaient à leur tour étatisées pour assurer à leurs habitants le même niveau de sécurité qu’à Paris. L’argument de l’égalité face à la sécurité était déjà avancé. Il est toujours d’actualité, car l’écart entre villes riches et villes pauvres n’a cessé de progresser. C’est donc la recherche d’une réponse pertinente à une problématique correctement identifiée qui a conduit à l’étatisation des services de police municipale. Par conséquent, lorsque la loi du 23 avril 1941 crée la police nationale, l’Etat français n’innove pas mais achève l’œuvre entreprise par la défunte IIIe République, République soucieuse d’égalité et d’efficacité. Une remarque néanmoins : si le régime de Vichy établit que toutes les villes de plus de 10 000 habitants verront leur police étatisée, cette réforme ne s’applique pas à l’ensemble du territoire vu qu’une moitié du pays est alors contrôlée par l’occupant allemand. Cette loi ne concerne donc pas Paris et la police parisienne (PP) conservera longtemps sa spécificité ; il faudra attendre la loi du 10 juillet 1966 (à la suite des dysfonctionnements policiers révélés en 1965 par l’affaire Ben Barka) pour que soit créée l’actuelle police nationale, réalisant la « fusion » de tous les services de police (hormis les polices municipales qui, tel le légendaire phénix, ont repris leur envol depuis le début des années 1980, précisément après les élections municipales de 1983).

    Dernier point : à propos du comportement des agents municipaux vis-à-vis du gouvernement de Pétain, citons simplement un extrait d’un document réalisé en juin 1942 par le ministère de l’Intérieur de Vichy, une synthèse des rapports mensuels des préfets de la zone occupée. Ainsi peut-on lire à la rubrique « Personnel » du « III – QUESTION CONCERNANT LA POLICE » : « La principale question soulevée dans les rapports mensuels est celle du personnel des polices municipales. Les Préfets se montrent inquiets de la médiocrité des agents municipaux et expriment le souhait que la prochaine étatisation de la police leur permette de disposer d’un personnel de qualité. […] L’exode vers la Police d’Etat se manifeste non seulement chez les candidats à la police mais encore chez les agents en place, soit qu’ils le sollicitent, soit qu’ils y soient appelés. De ce fait, un certain nombre de fonctionnaires de la police sont mutés dans leur affectation actuelle dans des postes déjà étatisés. Plusieurs Préfets s’élèvent contre cet état de choses notamment le Préfet de Maine-et-Loire, qui signale que prochainement, en raison des départs des agents de la ville d’Angers vers la Police d’Etat, il ne restera, dans cette ville que 52 agents pour une population de 100 000 habitants. En conclusion de leurs rapports, les Préfets émettent qu’une prochaine et rapide étatisation de la police mette un terme à cette situation. »

  • 19 avril 2017

    Merci pour cet excellent article, j’ai eu un grand plaisir a vous lire, suite a une émission tv sur les missions de la pm et les flags par caméra de surveillance (c’était un peu cowboy quand même), je faisais quelque recherche sur internet pour en savoir plus et suis tombé sur votre article, après quelques recherches on peut estimer que la pm s’appuie principalement sur l’article 78-6 du code de procédure pénale en particulier "relever l’identité des contrevenants pour dresser les procès-verbaux concernant des contraventions aux arrêtés de police du maire, des contraventions au code de la route que la loi et les règlements les autorisent à verbaliser ou des contraventions qu’ils peuvent constater en vertu d’une disposition législative expresse. " Brrrr !!! ce qui limite fortement leur champ d’action, sachant que l’article 92 de l’OPPSI 2 a été retoqué par le conseil constitutionnelle et que le dit article a été supprimé du code de procédure pénale

    Cordialement,

  • 14 décembre 2016

    Pas faux tout ça mais un peu trop généraliste à mon goût : En effet avec presque 30 ans de "mun", je n’ai jamais frappé quelqu’un gratuitement ou été bourré en service. Dans toutes les corporations, ou ethnies, il y a des bons et des mauvais. Il m’arrive parfois de me demander à quoi je sers et si je mérite mon salaire : Pour le salaire, c’est oui et encore il n’est pas assez épais, car être pris pour un con et être la marionnette d’un politicien qui ne sait pas ce qu’il veut, ce n’est pas de la tarte... Ceci dit, je suis là avant tout pour le public, tout les publics. Quant à savoir à quoi je sers, ou les PM servent ; personne ne le sait vraiment... Et comme il existe plusieurs types de services sans doctrine d’emploi précise, à la recherche d’une identité et donc d’une légitimité, c’est un peu le bazar. A la base, nous devions lutter contre le sentiment d’insécurité et rassurer la population tout en réprimant quand cela était nécessaire. L’idée de cette fameuse main de fer dans un gant de velour était séduisante, mais voilà, ça a dérapé un peu. En effet pour palier au manque de policier et gendarme sur la voie publique, qui sont devenus APJ 20 et OPJ (avec le rédaction des procédures judiciaires longues et compliquées qui vont avec), les municipaux sont bien tombés et en plus ils coûtent moins chers ; Car la grande force de la municipale c’est d’être souvent présent sur le terrain et en grand nombre au contact de la population. La qualification d’APJA et ses pouvoirs limités (mais amplement suffisant) y contribuent sûrement. Sur la question de l’armement, une fois de plus l’ambiguïté règne. Si des collègues sont près à prendre les mêmes risques qu’un agent de la PN ou de la GN, alors qu’ils sont bien moins rémunérés et qu’à la retraite, ils vont "l’avoir profond", tant mieux pour eux et c’est tout à leurs honneurs. Moi, non je ne prendrai pas ce risque, ça me regarde et j’assume. Alors que la formation, dans cette corporation est bonne, bizarrement, le volet social se fait attendre, peut-être parce qu’il coûte cher... Alors je suis devenu ironique et prends tout ça avec le sourire. Si les gamins ont pu rejoindre leurs écoles sans se faire rouler dessus, si la mamy ne s’est pas voler son sac, si les gens sont tranquilles et apaisés un fois chez eux, si grâce à ma présence des accidents routiers ont pu être évités, alors le journée aura été bonne et je n’aurai pas enfiler cet uniforme pour rien...
    Cordialement.

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