Même La Dépêche s’en émeut !
À Arnaud Bernard, où vit une importante population musulmane, la période de Ramadan est un temps fort de la vie du quartier. Depuis des décennies, les commerçants de la place, exposent devant leurs magasins ou leurs restaurants les plateaux de gâteaux. Et jusqu’ici personne n’y trouvait à redire.
Mais ça, c’était avant ! Le 26 mai 2017, veille du Ramadan, la police municipale menaçait les commerçant-es du quartier d’une amende de 1500€ s’ils ne dégageaient pas les étals de leur propre terrasse. L’explication de Jean-Jacques Bolzan, l’adjoint au maire en charge du commerce ?
Les terrasses sont faites pour y mettre des parasols, des tables, des chaises. Mais pas pour y mettre des gâteaux. Il faut faire respecter des arrêtés d’occupation du domaine public [1]. Et ce n’est pas parce que c’est Ramadan que ça change quelque chose. Ceux qui continueront à vendre des gâteaux prendront l’amende. Je n’ai pas d’état d’âme.
L., propriétaire du kébab « Miam-Miam », a donc rentré les étals à l’intérieur de son minuscule restaurant. Dégoûté, il ne comprend pas que la mairie ne l’ait pas au moins prévenu des nouvelles règles en vigueur. Ca lui aurait évité de commander 2 500 euros de marchandises pour rien. Selon lui, l’intention est claire : « La mairie cherche à nous démoraliser. Ils veulent qu’on vende nos biens pour refaire le quartier. Pour que ce soit comme avant, quand il n’y avait que des français. Pas des blédards. »
Ce que L. ne dit pas, c’est qu’il faut remonter à bien longtemps pour trouver trace d’un Arnaud Bernard franco-français. Sur Wikipédia on peut lire :
La place occupe un terrain possédé par le noble Arnaud Bernat au Moyen Âge, à l’intérieur des anciennes fortifications romaines de la ville. Elle communiquait alors avec l’extérieur par la porte Royale, détruite en 1825. Cette position à la limite entre le Bourg et les faubourgs l’a destinée, depuis ses origines, à l’accueil des étrangers. Au XXe siècle, ce sont tour à tour les Italiens, les Espagnols fuyant le franquisme après 1939, puis les Maghrébins à partir des années 1970, qui ont occupé le site et l’ont façonné.
Voilà à quel passé la Ville de Toulouse veut tourner le dos. Par petites touches, islamophobie et gentrification se combinent pour chasser les habitant-es de leur quartier et faire de la place aux requins de la Métropole.
De l’islamophobie comme politique de la ville
En 2013, l’actuel adjoint au maire Olivier Arsac (président local du parti d’extrême droite de Nicolas Dupont-Aignan) partageait sa hauteur de vue sur sa page Facebook :
En 2014, le rez-de-chaussée du 5 rue de l’Hirondelle qui servait de salle de prière aux habitant-es du quartier était fermé par arrêté municipal. Raisons invoquées ? La sécurité incendie et l’isolation phonique. En 2013, la BAC y avait fait irruption en pleine prière : « Ils ont essayé de rentrer en bloquant la porte avec leur pied, un fidèle, handicapé qui plus est, a voulu s’interposer pour leur demander d’enlever leurs chaussures. Ils l’ont tabassé. [2] »
Fin 2015, le Carrefour City de la place Arnaud Bernard affiche sans que personne ne s’en émeuve une pancarte « Attention, graisse de porc » sur sa devanture dans l’espoir d’en faire fuir les jeunes du quartier.
Une rénovation urbaine à marche forcée
Ce racisme ambiant se combine à un volontarisme politique marqué en termes de gentrification. Dernier quartier populaire à squatter l’intérieur des boulevards, Arnaud Bernard subit les assauts répétés des architectes de l’embourgeoisement, qui ont de grands projets pour Toulouse : hisser la Métropole à la hauteur de Barcelone, Lyon ou Milan.
La municipalité a ainsi procédé à de nombreuses opérations de rénovation censées attirer les investisseurs et les classes moyennes supérieures. Atelier vélo, salon de tatouage, épicerie bio, bars associatifs, conciergerie solidaire... Autant de nouveaux venus qui contribuent à changer en douceur le visage d’Arnaud Bernard.
Fin 2014, le marché de l’Inquet, qui permettait aux personnes les plus précaires de vendre et d’acheter des objets d’occasion, est fermé par la municipalité qui n’y voit qu’un « marché de voleurs » et de « voyous » (dixit Jean-Luc Moudenc).
En 2015, le Breughel donne un coup de main salutaire à la mairie pour faire de l’ordre dans le quartier. En envahissant la place des Tiercerettes de ses multiples tables, le bar signe l’arrêt de mort de ce cet espace de gratuité apprécié de tou-tes les toulousain-es qui n’ont pas 3 euros à mettre dans un demi. Un peu moins de la police, qui avait régulièrement recours à la lacrymo et aux matraques pour vider la place des dernier-es récalcitrant-es.
Dans un style plus frontal, les autorités installent en 2016 des croix en fer sur certains plots de la place Arnaud Bernard afin d’empêcher les indésirables de s’y asseoir. Ces bornes sont judicieusement placées devant le fameux Carrefour City, dont les méthodes ont donc été récompensées par la mairie.
Côté sécurité, la mairie a voulu frapper fort avec l’installation en à peine trois ans d’une dizaine de caméras de vidéosurveillance dans le modeste périmètre que recouvre le quartier Arnaud Bernard.
Parallèlement, un fourgon de police nationale trône régulièrement au milieu de la place.
Racisme d’Etat
En 2016, la Ville organisait la grande braderie de Toulouse sur le modèle de celle de Lille : trois jours pendant lesquels un millier de boutiques de l’hypercentre avaient tout loisir de vomir leurs marchandises sur les trottoirs aseptysés de la Métropole. Il est intéressant de relever aujourd’hui que l’opération s’arrêtait... aux portes d’Arnaud Bernard.
complements article
Proposer un complément d'info