Nous vivons une époque de méfiance à l’égard des élites : gouvernants, grands patrons, scientifiques institutionnels..
D’un coté cela rend difficile toute argumentation rationnelle car chacun-e trouve toujours l’expert caution de sa position ; il ne semble plus possible d’espérer parvenir à une vérité commune par la discussion ; entre le simple scepticisme et les certitudes abracadabrantes la différence n’est plus que de degré.
D’un autre coté cette méfiance à l’égard des institutions devrait nous réjouir car elle est la source d’une inventivité collective.
Les gilets jaunes ont aussi montré que la complexité humaine d’un mouvement pouvait faire bouger les barrières politiques. On peut voter FN sans être un facho ni un idiot et on peut voter à gauche et se vautrer dans le mépris de classe. La période d’opposition au passe sanitaire que nous vivons est elle aussi d’une grande complexité et l’équation simpliste vacciné= altruiste/non vacciné=égoiste que nous serinent les médias n’en rend pas compte.
On peut se faire vacciner pour des motifs altruistes (protéger les plus faibles) ou purement égoistes (ne pas souffrir du covid et obtenir le passe sanitaire). De même on peut refuser le vaccin pour des motifs égoistes (ne pas abîmer son propre corps ou celui de ses enfants chéris avec un produit jugé non fiable) ou altruistes si l’on suit certaines théories émises par des scientifiques comme celle de Velot par exemple.
Quant au passe sanitaire on peut l’accepter par simple soumission (pour consommer sans entrave) ou par conviction (si on pense que la vaccination de masse est nécessaire pour éradiquer l’épidémie et sauver des vies ou du moins pour éviter à toute la population un nouveau confinement). De même on peut le combattre et refuser de montrer patte blanche par simple haine des ordres et des représailles de l’Etat ou bien par conviction de sa nocivité politique (discrimination des personnes dans l’espace public et social). On peut aussi estimer que dans cette vie de merde que nous fait vivre le capitalisme depuis des siécles, on peut accepter la vaccination de merde pour avoir le passe de merde pour au moins se préserver quelques activités qui nous font du bien (aller boire un coup au bar avec les amis, aller au cours de yogga ou de boxe…).
La position à l’égard du vaccin est indépendante de celle à l’égard du passe : on peut être pour le vaccin (y compris sous sa forme massive) et contre le passe car on estime qu’il faut convaincre les gens et pas les forcer par la menace de sanctions. Inversement dans une version très « perso » on peut être contre le vaccin (pour soi) et pour le passe sanitaire (en se disant que si les autres se font massivement vacciner sous la menace l’Etat lâchera l’affaire et on retrouvera une vie normale ; pour éviter soi même les sanctions restrictions on peut alors se faire des fausses attestations de vaccination). On peut aussi devenir un faussaire du QRcode soit égoistement pour s’enrichir soit pour libérer massivement les antivax de la contrainte du pass soit au moins pour faire penser à l’Etat que sa mission (vaccination totale) est réussie et qu’il nous lâche.
Le passe sanitaire est un problème politique plus que théorique. Être pour ou contre le vaccin repose sur l’idée que l’on se fait de la santé individuelle et collective et des effets des vaccins sur celle-ci. C’est une question que l’on peut argumenter avec des arguments de type scientifiques. Si on pense sincèrement que la vaccination est néfaste pour la santé et que l’on peut protéger les populations par de meilleurs moyens il devient alors politiquement cohérent de s’opposer au vaccin. Être pour ou contre le passe c’est plus directement politique car ça repose sur l’idée que l’on se fait du rôle de l’Etat et de la liberté individuelle. Le refus du passe peut aller du libértarisme de droite (aucune entrave à la liberté individuelle) à l’anarchisme de gauche (on doit auto gérer ensemble le problème de l’épidémie et de la protection des plus faibles). De même le soutien au passe sanitaire peut aller du communisme de guerre (l’Etat doit faire le bien des populations malgré elles) au libéralisme ordinaire : l’Etat doit permettre aux capitalistes de continuer à engranger des bénéfices en exploitant la force de travail que la maladie affaiblit. Le passe préserve aussi d’ailleurs la reproduction de la force de travail des antivax ou des antipasse puisque même non vacciné-e on peut acheter à bouffer, amener ses enfants à l’école aller bosser en prenant les transports de courtes distances et aller aux urgences quand on est au bord de l’asphyxie.
Si on est contre le passe sanitaire au nom du refus des discriminations et de l’emprise du numérique qui l’accompagne il faut cependant admettre que ce n’est qu’un pas de plus (un saut ?) dans une tendance qui est déjà là depuis longtemps. Le passe sanitaire n’a pas transformé un monde merveilleux de libertés en camp de concentration. D’autres formes de discriminations beaucoup plus graves existent dans nos sociétés comme celle des migrant-e-s qui meurent en nombre à cause des frontières ou bien comme celle de l’argent : tout le monde peut certes entrer dans un magasin (et même pas en réalité car il y a le contrôle au faciès des vigiles) mais tout le monde ne peut pas en ressortir avec les marchandises désirées (à moins de les voler). La toute bête différence de pouvoir d’achat est une discrimination bien plus globale et mortifère que la discrimination que va causer le passe sanitaire. Une citation vue sur un face book gilet jaune le dit bien : « les gens sont désespérés. Plus de resto, plus de ciné, plus de shopping, plus de salle de sport. Bref ils découvrent la vie d’un français au smic ». De même nos cartes bleues, nos portables, les cameras de surveillance nous surveillent et nous tracent de façon plus serrée que le QR code du passe. La gradation importante tient dans le fait que n’importe quel travailleur peut devenir un contrôleur et que c’est volontairement qu’on va leur tendre notre passe. L’Etat nous aura bien tous et toutes mobilisé-é-s pour son obsession du contrôle.
Lutter contre le passe sanitaire c’est lutter contre un des aspects de la vie misérable à laquelle nous réduit le capitalisme. Elargissons la lutte !
Avec ou sans papiers, avec ou sans argent, avec ou sans vaccin tout le pouvoir au peuple !
Pour plus de nuances dans nos luttes
pour sortir de l’équation binaire vacciné=altruiste/non vacciné=égoîste
complements article
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