La solidarité est une arme ?

Quand le gouvernement a annoncé l’isolement généralisé face à l’épidémie de covid-19, la question de la situation des personnes les plus en galères sur Toulouse et alentours s’est posée. Sous le slogan "notre solidarité n’est pas confiné" s’est organisé un réseau d’aide pour pallier aux besoins de premières necessités.En quelques mots, il s’agit de plus de 1600 personnes qui trouvent un plus à leur quotidien grâce à la mobilisation de plus d’une dizaine de points de collecte . Plus de 40000 euros récoltés via des dons et toute une série d’efforts pour avoir accès au dispositif existant (banque alimentaire) pour constituer un stock suffisant contre l’avis de la préfecture. L’ensemble des dons étant néttoyé afin d’assurer un maximum de sécurité sanitaire. Cette action pose néanmoins toutes une série de question.

D’abord bravo, ce n’est pas notre genre de nous applaudir à la fin d’un joli résultat. C’est peut-être un tort, un peu d’amour et de bienveillance ne font pourtant jamais de mal. C’est un fait que dès le départ de cette pandémie des personnes ne se sont pas laissées isoler. Au contraire elles ont construit la possibilité de pallier quelque peu à l’aggravation des conditions de vie des personnes déjà bien maltraitées en temps « normal ». « Notre solidarité n’est pas confiné » le titre est trompeur ce n’est pas « la solidarité » un acte une pensée qui ne reste pas enfermé. Ce sont des corps, des énergies, des gestes qui font ensemble pour que quelque chose advienne. Et ça c’est toujours un petit miracle. Et ça l’est d’autant plus, à l’heure où s’ouvrent les portes d’un monde sans contact, entièrement en ligne, pour pallier à l’isolement de nos terriers confinés. Arrêtons-nous un peu pour contempler la beauté du geste, pour percevoir la chance que nous avons de pouvoir compter sur des personnes, des lieux, des réseaux capables d’apporter un peu de mieux dans ce monde de brutes. Ceci étant dit un peu d’esprit critique ne nuit pas.

Humanitaire à terre

Une réponse pragmatique, une réponse pratique à un problème urgent, qui n’échappe pas à une critique classique de venir « faire le taff de l’Etat » et pallier à la misère plutôt qu’à l’enrayer. D’autant que la séquence actuelle se fait dans une rare unanimité. Un attelage étrange d’organisations aux fonctionnements différents, certaines enclines aux compromis et à la gestion alors que d’autres tendent plus à une remise en cause radicale. Sans compter la plateforme en ligne qui permet, par le biais de dons défiscalisés, à se donner bonne conscience d’un simple clic. Et peut-on parler d’urgence quand depuis des années de nombreuses personnes s’activent à faire vivre des occupations, de la solidarité et de l’entraide. Parce que, désolé pour l’évidence, la pandémie ne fait qu’appuyer sur la tête de ceux et celles qui avait déjà de l’eau jusqu’au menton. Alors d’un côté faire le « taff de l’Etat » ce serait penser que son taff c’est de pallier à la violence du système économique. S’il reste un large panel de gens pour le penser ici nous dirons plutôt que le rôle de l’Etat c’est d’abord la violence et rendre possible la contrainte économique. L’amortisseur sociale n’étant qu’un des aspects de la coercition, de l’acceptation de ce système mortifère. Par contre pallier à la misère plutôt que l’enrayer… Pas faux, il est vrai que la mise en place de solution à des questions de logement ou d’approvisionnement, même auto organisée, ne font pas grand-chose contre les causes de ces situations. La métaphore de vider la mer avec une petite cuillère (avec des réunions en plus) fonctionne assez bien. So what ?

« La solidarité est notre arme »

Le slogan claque bien et parle de choses concrètes. Si quelqu’un-e est en prison lui envoyer des mandats, des lettres, peindre la rue pour qu’on n’oublie pas participe à faire ce monde plus supportable. Se serrer les coudes dans une grève, dans une manif, faire une caisse pour ceux et celles que la répression bastonne, ouvrir des maisons avec les personnes en galère. Tout cela est indéniablement vitale. Pourtant on sait, à la fois l’absolue nécessité de ces pratiques et leurs limites. C’est là tout le paradoxe de la solidarité, la frontière est fine avec un acte caritatif, ou de pure charité, visant à atténuer la douleur mais faisant, de ce fait, accepter la situation. C’est d’autant plus complexe quand, comme dans le moment actuel, l’on voit une large "unité" allant du secteur associatif aux groupes et individus plus radicaux en passant par les satellites de la gauche. La confusion est plus grande et la question se pose aussi de savoir qui va en profiter ? Qui va thésauriser sur cet élan de "générosité" ? La gauche qui va nous vendre son programme du moins pire au prochaine élections municipales et à celles qui suivront ?
D’un autre côté, on ne peut pas ne pas voir le côté économique que tout cela soit fait de manière bénévole avec de l’énergie militante. D’une certaine manière si ce n’est pas pour enfoncer un pieu au coeur de ce système qui nous vampirise cela pourrait avoir été un coup d’épé dans l’eau. Tout cela tient donc sur un fil, comment faire pour que, à l’intérieur de ce qui se construit, puisse loger une offensive ? Comment ne pas simplement pallier au plus urgent ? Où trouver les moyens d’un rapport de force ?

Comment affuter la lame ?

Bien entendu on pourrait simplement dire qu’il faut des actions fortes, on aimerait plus de conflit. On aimerait que cet état de fait qui voit des gens dans la galère dans un monde d’abondance soit attaqué frontalement. Pourtant, comment ne pas voir que des actions déterminées (auto réduction, occupation massive, etc.) comportent des risques que, si la carotte se fait plus rare, le bâton lui n’a pas faibli, bien au contraire. D’autant que les personnes qui sont les plus durement impactées sont aussi exposées à une répression quotidienne. Dès lors, comment ne pas tomber dans la mise en spectacle du conflit pour, encore une fois, se donner bonne conscience. Se donner l’illusions d’une posture juste et efficace. Ce n’est pas facile de penser cette offensivité mais, difficile ne veut pas dire impossible. Il faut pour le moins tenter de lui donner de la place dans nos imaginaires et lui trouver des pratiques. Il faut essayer de savoir comment nous pourions échapper à la gestion de la misère. Que ce soit par la création de lien ou par la destruction de bien. Il y a quelque chose qui patine, qui n’embraye pas. Depuis des années que des activités de solidarité sont portées elles peinent à trouver une dimension offenssive. C’est un constat qui s’applique d’ailleurs pas que dans ce domaine. Ne souffrons-nous pas d’une carence en termes de critique de ce monde ? Comment lier ensemble ce qui s’est passé avec les gilets jaunes, la grande grève contre les retraites et maintenant le choc de la pandémie ?

Nous ne pouvons pas juste « demander du fric pour l’hôpital public » et dénoncer un « macronisme » autoritaire… Ce serait trop triste, trop creux, ce serait laisser trop de place à l’illusion qu’avec de bon·nes dirigeant·es la situation pourrait être meilleur.

Nous ne pouvons pas avoir comme horizon le retour aux « jours heureux » [1]. Regardez les gens qui survivent dans nos villes, dans les squats et les campements ont-ils jamais été du compte des bénéficiaires de l’Etat providence ? Regardez ceux et celles que le travail épuise pour des salaires de misère, ce que le développement inustriel a fait, est-ce qu’une « bonne retraite » résoudrait cela ?

Peut-être que la conscience du paradoxe de la solidarité nous aiderait à penser comment nous pourrions passer à l’attaque. Faire de cette résistance quelque chose qui portent au-delà de l’urgence. Peut-être cela revient à habiter le malaise, à l’accepter, et ne pas le fuir soit dans la non-participation, soit dans l’acceptation acritique ? Certainement qu’il manque un discours à cette pratique, une réflexion qui fasse du lien autours d’une volonté de transformation sociale ? Il manque peut-être à élaborer une perspective de rupture qui se nourrisse de l’expérience pratique de ces dernières années, de cette urgence permanente qui ne semble devoir jamais s’arrêter.
Ne pas se payer de slogan creux ni se réfugier derrière « l’urgence » pour tenter de faire, depuis l’intérieur de cette situation, de la solidarité une arme...
Pour commencer.

Notes

[1Évoqués par le Prez dans l’une de ses toutes premières allocutions dans son tout nouveau costume de sauveur de la nation l’idée fait référence aux fameux programme du Conseil National de la Résistance à qui nous devons notamment la sécurité sociale et en gros la forme de l’Etat social que nous connaissons aujourd’hui. Si on ne peut pas nier que la sécu c’est mieux que rien on ne peut pas oublier que le CNR est avant tout la construction d’un compromis visant à faire oublier qu’une bonne part de la bourgeoisie et de l’Etat c’était vautré dans la collaboration immonde pour faire marcher la boutique. Et ce compromis était la condition de la continuité de l’exploitation. Ce programme s’accomodait très bien des colonies d’ailleurs.

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