Etudiez, y a rien à voir

De la critique de l’université à la critique du capitalisme

"En théorie, il n’y a pas de différence entre la théorie et la pratique.
En pratique, il y en a une."

La supercherie de l’Université commence avec ce mensonge selon lequel elle constituerait un monde à part de la production économique, une soi-disant société d’initiation intellectuelle, un cocon en dehors de l’Histoire chargé de former, bien à l’abri, les penseurs de demain. Or il n’en est rien, l’Université est un secteur parmi d’autres de la production économique, secteur dont la fonction est de former des futurs travailleurs. Le statut de l’étudiant n’est qu’un statut de transition en attendant l’intégration de celui-ci au salariat. S’il lui arrive de se salarier durant ses études, l’étudiant ne se salarie bien souvent que pour pouvoir étudier, et il n’étudie généralement que pour se salarier ensuite. Le salariat présent de l’étudiant est le simple moyen financier de ses études et le salariat futur est le but encore incertain de celles- ci : en attendant l’étudiant n’a que son statut d’étudiant pour lui servir de promesse. Et c’est parce que ce statut n’est rien d’autre qu’une promesse que les étudiants peuvent être si aisément les sujets de toutes les arnaques.

Le rôle d’étudiant est un rôle charnière : il n’existe qu’en- devenir, dans sa valeur (dépendante de son diplôme) de futur travailleur, dans les rôles potentiels qu’il est appelé à jouer ultérieurement dans le salariat. Ce que nous appelons « rôle d’étudiant » n’est donc pas un rôle figé mais un processus d’intériorisation d’un futur statut, sous ses différentes modalités. L’étudiant n’existe pas concrètement, il n’est pas une entité, il n’est jamais présent, simplement, en tant que dispositif, il fonctionne, dans des façons de penser et de faire plus ou moins conformes. Il est une figure de propagande, le surplus idéologique qui s’ajoute à tel ou tel contrôle local de la future main d’œuvre, le visage souriant de l’intégration paisible à l’exploitation économique.

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Le système éducatif est un secteur comme un autre de la production capitaliste, censé produire la force de travail intellectuelle plus ou moins qualifiée dont la fourchette de valeur dépend du grade de diplôme. Pour cela le système éducatif fonctionne comme institution disciplinaire, c’est à dire qu’il façonne des façons de voir, de penser et de se comporter, qu’il fait intérioriser des normes, qu’il opère une mise en conformité des individus avec le marché. Ces opérations se déroulent à couvert d’un fétichisme encore insuffisamment interrogé : celui du « savoir ». A peu près rien de ce qui est appris à partir du début du collège ne sera ni mémorisé, ni utile « plus tard » (faites le test vous-même : prenez le programme d’une classe de 5e). Dans la mesure où l’on nous bourre le crâne de connaissances abstraites, qui ne sont pas directement utiles dans nos vies quotidiennes, qui ne sont pas directement reliées à une pratique, c’est toujours le bachotage qui constitue la seule et unique organisation possible du travail d’étude : apprendre la veille, recracher le jour même, oublier le lendemain. C’est donc de compétition et de sélection sociale, doublé d’une question de dressage disciplinaire, dont il est question derrière les mythes de la « transmission des savoirs » et de la « qualification », et qui se réalise dans le système de notation.

Une note ne peut pas évaluer l’usage du savoir, et quand bien même elle le pourrait, la nécessité économique à laquelle la note est suspendue (note = diplôme = travail = argent = survie) fausserait déjà la donne. Le pseudo-savoir dispensé n’est pas la fin, mais l’alibi du racket de notre temps libre ; pour assembler quelques paragraphes de banalités à apprendre, recracher et oublier, il nous faut en passer par un enchevêtrement de contraintes : inscriptions, frais financiers, achat de matériel, réveil, transports, heure de pointe, horaires, règlements, autorités diverses (autorité du maître, autorité de l’administration, autorité infra-policière des vigiles…). C’est à tout un chacun de déterminer l’usage qu’il veut faire du savoir qu’il acquiert, mais l’étudiant n’apprend pas dans l’optique de faire usage de sa connaissance, il étudie dans l’optique de devoir être trié et sélectionné pour espérer avoir à bouffer un jour. C’est d’abord en ce sens que la liberté d’étudier qu’on nous oppose au moment des blocages est une absurdité, étudier n’est pas un droit ni une liberté, c’est une des diverses modalités proposées d’obéissance à une contrainte de masse : intégrer la sphère de l’exploitation économique. Toute analyse doit partir de là.

Ainsi, si nous tombons d’accord avec ces autocollants idiots qui pleurnichaient que « Les élèves ne sont pas des clients » c’est uniquement parce que nous savons que l’étudiant est, au contraire, une marchandise dont la valeur est en formation. Et si nous tombons d’accord avec ces badges idiots qui pleurnichaient que « Le Savoir n’est pas une marchandise » ce n’est que dans la mesure où nous savons bien que le « savoir » n’est que la mystification entourant le processus de production de la véritable marchandise universitaire : le futur travailleur. La notion de « consommation » que l’on met volontiers à toutes les sauces n’est pas à prendre au sens superficiel de « rapport marchand » mais de destruction d’un produit sous sa forme finie. Ce que l’étudiant « consomme » en cours ce n’est pas l’enseignement mais son propre temps libre. Et comme pour le temps de travail abstrait du salariat classique, ce temps revient sous sa forme coagulée habituelle : la valeur.

Ce que le diplôme universitaire sanctionne finalement, c’est l’achèvement d’une mise en conformité au système marchand et indique, en conséquence de cet apprentissage de la soumission, le prix auquel le travailleur pourra décemment espérer se vendre : la valeur du travailleur c’est la quantité de temps de liberté qui a été extrait du corps avec son propre consentement, la quantité de travail d’autocontrainte que celui-ci a effectué pour s’autoproduire ; et le diplômé est finalement cet être qui a écrasé ses qualités pour en faire des compétences mesurables, qui a fini d’opérer sa réduction quantitative pour pouvoir enfin être balancé sur le marché du travail. Pour se convaincre de notre propos, tout étudiant est invité à jeter un œil au livret de n’importe quelle U.F.R : le coefficient de valeur d’une unité d’enseignement dépend uniquement de son volume horaire, c’est-à-dire : 24 heures, 48 heures ou 72 heures. La misère de l’étudiant n’est ainsi rien d’autre que celle d’une autre figure bien connue, avec laquelle il se recoupe : le prolétaire. Ainsi de ce triste constat : rien ne relie positivement les étudiants entre eux, rien d’autre qu’une exploitation à laquelle ils sont sommés de s’identifier sous différentes modalités mystifiées.

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Cette mystification du savoir, qui rejoint au final celle de la valeur d’usage sur la valeur d’échange, est le non-dit autour duquel tournent toutes les pseudo-critiques réformistes de l’université, même chez les enseignants autoproclamés « anticapitalistes ». Les professeurs ne sont pas dans le même bateau que les élèves, au contraire, ils occupent une position de pouvoir consistant à procéder à la disciplinarisation et au procès de valeur de ceux-ci. Il semblerait que certains anticapitalistes bavards aient arrêté de lire Le Capital à sa couverture : toutes les réflexions sur l’université s’arrêtent sagement au constat larmoyant que la marchandise universitaire ne se vend plus, ou de plus en plus mal. Tout au plus dénoncera t- on la dévalorisation croissante des diplômes sur le marché du travail, qui ne suscite chez personne, et surtout pas chez les professeurs, fussent –il « de gauche », un embryon de réflexion approfondie sur leur rôle et sur le système de notation et de contrôle de présence. Si les professeurs veulent, à l’avenir, pouvoir prétendre soutenir les mobilisations étudiantes, nous leur proposons deux modalités d’action très simples : la note maximale à tout le monde, ainsi que le refus du contrôle de présence. Et aussi qu’ils arrêtent de monopoliser la parole aux assemblées générales étudiantes, voire, en fait, qu’ils ne la prennent jamais. Ils ne peuvent jouer qu’un rôle de soutiens de leurs étudiants, et à ce titre ils doivent se taire et se mettre à disposition.

Les raisons de l’impensée critique que nous déplorons ici n’est pas à chercher plus loin que dans la plus banale analyse sociologique : comme institution de reproduction sociale, la fonction de l’université est de produire massivement du sous- travailleur intellectuel (à peu près jusqu’au niveau licence) puis du prof d’université (à partir du master). La direction de l’université, de ses différents pseudo-conseils « démocratiques » jusqu’à ses différents pseudos- syndicats (de l’UNEF à la CNT en passant par SUD) est ainsi totalement monopolisée par des profs, des fils de profs et/ou des futurs profs. L’expérience du mini- cycle de lutte qui va des grèves de 1995 jusqu’au mouvement des retraites de 2010 en passant par la LMDE, le CPE et les deux mouvements LRU, se clôt sur le constat en demi-teinte, non pas qu’il n’y aurait rien à attendre du syndicalisme étudiant, mais que le syndicalisme étudiant n’existe tout simplement pas, à l’heure actuelle.

Il existe un syndicalisme de profs et/ou de futurs profs, mais les intérêts étudiants ne sont pas représentés, et la condition des étudiants n’est pas pensée car le champ des luttes universitaires est parasité par ceux qui y tiennent, ou y tiendront, les rôles de contremaîtres. Nous avons perdu du temps à dénoncer la progression sécuritaire à l’Université, à nous mobiliser contre les caméras, les vigiles, à dénoncer peut être de façon anecdotique la collaboration de « certains » profs, de « certains » syndicats étudiants mais jamais des profs et des syndicats pour ce qu’ils sont. Nous avons perdu du temps avec les inepties autogestionnaires, nous avons perdu du temps à réclamer une gestion « alternative », voire une « autogestion » de l’Université, sans même savoir que l’Université était déjà autogérée par les professeurs. Le « Savoir » n’est pas en train de se « marchandiser » comme s’il existait a priori, comme une espèce de corpus tans-historique que l’on pourrait sauver au-delà du salariat. Le « Savoir » est une production sociale historiquement spécifique. En l’occurrence il s’agit du savoir « dominant », ou « légitime », à l’exclusion des autres.

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Malgré toutes les prétentions de certains militants à « sortir » du milieu universitaire, et malgré le mépris qu’ils affichent pour « l’étudiant » l’université demeure malgré tout, par sa nature, un lieu privilégié de production de la critique, même si celle-ci demeure souvent séparée de la pratique. Le snobisme anti- universitaire de certains radicaux ne dissimule souvent que leur mauvaise conscience sociale et le mépris refoulé qu’ils ont d’eux-mêmes : lorsqu’ils brocardent « l’étudiant », ils confondent bien souvent les étudiants réels et la représentation spectaculaire de l’étudiant, dont ils sont souvent eux-mêmes les plus emblématiques. Quoiqu’il en soit ce snobisme est désuet depuis quelques décennies : nous ne sommes pas les étudiants de mai 68, nous ne sommes pas issus de la même époque, nous dit-on, mais surtout pas de la même classe sociale. Quoiqu’on en dise, il n’y a statistiquement pas, ou très peu, de « petits- bourgeois » à l’Université, et il suffit très simplement d’aller chercher les statistiques officielles pour s’en rendre compte.

[...]

Loin de l’image fantasmée qu’ON fait entretenir aux étudiants à leur propre sujet, ce je-sais-tout qui serait gentiment précaire et romantiquement révolutionnaire, et qui ne demanderait soi- disant rien de mieux que de pouvoir donner son avis pour que la gestion de la misère, à commencer par la sienne, soit « plus démocratique », la misère de l’étudiant implique un rapport de force permanent. Face à leurs contremaître, qu’ils soient professeurs, chargés de T.D ou syndicalistes, les étudiants sont seuls, et penser notre situation implique une violence à laquelle nous ne sommes pas habitués, et c’est seulement cette violence que l’on nous reproche à chaque mouvement, à chaque grève, à chaque blocage. L’université est un secteur économique parmi d’autres, sur lequel il importe tout autant de mener la lutte. Nous avons pris notre part à ces luttes, nous prendrons notre part à celles à venir.

Lire le texte en version intégrale au format .pdf ici :
http://www.fichier-pdf.fr/2016/03/16/z-brochure/z-brochure.pdf

Le blog où se trouve le texte en version intégral
https://avaleurtravail.wordpress.com/

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