L’Italie : les révoltes au temps du Corona

Depuis que plusieurs politicien.ne.s ont émis la possibilité d’un deuxième confinement en Italie, les rues se sont remplies de manifestant.e.s. Ce ne sont pas des manifestations anti-masques, mais plutôt des révoltes contre une inégalité socio-économique qui n’a fait que s’aggraver depuis le début de la crise du covid.

Des milliers des personnes se sont révoltées dans les rues des villes italiennes, en s’opposant à l´appel hégémonique : "Nous, on est tous ensemble dans la lutte contre le virus". Mais les applaudissements n´ont pas eu lieu. Est-ce que finalement l´idée de NOUS a marché ? Est-ce que la peur de la répression ou bien la peur du virus domine l’envie de sortir en solidarité et de se révolter ? Est-ce que les manifestations n’étaient pas vues comme des révoltes sociales ? Il est bien possible que les médias aient joué leur rôle en écrivant tout de suite que les révolté.es n’étaient que des fafs ou des hooligans. Comme les camarades de infoaut écrivent dans leur éditorial : "Beaucoup de cette gauche éduquée dans ce pays s’est repliée sur une confortable narration raciste et coloniale" (https://www.infoaut.org/editoriale/napoli-una-rivolta-per-non-morire).

Ce texte se veut solidaire des révolté.e.s et leur courage. Au final, le manque de solidarité laisse seul.e.s celleux qui ont été jeté.e.s en taule.

À la fin de ce texte se retrouvent des liens vers les articles qu’on a trouvé sur ce sujet. Ils donnent des analyses, des descriptions à chaud des émeutes, mais presque pas d’infos sur la répression. Malgré ce manque d’infos on a quand même voulu écrire quelques mots.

Que-ce qui s’est passé ?

Campania, le président de la région a émis la possibilité d’un nouveau confinement via Facebook le 23 octobre. Sur les réseaux sociaux, les militant.e.s de Napoli ont vu que l’idée d’aller dans la rue a vite été lancée. Le soir-même se retrouvaient alors des milliers de personnes dans les rues. Mais les différences d’intérêts entre les protagonistes étaient évidentes. D’un coté, les commerçant.e.s qui risquent d’être forcé.e.s de fermer leurs restaurants ou magasins exprimaient leur peur de perdre de l’argent. De l’autre coté, les jeunes, qui savaient bien que leurs revendications ne seraient pas écoutées, laissaient parler l’action. Soit revendiquée, soit exprimée par l’action directe, il y avait une rage commune contre l’État italien qui n’a ni investi dans le système médical ni dans des aides sociales pour celleux qui n’ont littéralement rien à se mettre sous la dent. Malgré le couvre-feu, la révolte à Napoli a flambé jusqu’au matin.

Les jours suivants, auprès des camarades, ces révoltes étaient LE sujet partout dans les autres villes : "On en a parle dans les bars, dans les transports publics blindés, dans les groupes de gens dans la rue". Les soirs suivants, des gens à Bologna, Catania, Firenze, Milano, Roma, Torino sont allé.e.s dans les rues pour faire "comme a Napoli". À Torino, comme à Napoli avant, on retrouvait le même phénomène des deux manifs : les commerçant.e.s et les jeunes. À la fin de la nuit, des vitrines de Gucci ont été cassées. L’analyse des camarades constate que ces jeunes de Torino, qui sont resté.e.s invisibles pendant longtemps, sortaient maintenant en se rendant visible aux cris de : "vogliamo tutto, vogliamo anche Gucci !" (on veut tout, on veut même Gucci !). En fin de soirée, la police arrêtait une dizaine de personnes.

A Firenze les arrestations ont par contre commencé tout suite, quand un groupe de militant.e.s essayaient de rejoindre le rassemblement. Sur les réseaux sociaux circulait l’appel pour "une manif pacifique". Il y a bien eu une manif, mais pas vraiment pacifique. La manif n’était pas annoncée en Préfecture. On retrouvait tant de personnes dehors que la tentative désespérée par quelques un.e.s de demander aux personnes de rester calme était coupée par des hurlements. Quelqu’un.e a dit « on veut pas de charité, on veut travailler » et la réponse est venue tout de suite : « De quoi tu parles, on veut l’argent ». Des milliers de personnes ont quitté la périphérie pour bouger dans le centre des richesses. Les flics envoyaient du gaz lacrymogène, les gens lançaient tout ce qu’iels trouvaient en retour.

C’est qui, ces gens ?

Comme d’habitude, les médias officiels italiens n’ont pas hésité à criminaliser et délégitimer ces manifestations. C’est que des fascistes, des voyous, des gens mobilisés pas la Camorra, des négationnistes du virus. Impossible pour ces journaux de reconnaître la fracture sociale et économique qui traverse le pays et qui a été exacerbée par les politiques anti-covid.

Donc c’est qui, ces gens ? Il est important de souligner qu’autant à Napoli qu’à Torino et Firenze, deux manifestations différentes ont eu lieu, avec des aspects communs. D’un côté, on retrouve les commerçants et les petites et moyennes entreprises. Les petits commerces, qui en Italie sont souvent gérés en famille, craignent qu’un deuxième confinement enlève la seule source de revenus de leur famille. Mais aussi les entreprises de taille moyenne, qui craignent une baisse de leurs profits ou d’être bouffées par les plus grands et qui désignent les géants de la vente en ligne comme le Mal. Le slogan qui les unis c’est "Tu ci chiudi tu ci paghi" (Tu nous fermes, tu nous paies).

Mais à nos yeux, c’est l’autre manif qui est la plus intéressante et qui a été l’actrice des conflits et des affrontements dans les heures qui ont suivi les rassemblements. Difficile ici des retrouver les groupes organisés qu’on a l’habitude de voir dans les manifs. Seule exception peut-être pour les ultras. On retrouve les banlieusard.e.s, les migrant.e.s des deuxième et troisième générations, les précaires et chômeu.r.se.s du centre ville. Et oui, aussi des fafs, mais pas sans résistance de la part des manifestant.e.s. On les a viré.e.s tout de suite (Firenze), ou bien leur place a été reprise par les militant.e.s de gauche plus tard (Roma).

Ce mélange de gens a suivi l’appel lancé sur les réseaux sociaux et est venu en groupe d’ami.e.s, souvent jeunes et très jeunes. Mais le choix de se rendre dans cette deuxième manif, et pas celle des commerçant.e.s, n’est pas un hasard. Iels savent que là, il va se passer quelque chose. Que là, c’est possible que il y ait du conflit. Difficile dans cette manif de retrouver des slogans communs et des revendications claires. Par contre, ce qui est clair c’est qu’il y a de la rage dans l’air. La question n’est pas de nier l’urgence sanitaire. On peut entendre "Fanno bene a chiudere" ("C’est bien qu’iels ferment tout"). Ce qui est remis en question, ce sont les conditions économiques et de vie dans lesquelles les gens vont tou.te.s se retrouver avec un deuxième confinement sans aucun État Social de prévu. Les révolté.e.s ont compris que c’est à elleux-même de sortir dans la rue car les syndicats les ont surtout empêcher de lutter pendant des années.

Une révolte légitime ?

Oui, évidemment. En période pré-covid, l’État Providence italien était déjà ridicule comparé à celui d’un pays comme la France. On pourrait dire que "L´État social, c´est juste ta famille“. Le peu d’aides mises en place, comme le chômage ou le "redditto di cittadinanza" (similaire au RSA), sont enfermées derrière une barricade de conditions sociales et administratives pour la plupart impossible à remplir.

Déjà, l’aide sociale est constituée de façon à n’être accessible que par peu de personnes, et après la bureaucratie "oublie" très souvent ton dossier.
De plus, pour avoir droit au chômage il faudrait déjà avoir eu un contrat de travail de plusieurs mois (ou un contrat tout court) et ça n’arrive pas si souvent.

Ces aides sont plus l’objet de propagande politique et de disputes dans les journaux qu’une aide réelle dans le quotidien de la vie des gens. Le marché du travail est en plus en grand partie marqué par du travail au noir, par des contrats extrêmement précaires, par des faux auto-entrepreneurs (qui cachent un travail salarié mais sans les droits qui vont avec), et des contrats à l’appel : le patron te fait travailler quand il a envie, sans aucun nombre d’heures minimal. Sans compter que le premier secteur économique qui s’est effondré avec la crise sanitaire est celui du tourisme, secteur-clef pour l’Italie, et qui touche aussi les bars, la restauration et les magasins.

Après le pic de Corona au printemps, l´État italien devait investir dans le système sanitaire mais ça n’a jamais eu lieu. Le problème c’est surtout que les hôpitaux ont été privatisés. Suivant un article à ce sujet, une organisation de product.eur.rice.s d’Italie parle de l’augmentation d’un million de nouve.aux.lles pauvres, surtout dans le sud du pays (https://revoltmag.org/articles/napoli-gegen-den-lockdown/).

C’est dans ce contexte que le gouvernement italien a choisi de faire le premier confinement, mais en ne mettant en place aucun plan d’aide économique supplémentaire. Pour une bonne partie de la population, le confinement voulait simplement dire rester chez soi sans aucune revenu. Les gens, qui après la crise économique avaient déjà du mal à s’en sortir et à trouver un boulot, mis à genoux par le premier confinement, regardent maintenant les politicien.ne.s parler d’un deuxième confinement et savent que ça ne sera pas viable.

Conclusion

Nous espérons que le contexte socio-économique italien est devenu plus clair, mais aussi que l’idée de "qui se révolte" est maintenant différente de celle donnée par les médias hégémoniques. On aimerait finir ce texte en abordant les questions d’une perspective commune et de la solidarité.

On ne devrait ni laisser les médias hégémoniques délégitimer vite fait les évènements en disant : "c’est que des fafs ou des conspirateurs", ni les idéaliser en y transférant des idées radicales de gauche, ni se mettre à part en disant que c’est que des mecs violents et apolitiques.

Le débat pour choisir aux côtés de qui lutter n’est pas nouveau : on cherche toujours à qui on peut faire confiance, avec qui on peut créer des liens, avoir des buts ou au moins des rages communes.
Face à la souffrance et à la rage causées par ce système, on trouve motivant de voir que des personnes se révoltent en ce moment de crise aggravée.

Si on veut être sûr.e.s que les révoltes ne soient pas récupérées par la droite, c’est aussi à nous de le réaliser. Les camarades de Firenze ont reconnu une dizaine de fachos au début de la soirée et leur ont directement montré que ce n’était pas leur place. À Roma, des fafs ont réclamé une place dans la manif, mais après leur départ forcé à cause du couvre-feu, les camarades ont repris cette place. Pour reconnaître qui ou quels groupes de révolté.e.s pourraient être des camarades de lutte, il faudrait se rencontrer plus régulièrement.

Une autre raison pour laquelle se pose la question de notre regard envers les révoltes, c’est la répression. Des personnes ont été foutues en taule par les flics. On réclame la solidarité pour pouvoir leur montrer qu’on est pas impuissant.e.s face à la répression. Si c’est des précaires dont on sait clairement que c’est pas des fachos, il y a une réponse claire face à la répression : solidarité, merde !

Soit on reste chez nous, soit on sort en essayant de créer des moments communs. En ressentant la rage ensemble, en courant ensemble, en rendant visite ensemble aux ami.e.s en taule.
Lutter ensemble, c’est pas un truc statique, c’est un processus qui se construit !

Sources :

Italien :

Anglais :

Allemand :

Voir en ligne : L’Italie : les révoltes au temps du Corona - Marseille Infos Autonomes

P.-S.

A lire sur MIA, un site du réseau MUTU

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