Les kurdes : un peuple colonisé ?
Les Kurdes sont rarement considérés comme peuple colonisé, ils sont plutôt décrits comme « minorité opprimée ». Drôle d’expression pour décrire l’état d’un peuple dont l’existence est niée par quatre pays, dont la population s’élève à plus de 50 millions. Cette lecture dissimule la dimension coloniale de la division et domination des Kurdes, une perspective très rarement abordée.
Le colonialisme désigne ici l’ensemble des pratiques et des doctrines utilisées par un état pour soumettre, détruire, exploiter un peuple et son territoire. Il peut prendre plusieurs formes : de la colonie de peuplement à celle d’exploitation et nous verrons d’ailleurs que la colonisation du Kurdistan est, à bien des égards, unique. Le colonialisme peut avoir diverses justifications (ethniques, raciales, civilisationnels) mais la raison principale reste l’exploitation économique. Celle-ci se fait à travers deux types d’exploitation : celle des ressources du sol colonisé mais aussi, et on l’oublie trop souvent, l’exploitation à bas coût de la force de travail du colonisé pour des tâches ingrates (des plantations au travail ouvrier dans des chantiers). Le colon, pour parvenir à un tel degré d’exploitation et d’asservissement, use des pratiques les plus odieuses contre le colonisé : violences physiques, psychiques, destruction et négation de son histoire, de sa culture, de sa langue jusqu’à effacer son existence toute entière.
En somme, comme le disait Fanon : « La colonisation est une négation systématisée de l’autre, une décision forcenée de refuser à l’autre tout attribut d’humanité. »
Cette démarche permet de tisser un fil indestructible reliant la cause kurde à celle des peuples d’hier et d’aujourd’hui luttant pour leur existence. Ce fil renforce la solidarité entre les peuples et donne des ressources inestimables à nous autres Kurdes dans notre quête de liberté. Du haïtien Toussaint L’ouverture au FLN algérien en passant par la guérilla cubaine, l’histoire coloniale mondiale est un long filament débordant d’espoir pour les peuples opprimés. Pour un Kurde comme moi, admiratif de ces récits anticoloniaux et bouleversé par la situation désastreuse de mon peuple, pouvoir m’accrocher à ce fil m’a sauvé des abysses du désespoir. Mon sentiment d’appartenance à la grande histoire décoloniale ne date pas d’hier. Dans Les damnés de la terre je n’ai pas lu un récit magnifique du peuple algérien dans sa lutte d’indépendance, j’y ai lu les tourments psychologiques de mes cousins et de mes parents provoqués par des années d’oppression coloniale. Dans L’an V de la révolution algérienne, je n’ai pas lu l’histoire de la révolte algérienne depuis les débuts du FLN, j’y ai lu la beauté et la misère de la lutte des kurdes depuis les années 70 et la création du PKK. Dans les récits autour de Mehdi Ben Barka, Patrice Lumumba, Thomas Sankara, je n’ai pas lu une simple histoire de la décolonisation du XXème siècle, j’y ai découvert une grande inspiration pour la libération de mon peuple.
L’objectif de cet article est de déconstruire cette nomination de « minorité opprimée » et poser les vraies bases de la situation des Kurdes : un peuple divisé entre quatre États dessinés par des puissances impérialistes tels que la France et la Grande Bretagne pour répondre aux revendications des vestiges de l’Empire Ottoman notamment. Quatre États qui useront des techniques de domination coloniale : génocides, négation de l’identité, destruction de la culture, déportation, appauvrissement de la colonie.
Ainsi c’est dans cette perspective que nous aborderons :
- Les bases de la situation coloniale kurde à travers le concept de "colonie internationale"
- Le concept de "première balle" de Fanon dans la lutte pour la libération du joug colonial dans le cas kurde
- La langue kurde à travers les luttes contre sa destruction et pour son développement à des fins libératrices
- La poésie kurde comme témoin de la situation coloniale multiséculaire subie par les Kurdes
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