No Bassaran : retour tactique pour perspective stratégique, gagner grâce à la diversité des pratiques

Ce texte fait suite à un premier texte d’analyse politique (No Bassaran : comment la bataille de Sainte-Soline révèle la fuite en avant autoritaire et liberticide du gouvernement Macron et sa soumission à la toute-puissance agro-industrielle).
Beaucoup à dire évidemment et beaucoup de choses ont déjà été posées, avec plus ou moins de clairvoyance, plus ou moins d’expérience (donc de retour analytique critique de sa pratique), nous allons tâcher de faire court :
Nous avons été mauvais collectivement, tactiquement, à Sainte-Soline. Si nous avons su enfoncé, littéralement, le dispositif policier et militaire très conséquent déployé ce jour là (et il faut le souligner car ce n’était pas non plus une tâche aisée), nous en avons payé un lourd tribut physique. Tout cela a déjà été dit par maintes personnes et courants.

Ce que nous analysons par contre, c’est le manque de diversité des pratiques une fois arrivé sur le lieu de la bassine, puis dans cette situation.
La critique n’est pas tant de s’être engagé ou pas dans la confrontation directe avec le dispositif de FDO présent. On pense d’ailleurs que, malgré les blessé.e.s et l’intensité de la confrontation, la puissance symbolique et politique qui s’est exprimée ce jour là est un atout, une carte à jouer qui a été jouée ce jour là : nous sommes, comme des milliers d’autres personnes présentes en ce jour, totalement déterminé.e.s à lutter de toutes nos forces et par tous les moyens pour protéger et défendre la ressource en eau, l’un de nos communs essentiels, voir l’un des plus importants/central pour la survie de l’humanité et du vivant. Nous sommes prêt.e.s à engager nos corps dans cette bataille et serons encore prêt.e.s à le faire. En cela la mobilisation du 25 et 26 Mars 2023 à Sainte-Soline a été un message clair envoyé à nos ennemis : que l’État, les capitalistes et lobbyistes de la FNSEA, ceux qui spéculent, s’accaparent et privatisent l’eau et les communs ne doutent pas un instant des ruines qui les attendent.

Non ce qu’il faut noter, c’est que la multitude et la diversité des personnes présentes ne s’est pas traduit par une diversité des pratiques dans l’action. Il y a eu plusieurs processus : du figeage (la situation s’est figée), du spectacle (la situation était spectaculaire, une petite partie des gens étant acteurs, les autres spectateurs), et évidemment de l’effroi.
Des années d’entraînement aux méthodes de désobéissance civile, aux méthodes d’action non-violence, pour les nombreux.ses militant.e.s écologistes présent.e.s, n’auront pas trouvé à Sainte-Soline de terrain d’expérience pratique. Nous le trouvons dommage, et nous expliquons la « défaite tactique » de ce week-end par ce fait : l’unique modalité d’action qui s’est déroulé sur le site immédiat du chantier de la bassine a été la « nôtre », celle de la confrontation directe et de l’affrontement. Nous aurions vraiment eu besoin et voir d’autres modalités d’action prendre place et vivre dans ce moment de lutte. Où étaient les bouées géantes, où étaient les pacifistes, où étaient les gens qui ont su, à maintes reprises dans les dernières décennies de luttes écologistes, déborder des dispositifs, envahir des centres de congrès, bloquer des trains de déchets nucléaires, immobiliser des convois, etc.. ? Ce n’est pas un reproche sinon une véritable interrogation tactique. Pendant que nous étions occupé.e.s à confronter le dispositif « à la manière forte », directement, pourquoi des blocs de gens ne se sont pas positionnés par exemple plus loin, sur les autres flancs ou les autres coins de la bassine.. ? Pourquoi rien d’autres n’a été fait par une grande majorité de gens que de regarder, de rester spectateur.rice.s, de rester sans rien faire ?
Nous avons évidemment une partie de la réponse : la riposte (qui n’en était pas une, les flics ayant commencé les hostilités les premiers et bien en amont) policière était tellement démesurée et ultra-violente qu’effectivement, les pratiques non-violentes auraient été vite démolies par l’action des forces de l’ordre..
Mais de nombreuses autres choses auraient pu être faites : cibler le camion d’identification et de transmission des flics qui était posté sur le haut du talus avec les gradés (par exemple avec des drônes et de la peinture), former une chaîne pacifiste face aux quads quand ceux-ci ont contourné la masse de gens pour attaquer par derrière, s’approcher des convois policiers et militaires pour les chahuter gentiment, s’attaquer aux routes et chemins par lesquels ces convois étaient arrivés et sont repartis, alimenter des écrans de fumée pour rendre plus difficile surveillance et réactions policières …

Beaucoup d’autres personnes ont su trouver une place, malgré tout, entre la confrontation directe et la posture spectatrice : rapatrier, protéger et soigner les blessé.e.s, aider à diffuser l’information sur et autour du champ de bataille (« médic », faire tourner les « consignes » des organisateur.rice.s), proposer du maalox et serum phy, constituer des petites réserves de projectiles, etc.

Nous avons aussi été mauvais à l’intérieur des gens qui ont participé à la confrontation directe : au bout d’un certain temps d’affrontement, nous avons vu les quads se préparer puis partir, contourner les 30000 personnes présentes. Nous savions par expérience qu’ils allaient alors arriver par derrière pour tenter de séparer les manifestant.e.s engagés dans la confrontation des autres et attaquer les premiers par derrière, prenant alors nos « troupes » entre deux fronts diamétralement opposés. Voyant cela nous avons tenter de faire passer le mot pour se repositionner : trop difficile, pas de fonctionnement/d’organisation permettant l’échange et la ré-organisation tactique d’urgence, trop de gens soient figés, soit inexpérimenté.e.s, soit des groupes de gens expérimentés mais déjà fixés sur les confrontations en cours, et surtout une absence de structure opérationnelle permettant de réagir et se ré-organiser. C’est une tâche évidemment difficile, mais nous avons su le faire maintes fois par le passé et nous aimerions sur les champs de bataille des luttes à venir ne pas perdre cette capacité opérationnelle.
Nous pourrions également noter les difficultés à « fixer » des cibles, à étendre le front de confrontation, mais aussi à se protéger des grenades explosives.
D’autres questions tactiques se posent aussi maintenant : comment on affronte un blindé ? Les pierres ça ne marche pas. Comment rendre les tourelles lance-grenades de ces blindés inopérantes ? Qu’est-ce qu’on fait une fois passée la première ligne du dispositif ? Comment on prévoit le matériel pour couper les barbelés, monter le talus, franchir le fossé,… ?
Au delà de ces interrogations propres à la stratégie d’action confrontationnelle, comment on fait pour que les prochaines fois ne soient pas reproduits ces erreurs tactiques ? Comment on fait pour défiger et dé-spectaculariser la situation ? Comment on fait pour que tout le monde trouve une place dans une palette de moyens d’action large et variée, bien au-delà de tenir les banderoles, lancer des cailloux, s’occuper des blessé.e.s ?
Comment on prend en compte le fait qu’une majorité de gens attendent qu’on leur dise quoi faire, et ne sont pas organisés en groupe, là où nous ne jurons que par notre initiative et notre autonomie, et où nos méthodes d’organisation dans l’action ont été tellement essentialisés et ritualisés ces dernières années que toute interrogation critique ou tactique semble difficile à faire ?

On notera, pour finir sur une note positive, qu’un esprit collectif de bienveillance et de respect entre les différentes formes et modalités d’action a largement dominé l’ensemble des temps de lutte, d’échanges et de fête lors de cette grande mobilisation contre les méga-bassines. L’ère du temps change, le capitalisme réduit nos vies et nos espoirs d’une planète vivable à néant. Il est temps, depuis longtemps et plus que jamais, de trouver les formes à la fois unitaires et plurielles pour lier et faire converger des idées et des pratiques permettant de remporter de nouvelles victoires politiques. Parce que ces victoires politiques constituront les fondations d’une autre société, pour enfin briser le joug du capitalisme et de l’exploitation.

OTATO (otato@riseup.net)

(les images utilisées pour illustrer l’article sont de Sivens)

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