Sivens : de la contestation à la cogestion

Que se passe-t-il à Sivens aujourd’hui ? Où en est le projet ? Après l’échec de la stratégie du passage en force des autorités locales, l’Etat essaie de retrouver la face en organisant une concertation. Un groupe d’experts médiateurs met autour de la table élus, agriculteurs, environnementalistes et citoyens dans le but de trouver une sortie de crise. Vrai progrès démocratique ou mascarade pacificatrice ?

Inutile de revenir sur le projet de barrage initial et sur la manière dont les autorités tarnaises ont cherché, au mépris de tout, à passer en force pour l’imposer. Après la mort de Rémi Fraisse lors du grand rassemblement du 25 octobre 2014, l’Etat se précipite au secours des autorités locales, trop heureuses de se débarrasser d’une patate devenue si chaude. Prenant les choses en main, il change de tactique : alors que le Conseil Général et la Préfecture avaient jusque-là fait la sourde oreille et joué la carte répressive jusqu’à assassiner un homme, Ségolène Royal abat la carte de la concertation. C’est ainsi qu’est annoncé un “projet de territoire” dans lequel les composantes citoyennes du mouvement d’opposition (Collectif Testet, Confédération Paysannne, FNE) se sont immédiatement engouffrées en se réjouissant a l’idée d’être enfin entendues par ceux qui, auparavant, n’avaient cessé de les réduire au silence.

Le projet de territoire à proprement dit est précédé par un audit patrimonial qui vise à répondre à la question “Conditions et moyens d’une meilleure gestion de la qualité du territoire du bassin versant du Tescou : Quelle stratégie pour la ressource en eau ?”. Il a été réalisé en juin 2016, sous forme d’une cinquantaine d’entretiens, par un groupe d’experts devant jouer le rôle de médiateur : le laboratoire ADEPRINA. Parmi eux, Vincent Pupin est un chercheur qui a réalisé sa thèse sur le concept de patrimoine, défini comme la somme des attachements matériels et immatériels des personnes au lieu qu’elles habitent. Le fait que le patrimoine de la vallée du Tescou, auquel nombre d’entre nous étions attachés, ait été détruit dans l’impunité la plus totale (une forêt rasée, une zone humide saccagée, une ferme brûlée, une stèle à la mémoire de Rémi Fraisse détruite), ne semble pas remettre en cause la démarche.


Dans sa synthèse finale, l’audit clarifie les objectifs du projet de territoire. Tout d’abord, redonner foi en la démocratie représentative et l’action des élus dans un contexte de défiance envers les institutions. « L’enjeu c’est de redonner la légitimité aux élus de pouvoir mener des actions sur les territoires dont ils ont la gestion » ; « Il faut recréer la confiance avec l’Etat. Il est complètement décrédibilisé ». Ensuite, la volonté de pacification sur le territoire, dont le syndicat agricole majoritaire et la mairie de Lisle/Tarn se moquent ostensiblement [1], ce qui ne semble pas remettre en cause leur présence. Et enfin, l’envie, séduisante sur le papier, de co-construire un projet de territoire « innovant et durable » qui pourrait répondre aux besoins économiques des exploitants agricoles existants tout en en installant de nouveaux et en réglant le problème global de l’eau. En somme : dépolitiser, pacifier et techniciser.


La méthode de l’audit patrimonial a été théorisée par le laboratoire de recherche ADEPRINA, promue par un think-tank Sol et Civilisation et commercialisée par une boite de consultants Mutadis – trois structures qui font travailler les mêmes individus sur les mêmes projets. Elle a été utilisée pour “réhabiliter les conditions de vie dans les territoires contaminés de Tchernobyl” (projet ETHOS) et aider la commission européenne à anticiper la gestion d’un accident nucléaire en réalisant un guide pour la mobilisation des acteurs (projet EURANOS). Plus récemment, un projet de “développement durable” a été mis en place en Martinique, prétendant améliorer la qualité de vie des populations autour de bananeraies où a été utilisé un pesticide organochloré qui cause des cancers de la prostate et des naissances prématurées. Le rapport invite à bien vivre, voire vivre mieux, sans nier la présence à long terme du pesticide qui peut être vue comme une “opportunité”.



Gilles Hériard-Dubreuil, président de Mutadis et fondateur du mouvement environnementaliste de droite Ecologie Humaine (proche de la Manif pour Tous), a voué sa carrière à théoriser et mettre en œuvre ces nouvelles méthodes de concertation. Il a récemment supervisé une enquête pour Center Parcs visant à réfléchir à l’implantation “durable” d’un centre de vacances dans le Jura, une manière de rendre la déforestation et le tourisme de masse plus acceptable après l’échec de Roybon ? Via le projet européen COWAM, il travaille depuis une dizaine d’années sur l’implantation des projets d’enfouissement des déchets nucléaires : comment les rendre acceptables en tentant d’impliquer les populations locales dans le processus de conception. Si la réalité ne colle pas avec la théorie et que la participation ne prend pas le sens souhaité, il est bien sûr toujours possible d’abattre l’atout : la répression et les armes de guerre pour mater les populations rétives, comme à Bure où Robin Pagès a été mutilé l’été dernier.



Ces nouvelles formes de concertation – s’ajoutant à celles déjà existantes - permettent-elles d’endiguer le développement du nucléaire, du bétonnage de nos territoires et de l’agro-industrie ou sont-elles sorties du chapeau au coup par coup pour pacifier les populations qui se révoltent contre des projets néfastes et faire accepter les nuisances ? Une personne auditée semble nous mettre sur la voie de la réponse : « Il faut que ce projet de territoire marche, sinon on aura la révolution partout ».

L’audit patrimonial restitué en juillet 2016, le projet de territoire démarre officiellement en mars 2017. La phase actuelle consiste en des réunions thématiques (eau, biodiversité, identité du territoire, sols) auxquelles participent des groupes composés de membres de chaque famille d’acteurs (élus, agriculteurs, riverains, associations). Un petit tour de table des personnes invitées à ces réunions donne une bonne idée de ce que l’on peut en attendre.

Les experts scientifiques d’ADEPRINA Vincent Pupin, Henry et Matthieu Ollagnon et Marc Valenzisi, ingénieurs agronomes et chercheurs assurent la médiation. Ils ont pour hauts faits d’armes la dépolitisation et la pacification des populations dans des contextes aussi explosifs que la gestion des terres après des catastrophes industrielles comme Tchernobyl ou le scandale de la chlordécone dans les bananeraies de Martinique. « Ça va, mais le feu couve sous la cendre » peut-on lire dans l’audit. A ces médiateurs de tout faire pour éviter un retour de flamme, quitte à fermer les yeux sur le conflit politique existant, sur les milices, sur l’impunité des assassins de Rémi Fraisse et des destructeurs de la forêt et de la ferme de la Métairie. Une certaine lucidité se dégage cependant de plusieurs personnes auditées : « Vous n’arriverez pas à réconcilier l’irréconciliable »« les points de vue, à mon avis, sont inconciliables ».



Bien sûr, tous les élus locaux qui ont porté sans vergogne le projet initial de barrage sont présents : de l’indéboulonnable Carcenac pour qui « mourir pour des idées est relativement stupide et bête », au bouillonnant Jacques Valax député pro-barrage qui martelait après la mort de Rémi Fraisse « Je le dis haut et fort, c’est un projet qui est justifié, un projet à consonance écologique ». L’actuel Préfet du Tarn Jean-Michel Mougard qui s’est appuyé sur des milices privées pour expulser les manifestants antinucléaires de Bure et celui du Tarn-et-Garonne sont bien là ainsi que toute une kyrielle de maires et de conseillers communaux dont Marylin Lherm et Pascale Puibasset, qui n’ont cessé d’exciter les agriculteurs de la FDSEA contre les opposants.

Ainsi qu’un certain nombre de miliciens : Philippe Jougla (président de la FDSEA) qui a coordonné le siège de la ZAD et Laurent Viguier (vice-president de la FDSEA) qui manie aussi bien la fourche que la batte de base-ball comme en atteste son savoir-faire en destruction de voitures, reconnu par tous les opposants victimes de ses exactions (mais pas par la justice…).
D’autres membres de la FDSEA et des JA ayant participé au blocus de la ZAD sont présents et même Joffrey Demetz, animateur notoire d’un site internet flirtant avec les idées d’extrême droite et spécialisé dans la délation et l’invitation à la "chasse aux bobos et aux pelluts”.

Des associations du lobby pro-irrigation (Organisme Unique, Association Vie Eau Tescou).
16 citoyens tirés au sort sont sensés rendre le processus plus démocratique. Vont-ils faire peser la balance d’un côté ou de l’autre au milieu de syndicalistes aux dents longues et d’élus de carrière ? 



Dans une telle assemblée composée très majoritairement de pro-barrage, qu’espèrent donc obtenir la poignée de membres d’associations écologistes (Collectif Testet, FNE) ou de la Confédération Paysanne si ce n’est servir de caution démocratique à une expérience d’ingénierie sociale dont le but est d’éteindre les braises d’une contestation locale, régionale et nationale très large et dont le résultat sera d’imposer, par des moyens plus doux, un barrage au Testet ?

Une paix sans justice est un attrape-nigaud !

Participer, c’est accepter !


Pour défendre la forêt de Sivens face à ceux qui veulent aménager nos territoires :

Nous étions là. 
Nous sommes là.
Et, si nécessaire, nous le serons à nouveau !


Des habitant.e.s du Tarn

Notes

[1En octobre 2016 après l’audit, des personnes auditionnées Philippe Jougla (FDSEA) et Pascale Puibasset (mairie de Lisle/Tarn) mettaient de l’huile sur le feu en bloquant l’hommage à Rémi Fraisse et en couvrant une attaque au couteau dont l’auteur n’est autre que le frère de l’adjointe au maire de Lisle/Tarn

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