Sortie du livre “n’étudiez pas les pauvres et les sans-pouvoirs, tout ce que vous direz sera utilisé contre elleux”

On a fabriqué un livre après avoir décanter un long texte pendant 8 ans. Voici un article qui synthétise quelques aspects présents dans le livre. Le livre est à prix libre, incluant la gratuité. A la fin de l’article, y a la liste des lieux où en trouver, et aussi le pdf à télécharger.

Pourquoi ce livre :

En février 2017, on découvre la thèse d’une personne de notre milieu qui décrit sous toutes les coutures nos vies dans un récit “ethnographique”. On lui avait pourtant dit non, ou plutôt les gens qui savaient avaient pu lui formuler un refus. Le contenu est nul, pas intéressant, accumule les clichés oppressifs. Il est de plus dangereux en ce qu’il divulgue de nos modes d’organisations, de nos points faibles et de nos histoires personnelles, malgré une soi-disant anonymisation.
En en discutant, on s’est vite rendu compte que ce n’est pas la première fois que ça arrive, que des chercheur.se.s dans des cercles militants et/ou minoritaires ont déjà utilisé leurs camarades comme “terrain”. On nous a parlé d’une personne dans les squats à Marseille, de personnes à la ZAD de NDDL, dans des festivals, dans des lieux refuges pour personnes exilées… le point commun étant que toutes ces personnes n’ont jamais fait lire leur taf aux personnes étudiées et ont tenté de cacher ce qu’elles avaient produit.

Comment ça a pu arriver ? Comment faire pour que ça n’arrive plus ? Pourquoi diffuser encore des appels à participer à des recherches sur les personnes ou groupes minorisés (trans, racisé.es, migrant.es etc…) ? A qui ça sert ? Pourquoi pense-t-on qu’on a quelque chose à y gagner ?

Le but de ce livre est de comprendre les mécanismes qui peuvent nous amener à laisser des chercheur.ses faire des recherches au sein des luttes et/ou des minorités, et de nous donner des outils pour les combattre. La thèse de T. n’étant qu’un exemple de ce qu’il peut se passer, il permet de comprendre pourquoi ces recherches sont, au mieux inutiles, au pire dangereuses.

Dans chaque chapitre on reprend un argument entendu qui défend la recherche puis on le déconstruit en 2 étapes : d’abord au travers d’une analyse générale, puis en prenant pour exemple ce qu’il s’est passé dans notre expérience pour illustrer la forme que ça peut prendre.

On a mis un résumé (TLDR) au début de chaque chapitre, si tu galères à lire de longs textes.

C’est parce que nous refuserons d’être étudié.es, que nous nous organiserons contre, que nous serons vigilant.es, que l’utilisation des minorités comme un zoo facile d’entrée s’arrêtera.
Pour nous il ne s’agit pas d’erreurs, ni d’accidents, ou de “boulette” mais d’un problème de pouvoir, et c’est pour cela qu’on le martèle : ce livre ne se destine pas aux chercheurs et chercheuses mais à celles et ceux pouvant être étudié.es.

NOUS REFUSONS QUE CE QUE NOUS ÉCRIVONS ICI SOIT RÉCUPÉRÉ PAR DES CHERCHEUR.ES UNIVERSITAIRES DANS LEUR ÉCRITS, INTERVIEWS, ARTICLES… QUELQU’EN SOIT LA SITUATION !

On a décidé de résumer ici 3 arguments développés dans le livre :

Les gens qui ne veulent pas, iels peuvent dire non

Beaucoup d’activistes font des études supérieures et sont incité.es à étudier leur propre groupe politique ou leur minorité. C’est pour ces raisons qu’on peut dire qu’il y a souvent, voire très souvent, des chercheur.ses errant.es dans nos collectifs. Soit parce qu’on les intéresse et qu’iels viennent à nous, soit parce qu’iels font partie de nos groupes. Comme on est habitué.es à leur présence, on ne fait parfois pas très attention à leur objet de recherche. Quand on leur demande, iels sont souvent évasif.ves sur leurs sujets exacts, sur leurs « dispositifs » de recherche (comment iels étudient ce qu’iels étudient). Bref, c’est rare que les chercheur.ses soient transparent.es sur ce qu’iels font. Souvent on se dit que si iels sont là, c’est que quelqu’un.e a dû vérifier que ce n’était pas de la merde cette recherche.

Non sans rappeler des pratiques policières d’infiltré.es, les étudiant.es vont apprendre et perfectionner leurs stratégies tout au long de leur cursus. Iels vont devenir expert.es dans l’étude des autres, en utilisant des stratagèmes, des mensonges, des ruses, la séduction… juste pour que tu te livres et qu’iels puissent consigner ça dans leurs carnets, puis dans leurs écrits, puis dans leurs articles, puis dans leurs interventions dans des colloques, puis dans leurs livres, puis dans leurs cours... Comment exprimer un refus net et précis à quelque chose de si perfectionné et mensonger ? D’autant plus dans la situation où la personne est (ou plutôt utilise le fait d’être) de la même communauté et qu’on partage un vécu commun.

En clair, les chercheur.euses vont :

  • cacher (ou au mieux être très flou.es) sur leur sujet, leurs objectifs et leur méthode
  • être formé.es à faire parler et se sentir légitimes de le faire
  • avoir plus de facilités face aux personnes qui sont dominées socialement, isolées, en galère… qui n’ont pas de lieu pour parler de leurs réalités et notamment des injustices qu’elles vivent.

La plupart des recherches portent sur les personnes ou groupes marginalisés.

Iels sont là, souvent parmi nous, et nous n’avons aucune idée de ce qu’iels étudient, de ce qu’iels notent, ce qu’iels vont rendre public. On ne sait pas non plus ce qui sera publié dans le futur. Pour pouvoir dire non, il faut savoir, il faut que lea chercheur.se ait demandé l’autorisation, et qu’en face on puisse aussi en comprendre les enjeux. Il faut des outils et des ressources pour résister quand la chercheur.se use de stratagèmes ou de mensonges.

Ça peut être intéressant pour nous, pour notre minorité, pour nos luttes

Une des raisons pour lesquelles on accepte c’est qu’on se dit qu’il y a un intérêt pour nous. On peut se dire que c’est tentant de porter nos voix dans un lieu de savoir légitime comme l’université. Mais est-ce que participer à une recherche c’est faire porter nos voix ? Nous on a vu que ce n’était pas ça, c’était devenir objet de l’université et d’une vision dominante. Nos analyses ne sont pas portées, elles sont étudiées, tout comme nous, nos luttes et nos manières de faire.

Le but de la recherche n’est pas de répondre à une interrogation, à un problème posé par le groupe de minorisé·es et pour lequel la recherche serait une aide. On ne connait aucune situation où un.e chercheur.se serait allé·e s’adresser à un groupe minoritaire pour lui dire « j’ai plusieurs années de recherche payées, qu’est ce qui nous intéresserait ? De quoi auriez-vous besoin pour lutter ? » Ce n’est pas la démarche de la recherche en France (et sûrement ailleurs aussi mais on ne connaît pas).

Les chercheur.ses, parfois bien intentionné·es et souvent naïf.ves sur la question, peuvent être convaincant·es et nous faire croire que nous avons quelque chose à y gagner.
Pourtant, nous aurions à gagner à en savoir plus sur le fonctionnement des dominant·es, comment iels s’organisent, comment iels fonctionnent, cela nous donnerait plus de billes pour les combattre et résister.
Si en savoir plus sur les dominant.es nous permet d’augmenter notre pouvoir, pourquoi vouloir que les dominant.es aient plus de connaissances sur nous ? N’est-ce pas leur faciliter le boulot que de leur fournir tous les plans et outils que nous avons construits pour leur résister ?

Si iel déconne y aura des gens pour lui dire

Quand lea chercheur.se est un.e proche, on a tendance à penser que ce qu’iel va écrire ne peut pas être craignos, pas éthique, ni dangereux, dégueulasse. Quand on est moins proche, on se dit qu’il y aura toujours ses proches pour lae recadrer ou surveiller son travail. Mais ce à quoi on ne pense pas, c’est que c’est du travail de relire et de recadrer son/sa pote. Ça suppose que lea chercheur.se autorise l’accès à ses écrits, quand la plupart du temps cela reste entre ellui et ses profs. Ensuite il faut avoir le temps et la force de le faire. Il ne faut pas non plus s’être laissé.e endormir par les stratégies de son ami.e ou encore être capable de défendre les intérêts du groupe minorisé dans son ensemble et ne pas se limiter à vérifier qu’on a soi-même été épargné.e.

Et si la personne ne veut pas entendre qu’on trouve ça craignos, si elle considère que ses ami.e.s ne sont pas aptes à la reprendre (pas la légitimité universitaire par exemple), si elle veut quand même maintenir ses écrits, quel rapport de force ? Tu te sens prêt.e à demander à ta/ton pote de planter son année / son diplôme parce qu’iel a écrit de la merde ? Qui est prêt.e à assumer un tel conflit ? Ce boulot est-il censé se faire de lui-même ? Se faire sans rétribution ? Si un comité de lecture et de correction n’est pas négocié dès le début et s’il ne tient pas tout au long de la recherche, lea chercheur.se peut échapper au regard critique de sa communauté très facilement. Nous ne connaissons aucun.e thésard.e qui aurait proposé de reverser une partie de son alloc de thèse à un groupe de contrôle éthique de ses écrits…

Dans notre histoire, certain.es de ses proches avaient relu ses écrits, participé à ses interventions dans des conférences, étaient allé.es à sa soutenance de thèse, avaient travaillé pour elle à la retranscription des entretiens enregistrés. Si certain.es ont été gêné.es par ce qu’iels ont découvert, aucun.e n’a réagi pour arrêter T.. Quand T. annonce qu’elle va prendre une année sabbatique pour transformer sa thèse en livre, toujours pas de réaction. Ces personnes ont réagi uniquement quand l’affaire est sortie et qu’elles ont eu peur d’être impliquées. Elles s’en sont prises aux gens qui ont révélé la merde aux autres, afin de les silencier et d’enterrer ce que leur pote avait fait…

On ne peut pas partir du principe que vu que c’est une personne de nos réseaux, c’est un gage de qualité. Au contraire, le fait que la personne ait une confiance de fait, comme ça, c’est dangereux car ça passe au-dessus de toutes les protections qu’on aurait mises en place avec un.e universitaire random qui viendrait avec son carnet dans “nos” espaces.

Pour finir

Au-delà de ce qui nous est arrivé avec T., on reste persuadées qu’il y a un travail à mener pour aiguiser nos résistances face aux recherches sur les luttes et les minorités. Trop souvent, on voit tourner dans nos groupes des appels à entretiens. A qui cela sert-il ?
Par facilité, on leur délègue le travail de mémoire et d’analyse qu’on n’a ni le temps ni les moyens de faire.

Les luttes qu’on traverse et nos quotidiens sont souvent dirigés par l’urgence et nous manquons souvent de temps pour transmettre, valoriser, expliciter les récits de luttes, les moments de débrouille, mais aussi les problématiques collectives rencontrées et les méthodes tentées pour y remédier.

Nos milieux, entendu comme milieux autonomes-queer-féministes-squat-extrème gauche, sont peu accueillants pour les personnes qui dépassent la 40aine. Une des conséquences de cet âgisme intégré et subtil est donc que les mémoires des luttes passées galèrent à se transmettre en dehors du cadre universitaire.

Il nous semble important que ces histoires continuent de se transmettre, qu’elles restent vivantes, utiles pour le présent et les luttes actuelles. Nous encourageons donc les collectifs et les individus à rédiger des analyses, des retours, des anecdotes, des critiques, afin que d’autres collectifs et individus puissent s’en saisir, sans médiation de l’université et sans échange monétaire.

De l’attention et des idées claires, cela nous semble être la base pour éviter de se faire étudier.

Texte terminé (en)fin 2024 – remarques, avis, critiques, partages d’expériences sont bienvenues sur cette adresse : niklestheses@riseup.net, qui restera accessible minimum jusqu’à fin 2026.

Le livre est téléchargeable en pdf ici, et peut être imprimé en format brochure bien épaisse.

PDF - 2.8 Mo
neplp-fil-exportweb

Il sera bientôt disponible en audio grâce à audiobook 2 rebelles
https://audioblog.arteradio.com/blog/222202/les-audiobooks-de-rebelles

Il est disponible à prix libre dans ces lieux, et aléatoirement dans des distros de potes. Quand c’est indiqué « en route », c’est qu’on est encore en recherche de punkpost pour amener ces livres à destination, tu peux nous envoyer un mail pour nous aider à faire ça si tu veux :

Kiosk - Toulouse
BIM - tarn / aveyron
Librairie de St antonin noble val
La Mauvaise Foix - foix
Bibliothèque anarchiste Libertad - Paris 20e
Local Autogéré - Grenoble
Les Héroïnes - Marseille
Lille (quelque part)
Brest (quelque part)
Local Apache - Caen (en route)
Athénée libertaire / librairie du muguet - Bordeaux (en route)
La Luttine et La Gryffe - Lyon (en route)

Et au moins un exemplaire en prêt dans ces bibli :
BAF - toulouse
Placard Brûle - Toulouse
Le poêle de la bête - Mas d’azil
La Buerie - La Bastide de Sérou
Variante - Varen
Renoncule - Gaillac (en route)
La Molène - Lausanne (en route)
BLED - L’isle sur tarn (en route)
Le Tir’Chaille - Graulhet (en route)
La bibli des Tanneries - Dijon (en route)

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