Féminisme et crise

Que fait la crise au féminisme ? Que peut le féminisme pour la crise ?
À travers une émission de Radio Talweg, nous faisons un point sur la situation des femmes en cette période de confinement, et nous traçons quelques pistes tirer de l’histoire du féminisme pour se renforcer.

Article paru initialement sur Dijoncter.info, où on peut également retrouver les extraits de l’émission de radio !

Cet article est une tentative de mise à l’écrit de l’émission de Radio Talweg "Féminisme et crise" enregistré le 16 avril 2020. Si vous préférez écouter toute l’émission d’un seul bloc, elle est disponible et téléchargeable depuis le site de Radio Talweg sur ce lien.
L’article qui suit reprend toutes les étapes de l’émission, mais ne retranscrit absolument pas la totalité de ce qui s’y est dit. À vous de choisir si vous préférez l’écoute ou la lecture !
Toutes les sources audio sont à la fin de l’article.

 
 

1 / Introduction

« On a dit partout à la TV et dans la presse de l’année qui vient de passer qu’elle était "féministe" ; mais soudain tout ceci est oublié... Nous ne voyons plus à l’écran que docteurs, militaires et politiques, hommes blancs qui reprennent l’avant-scène pour nous expliquer comment être solidaires de la Nation en évitant la propagation du virus, d’aplanir la courbe tous ensemble, en restant chez soi.  »

Lorsque nous avons lu cet extrait, issu d’un texte de Natacha Roussel - Pourtant nous étions féministe - paru sur Expansive et sur Rebellyon.info au hasard d’une autre émission de Radio Talweg, il nous a soudain interpellé. C’est vrai ça : que fait vraiment la crise au féminisme ?
Nous avions le vague sentiment que le féminisme était historiquement malmené en période de crise. Mais nous ne savions plus exactement d’où venait cette impression.

Peut-être d’une punchline de Simone de Beauvoir :

« N’oubliez pas qu’une crise politique, économique ou religieuse suffira pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne seront jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes tout au long de votre vie »

Simone de Beauvoir

Ou peut-être de La servante écarlate, cette série américaine dans laquelle la crise écologique et politique laisse place à un monde où les femmes fertiles deviennent les esclaves des couples bourgeois stériles.

Ou encore peut-être de la bande-dessinée de science-fiction Les mondes d’Aldebaran, dans laquelle l’héroÏne découvre une colonie où les femmes se retrouvent contraintes de mettre au nombre le plus grand nombre d’enfants, violées par des hommes cis [1] qu’on leur attribut autoritairement, pour faciliter la colonisation de la planète Bételgeuse.

« — Alors mademoiselle, j’ai cru comprendre que vous n’approuvez pas trop la façon dont nous avons fait face aux difficultés causées par notre situation...
— C’est vrai qu’il y a certains aspects qui... qui me gènent. Surtout en ce qui concerne le rôle des femmes. Par exemple, cela me gène que ce soit une femme qui nous serve les repas. Pourquoi destiner aux femmes les tâches les plus inintéressantes ?
— Vous oubliez les contraintes biologiques, mademoiselle. Dans une société avec un grand développement technologique, la femme peut être l’égale de l’homme, mais dans une société plus primitive comme c’est le cas de la notre ici, en tant que survivants isolés dans un milieu hostile, les différences biologiques entre la femme et l’homme reprennent toute leur importance. La répartition des rôles se fait alors tout naturellement. La femme, plus fragile et diminuée par les contraints de la procréation, se chargera des tâches domestiques et de la garde des enfants, pendant que les hommes, plus forts physiquement et plus libres, s’occuperont de la chasse, des constructions et de la défense.
— Hmm... Je crois que vous simplifiez un peu trop les choses, monsieur Menegaz...
— Je ne le crois pas, mademoiselle. À mon avis, c’est vous qui avez tendance à oublier la dure réalité de notre situation ici
 »

Bételgeuse, Les mondes d’Aldebaran, Léo

Pour étayer ces sensations, nous avons fait quelques recherches rapides. Et bien c’est fou de se rendre compte de la pauvreté de ce que nous donne les moteurs de recherche pour "féminisme et crise". On galère à trouver la moindre piste intéressante sur l’histoire du féminisme.
C’est incroyable de se rendre compte que par contre, les termes "masculinité [2] et crise" renvoie immédiatement à de multiples pistes. Dans la matinale du 16 avril, un camarade de radio Talweg en avait fait un bref aperçu. Il nous donne au moins 3 directions de recherches :

  • La masculinité comme cause de la crise
  • La crise comme renforcement de la masculinité
  • La prétendue "crise de la masculinité"

Et en effet, les résultat les plus récurents pour "féminisme et crise" recoupent tous plus ou moins la question "le féminisme met-il la masculinité en crise ?"
Certainement faut-il en conclure que pour être "en crise", il faut être hégémonique. On n’est pas en crise lorsque l’on est minoritaire et en lutte.

Le seul renvoi historique que nous avons trouvé est un article de Christine Bard sur "La crise du féminisme en France dans les années trente". On en aura surtout retenu que le féminisme entrait dans les années 30 avec un sentiment de victoire qui a rendu son combat moins vital aux yeux de ses militantes, face à la montée du fascisme.

« À partir de 1934-1936, le pacifisme, l’antifascisme et la mobilisation en faveur du Front populaire déplacent les pôles d’intérêt des féministes et provoquent une dissolution de leur identité. L’émancipation des femmes apparaît plus que jamais comme un problème secondaire, y compris aux yeux de la plupart des militantes qui s’investissent dans des luttes mixtes qu’elles estiment plus urgentes. Ce transfert d’énergie est d’ailleurs conforme à leur conception universaliste et humaniste du féminisme. Il entre dans leur logique du double engagement, et l’exemple de cette période démontre particulièrement l’impossibilité pour les féministes de se situer politiquement exclusivement comme femmes et comme féministes. »

Ces lignes nous donnent envie, encore plus, de ne pas laisser de côté nos combats féministes en cette période difficile...

2 / Les conséquences du confinement pour les femmes

Féminicides

« A-t-on pensé aux mères et aux compagnes qui à cause de la recrudescence des coups de leurs maris doivent fuir de leur domicile ? Les associations de protections de femmes victimes de violences conjugales ont alerté les pouvoirs publics sur la hausse de 30% des violences faites aux femmes en cette période de confinement. Considérant que les moyens pour déclarer ces violences sont dès lors réduits à cause de l’isolement forcé, on ne peut que craindre la sous-estimation de ces chiffres.

Celles des femmes et des enfants qui sont enfermé·es avec des hommes violents, avec des hommes qui vont parfois oublier tout principe de consentement parce qu’en étant enfermés H24 ensemble c’est inconcevable qu’on n’ait pas envie, et puis faut bien passer le temps, et puis les besoins naturels et tout et tout.

Comme redouté, les mesures de confinement décidées par le gouvernement ont fait augmenter les violences conjugales. En zone gendarmerie, elles ont augmenté de « 32% en une semaine », a indiqué Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, et dans la zone de la préfecture de police de Paris, une hausse de « 36% en une semaine » a été enregistrée. »

Travail

Nous appelons Cécile, qui travaille dans le monde associatif et qui a une vision un peu globale de la situation des femmes au travail en ce moment. Elle nous parle de la visibilisation soudaine du travail reproductif, qui apparait comme le travail essentiel. On voit que ce sont essentiellement des femmes qui occupent ces postes. Elle revient sur les conditions de travail de ces métiers, sur les difficultés de lutte et sur les conséquences des restructurations en temps de crise sur ces métiers.

« Qu’est-ce que c’est le travail reproductif ?

C’est un peu l’analyse marxiste. On a le travail productif, de la production des marchandises. Le travail reproductif c’est tout ce qui est à côté. C’est ce qui fait que certes tu as une forme de travail sur laquelle le capitalisme se fait une plus-value, mais on va dire que le travailleur pour qu’il arrive à 7h du matin à l’usine et qu’il ressorte à 18h, il faut qu’il ait manger, qu’il ait dormi, qu’il ait une maison propre, donc en fait le travail reproductif c’est tout ce travail qui n’est pas dans la production de marchandise mais qui va permettre la reproduction de la force de travail. Donc c’est tous les boulots que font les femmes aujourd’hui dans le ménage, dans l’alimentaire, dans le care, dans le soin aux enfants, et qui est historiquement sous-payé parce qu’en fait avant c’était le travail que les femmes faisaient gratuitement dans la sphère familiale. Donc certes maintenant les femmes sont entrées sur le marché du travail, mais c’est parce que ces boulots-là sont héritiers du travail gratuit qu’ils sont sous-payés. C’est ce qu’on appelle le travail reproductif dévalorisé. C’est aussi une limite au capitalisme parce qu’il a tendance à toujours plus produire, mais s’il tue ses travailleurs trop vite et qu’il n’en a plus assez à exploiter il ne pourra plus faire du profit h24. Donc il est limité par ça. C’est ça qu’on voit aujourd’hui avec le contexte de pandémie. L’importance du travail reproductif réapparaît aux yeux de tout le monde. »

Cécile, extrait de l’émission
Soignantes

On fait une focale particulière sur la dévalorisation des métiers exercés par les femmes dans le domaine du soin.

« En tant que professionnelle des services de santé, les femmes étaient largement confinées dans les rôles subalternes telles qu’infirmières et aides soignantes. En tant que patientes, nous nous trouvions soumises à des traitements à la fois intensifs et hasardeux : hystérectomies inutiles, naissances surmédicalisées, contraceptifs insuffisamment testés, stérilisations involontaires, à quoi s’ajoutait la condescendance presque universelle des médecins hommes. Nous n’étions pas sensées savoir quoi que ce soit sur notre propre corps, ni participer à la prise de décisions sur notre propre santé. En tant que filles, les femmes de notre génération avaient grandi en pensant leurs organes reproducteurs comme la région innommable d’en bas. Lorsque nous sommes autorisées à participer au processus de soin, nous ne pouvons le faire qu’en tant qu’infirmières, et les infirmières quel que soit leur rang ne sont que du personnel auxiliaire au service des médecins. Depuis l’aide soignante dont les tâches subalternes sont définies avec une précision industrielle, à l’infirmière professionnelle qui traduit les prescriptions du médecins en tâches pour les aides soignantes, le statut des infirmières est celui de domestiques en uniformes au service de professionnels masculins dominants. Notre soumission est renforcée par notre ignorance et nous sommes forcées à rester ignorantes. On apprend aux infirmières à ne pas poser de questions, à ne pas contester. Le docteur sait mieux que vous. Nous avons appris ceci : l’élimination des femmes des métiers de la santé et l’accession au pouvoir des professionnels masculins ne furent pas des processus naturels résultant automatiquement des progrès de la science médicale, ils ne furent pas non plus le résultat d’une incapacité des femmes à prendre en charge le travail de soin. Il y eu une prise de contrôle active de la part des professionnels masculins. Et ce ne fût pas la science qui permit aux hommes de l’emporter. Les batailles cruciale
s eurent lieu bien avant le développement de la technologie scientifique moderne. Leurs enjeux étaient grands : la monopolisation politique et économique de la médecine signifiait le contrôle de cette organisation institutionnelles, de sa théorie et de sa pratique, de ses bénéfices et de son prestige. Et les enjeux sont encore plus grands aujourd’hui, alors que le contrôle total de la médecine signifie le pouvoir potentiel de déterminer qui doit vivre et qui doit mourir. La répression des femmes soignantes par l’institution médicale fût une lutte politique, d’abord parce qu’elle s’inscrit dans l’histoire de la guerre des sexes en générale. Le statut des femmes soignantes s’est amélioré et a décliné parallèlement au statut des femmes. Lorsque les femmes soignantes étaient attaquées, elles l’étaient en tant que femmes. Lorsqu’elles se défendaient, elles se défendaient au nom de toutes les femmes. Ce fût également une lutte politique qui s’inscrivit dans une lutte de classe. Les femmes soignantes étaient les médecins du peuple, et leur médecine faisait partie d’une sous-culture populaire. De tous temps et jusqu’à aujourd’hui, les pratiques médicales des femmes ont prospéré au sein de mouvement de révolte de classe populaire qui ont lutté pour s’affranchir des autorités en place. Sur l’autre bord, les professionnels masculins ont toujours servi la classe dirigeante, à la fois médicalement et politiquement. Leurs intérêts ont été promus par les universités, les fondations philanthropiques et la loi, ils ne doivent leur victoire pas tant à leurs propres efforts qu’à l’intervention de la classe dirigeante qu’ils servaient.
 »

 
 

Travail du sexe

« On s’est réveillé dans un cauchemar, abonde la présidente de l’association Acceptess-T Giovanna Rincon. On n’a pas les moyens financiers ou logistiques de faire face aux recommandations du gouvernement. De quoi vont vivre les travailleuses du sexe ? D’ici peu, elles vont devoir sortir et chercher un client pour subsister à leurs besoins. Et donc se mettre en danger. »
Les TDS ne sont pas éligibles au chômage partiel. Seules les rares déclarées pourraient prétendre au fonds d’aide pour les travailleurs indépendants. Comment payer alors ses factures, ses courses ou régler le loyer ?

Nous appelons Erika, travailleuse du sexe à Dijon, pour qu’elle nous raconte ce que le confinement a changé dans sa vie, et ce qu’elle sait des autres travailleuses du sexe dijonnaises.

« — J’ai arrêté depuis le début du confinement. J’ai fait ce choix-là parce que je pouvais me le permettre. Mais effectivement la situation devient de plus en plus précaire, je peux me le permettre mais à courte durée, arrivé un moment faut quand même réussir à manger, faire des courses, payer ses factures si on en a, son loyer, etc. Et du coup on peut pas rester sans activités du tout. Moi pour le moment j’ai fait le choix de faire attention et de pas prendre de rendez-vous.
— T’avais des demandes de clients réguliers ?
— Ouais, j’ai eu des demandes. Par contre, des gens continuent d’être demandeur de rendez-vous.
— De quelle manière ils prenaient ton refus ?
— Certains avec insistance, en comprenant pas tellement, en disant que c’est pas si grave, en disant qu’on peut faire attention. Là y’a clairement un non-respect de l’autre. Moi j’ai assez de caractère pour refuser ce genre de situation, mais clairement y’a des fens qui n’arrivent pas à le faire et donc y’a de la mise en danger de la part de certaines personnes qui peuvent être insistantes quand on leur répond non. Et sinon y’a aussi eu des personnes plutôt compréhensives, voire charmantes, qui en tout cas ont eu des messages de soutien assez compréhensifs et apaisants. »

Erika, extrait de l’émission

Pour soutenir financièrement les travailleuses du sexe à Toulouse : Appel à don->https://www.lepotsolidaire.fr/pot/q992ui58]

Lire la suite sur Dijoncter.info :

Précarité

Cyber-harcèlement

Transphobie au Panama

Avortement

Charge mentale

3/ Que peut faire le féminisme à la crise ?

Repenser le soin

Repenser la peur

4 / Conclusion

Les petits + du confinement

Rien ne remplace la sororité

Au revoir

Notes

[1C’est-à-dire des hommes dont le genre correspond au genre qu’on nous a assigné à la naissance. Cis-genre s’oppose fréquemment à « trans-genre ».

[2Quand nous parlons de masculinité ici, nous pensons à la masculinité incarnée par les hommes cis.

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