Lettre ouverte à Philippine Dolbeau, lycéenne et technocrate sécuritaire

Un message à Philippine Dolbeau, lycéenne des Yvelines et par ailleurs fondatrice de New School, une application hype de flicage généralisé des lycéen·ne·s

Philippine,

La vie vient parfois heurter les préjugés. Par exemple, la tienne prouve que la révolte n’est en rien une question générationnelle et que même à l’adolescence, on peut être sacrément réactionnaire et adorer le flicage. À seize ans, être « entrepreneuse » [1], c’est rare et c’est sans doute cet aspect de ton existence qui te vaut les lauriers de la presse. Pourtant, ton projet (ou ta boîte ?) New School fout la gerbe.

Je m’explique. À seize berges, d’habitude, on a plutôt tendance à fumer des joints et à sécher les cours. Bien sûr, ce cliché n’est en rien une vérité générale, c’est d’ailleurs en ça que c’est un cliché. Tou·te·s les lycéen·ne·s ne font pas l’école buissonnière. Il y en a qui y vont en cours, même quand ça les emmerde. Il y en a d’autres qui balancent leurs camarades de classe quand ils sèchent. Et puis il y a toi. Toi, t’inventes des applications pour fliquer tes petits camarades. Être une poucave, ça devait pas te suffire, tu rêves de puces à radio-fréquence. D’ailleurs, sans aucun doute, tu serais la première volontaire pour t’en injecter une sous la peau. De toutes les façons, t’as rien à te reprocher, c’est bien ça non ?

L’appel vs. Apple

De ce que j’en comprends, ta petite entreprise qui connaît pas la crise, elle a de grands projets. Elle est en discussion avec des rectorats de l’Éducation nationale [2] et même avec Apple. L’idée de base, c’est un calcul foireux : faire l’appel en chaque début de classe, ça prend du temps, d’ailleurs c’est une perte de temps. Deux minutes. Que dalle. Mais, par année, en tout, ça fait quand même « 28 heures, soit une semaine et demi de cours » [3]. Et comme chacun sait, le temps c’est de l’argent.

Du coup, t’as eu une idée. Brillante parait-il – en tout cas d’après Alain Juppé et BFM TV. Pour en avoir un aperçu, voici, en prose, l’explication de ton coup de génie [4] par la première chaîne télé business de France :

« Le principe : chaque élève accroche à son porte-clés une sorte de capsule connectée. L’application New School, un cahier d’appel électronique installé sur le téléphone du professeur, entre en contact avec ces petits boîtiers. Elle vérifie la présence de chacun automatiquement. Le processus dure 10 minutes, pendant lesquelles l’enseignant peut commencer son cours puisque l’application s’occupe de tout.
Si un élève manque, un email et un sms sont immédiatement envoyés aux parents de l’enfant absent, sans que le prof n’ait à faire quoi que ce soit. Ce dernier reçoit simplement une notification qui lui communique le nom des absents. » [5]

Traduction

Pour le dire autrement, ton rêve sécuritaire est assez simple : tu veux que chaque lycéen·ne [6] se trimbale au bahut avec une laisse numérique, une puce dans la poche ou dans le sac. Comme ça à chaque début de cours, le prof connecté (qu’on n’a toujours pas réussi à remplacer par un cyborg) n’a plus rien à faire : il check juste son appli pour vérifier que tout le monde est bien là.

Et si c’est pas le cas, hop, un texto et un mail aux parents. Rien à faire : la tablette l’envoie tout seul. Là, dans ton imaginaire de flic, le vieux passe fissa un coup de fil au rejeton qui retourne direct en cours. Le soir, il lui filera une torgnole à la maison. Ouf ! Une jeunesse de perdue en moins, merci Fifi.

Malheureusement, tes mauvais tours ne s’arrêtent pas là, t’as de l’ambition dans ta connerie. Tu te dis que, tant qu’à faire, si les élèves sont déjà tou·te·s pucé·e·s, autant en profiter. Alors, tu lances des pistes sur le possible développement futur de ton app : paiement à la cantine, emprunt de livres au CDI, etc. Après tout, dans la vie, il y a tant de moments sociaux que l’Internet des objets pourrait aisément remplacer : une puce et c’est réglé.

Bien sûr, les RFID ont ce désagréable effet de n’avoir aucune autre utilité que le fichage et la géolocalisation, mais qui sait, on aura peut-être demain des usages détournés de ton innovation : lorsqu’on séchera un cours, on aura juste à laisser sa puce au pote complice pour que l’absence ne se remarque pas trop.

Acceptation

Elle est surprenante ta petite entreprise, elle me rappelle un texte que le patronat de la techno-surveillance avait publié il y a une dizaine d’années et sobrement intitulé le Livre Bleu du Gixel [7]. Se rendant compte de leur bourde d’avoir été un brin trop honnête, les propagandistes de la biométrie s’étaient alors auto-censurés [8] . J’ignore si tu connais l’existence de cette publication (tu étais bien jeune quand elle est sortie), mais, que ce soit ou non volontairement, tu te retrouves à appliquer à la lettre ses recommandations. Dans la sous-partie « Acceptation par la population » on pouvait alors lire ceci :

« La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles.
Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes :
– Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.

  • Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo
  • Développer les services « cardless » à la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès Internet, …
    La même approche ne peut pas être prise pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gène occasionnée. Là encore, l’électronique et l’informatique peuvent contribuer largement à cette tâche. »

À l’époque, Pierre Gattaz, l’actuel patron du Medef, était un des signataires de ce pamphlet pro-sécuritaire que tu as, selon toute vraisemblance, fait tien (sans peut-être même le savoir ?)

C’est que le patronat, ça te connaît. Pour sûr, vu que t’en es. À 16 piges, t’es patronne, autant dire que ta vie commence bien mal. Tout ce que tu fais, c’est donner des ordres. Tu le reconnais d’ailleurs : t’y es pour rien dans le développement de New School, t’as juste du biff’ pour employer des gens qui programment pour toi. Pour la postérité, au cas où, t’as déjà un storytelling tout écrit : l’idée te serait venu lors d’un cours d’éco en seconde où on te demandait d’imaginer un concept pour une création d’entreprise. Et pour pouvoir jouer sur le pathos (façon : « mon invention va sauver l’humanité »), t’as même déjà commencé à raconter dans les médias une petite histoire sur un gamin oublié dans un bus scolaire, un banal fait divers qui aurait, tu sembles en tout le cas le croire, pu être évité avec ta laisse magique.

En te souhaitant faillite et infortune.

Toulouse, le lundi 11 janvier 2016,
Nicolas Police

P.-S.

J’aurais pu perdre deux minutes [9] à trouver ton adresse mail et t’envoyer cette missive, mais je ne m’en fais pas : prise d’un élan narcissique, tu vas bien finir par tomber dessus en tapant ton nom dans un moteur de recherche.

Notes

[1Efficace euphémisme de la novlangue médiatique qui se substitue discrètement à « patronne »

[2Trois classes des Yvelines (ton département de résidence) auraient déjà commencé à tester le système.

[3Certains problèmes mathématiques sont décidément d’une absurdité sans nom.

[4On a le swagg qu’on mérite

[5Lire sur BFM Business

[6Sans doute demain aussi chaque élève, de la maternelle à l’université ? et pourquoi pas chaque salarié·e ? – le concept est extensible ad nauseam – mais je ne voudrais pas te donner de mauvaises idées

[7Acronyme pompeux désignant le Groupement des industries de l’interconnexion des composants et des sous-ensembles électroniques

[8Ce qui n’empêche pas de trouver la version original en ligne

[9Il paraît que mis bout à bout, deux minutes + deux minutes + deux minutes + … ça doit donner pas loin de l’éternité.

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  • 16 janvier 2017

    Un discours sacrément autoritaire et péremptoire pour un site anti-autoritaire.

  • 3 janvier 2017

    Je travaille dans le secteur de l’éduction et l’absentéisme est un problème que ce soit pour l’établissement ou pour les parents... Il s’agit aussi d’un problème de responsabilité qui dépasse le "flicage" ! Je ne comprends pas votre position/réaction si agressive, dédaigneuse, votre ton irrévérencieux en tant qu’adulte mais surotut en tant que journaliste. Cela dessert votre article, votre argumentaire !
    On vous sent réfractaire à toute innovation alors que la question n’est pas la solution proposée en elle-même mais si celle-ci répond à un besoin ou non ! Et si c’est le cas, pourquoi s’opposer à de nouvelles pistes, réflexions, orientations ?!
    La petite fiche cartonnée à l’intérieur du bouquin a peut être suffisemment vécu et la gestion par puce serait une bonne nouvelle pour tout le monde. Les bibliothécaires pourraient être plus présentes pour accompagner les élèves dans leurs recherches. Tous comme les assistants d’éducation pourraient couvrir des missions de sensibilisation / prévention plutôt que de la gestion d’absence. Bref, tout le monde y trouverait son compte...
    Pour moi, c’est vous le réac dans l’histoire !

  • 1er juillet 2016

    Je vous trouve bien agressif envers cette jeune fille. Beaucoup de choses sont déjà informatisés : vous pouvez instantanément voir la note que votre enfant a eu à son examen , vous pouvez accéder aux devoirs à faire ou voir les remarques des professeurs par exemple. N’importe qui est tracable de nos jours, votre pseudo-liberté est en partie illusoire ou alors vous n’avez pas de carte de crédit, de téléphone, ou autre. Qu’un élève porte un badge ou non l’école sera de toute façon au courant de son absence et les parents seront informés. Tu auras ta torgnole quoi qu’il arrive. Le système scolaire aura plus de temps pour bosser sur autre chose du coup.

  • 21 juin 2016

    Je ne comprends pas en quoi elle "balance" ses camarades puisque que cette puce soit mise en place ou non les professeurs font l’appel.
    Au contraire je trouve que cela est plutôt une bonne idée, idem pour le système de la cantine et du cdi !
    Si ce petit boîtier peut m’éviter de devoir me trimballer un carnet de correspondance, une carte de cantine et de cdi tant mieux !

    De plus la majorité des jeunes lycéens ont un téléphone et sont geocalisables sur diverses applications alors pourquoi une telle révolte ??

    Je pense que tout ça est dû à une simple jalousie parce que, rendons-nous à l’évidence, tous les lycéens de premières n’ont peut-être pas la chance ou la capacité de mener à bien un tel projet.

    Je lui souhaite de réussir son projet (ou sa boîte comme vous préférez).

    Une élève de terminale qui rêverait de pouvoir sécher impunément même si cela est impossible depuis treeees longtemps !!!

  • 21 juin 2016

    Bonjour,

    Vous dites "...même à l’adolescence, on peut être sacrément réactionnaire et adorer le flicage."

    Quelle est votre définition de réactionnaire ?

    Selon le dictionnaire Larousse, ce mot désigne ce "Qui se montre partisan d’un conservatisme étroit ou d’un retour vers un état social ou politique antérieur".

    Selon cette définition, refuser le changement qu’apporterait son invention ne serait-il pas réactionnaire ?

    Le fait de préférer à cette innovation un système d’appel peut-être aussi vieux que l’école elle-même, n’est-ce pas faire preuve d’un conservatisme étroit ?

    Le temps gagner à ne pas faire cette tâche fastidieuse et répétitive n’est-elle pas autant de liberté gagnée à faire autre chose de plus épanouissant ?

    Le fait de faire l’appel est-il pour vous une mesure si liberticide qu’elle mérite cet article et ce mépris adressé à cette personne ?

    Etiez-vous vraiment libre lorsque vous séchiez (ou fumiez des joints d’après ce que les jeunes ont "plutôt tendances" à faire selon vous), ou faisiez-vous cela sous l’influence du regard de certains camarades ou d’une représentation suggéré de ce qu’est le fait de se rebeller, vous permettant ainsi d’être identifié et rattaché à un groupe ?

    Est-ce librement que vous recherchez la liberté ?

  • 21 juin 2016

    Merci <3, que du bonheur et du bon sens cette missive !

  • 16 janvier 2016

    Pourquoi c’est tellement important de se voir répéter à longueur d’article que Philippine Dolbeau a 16 ans, quand c’est pas, pour son chevalier blanc en commentaires, qu’il s’agit d’une "fillette" ?

    C’est quoi l’idée, on discute de ce qu’elle fait (rendre ce monde de flics plus fliqué encore) ou de ce qu’elle est (une personne de 16 ans) ??

    j’appelle ça de l’âgisme, et c’est pas tellement plus classe que du sexisme ou du racisme cher Nicolas Police. Qu’elle ait 16 ou 116 ans, Philippine Dolbeau est une ennemie politique. Mais pas du fait de son âge, car ça elle y peut rien et c’est juste minable de chercher à l’humilier là-dessus. Du fait qu’elle collabore avec un système de mouchardage électronique généralisé : ça devrait suffire non ?

  • 15 janvier 2016

    comment pucer la population, un éclaire de débilité chez cette jeune fille si elle en a que l’apparence.
    ressemblance a Jean Marie, Marine et Marion surement un de leur rejeton. Que la puce saute.

  • 15 janvier 2016

    Bonjour,

    autant le sujet est très intéressant et sa critique nécessaire, autant cette forme vindicative et irrespectueuse de la personne (pleine de jugements négatifs et violents) donne plutôt envie de défendre cette jeune fille pour ce qu’elle est : une adolescente de 16 ans, sûrement pleine d’émotions face à ce qui se passe dans sa vie et dans ce monde et qui crois qu’un bonne idée c’est l’apparence des choses et que le monde est simple... alors pourquoi faire comme elle en écrivant comme cela ?
    Je crois que c’est notre rôle d’adulte que de ne pas tomber dans les mêmes travers que ceux que nous dénonçons...

    avec tout mon amitié,

    Antoine

  • 15 janvier 2016

    Je trouve la réaction puérile de la part d’un adulte comme vous. Encouragez donc les gens à sécher les cours, on voit déjà ce que l’école représente (ou plutôt ne représente plus) pour les générations à venir. Vous exprimez que c’est là le début de la fin des libertés, avec la surveillance... Mais vous parlez de gosses, là ! Pas d’adultes responsables ! Et les enfants, il faut les surveiller et vérifier qu’ils ne font pas trop de bêtises. Bien sûr, je ne parle pas de leur ôter toute liberté, loin de là : si on commence à penser l’école comme une prison, c’est là que c’est triste. Mais tout de même, surtout de nos jours où la jeunesse est en manque de repères (coucou les jeunes qui se radicalisent dans nos banlieues et qui partent en Syrie), les "contraindre"à rester dans un certain système qui pourrait à terme leur permettre ou de s’intégrer dans la société ou de faire ce que bon leur semble de leur esprit libre, je ne trouve pas l’idée idiote. Alors oui, le système scolaire français n’est pas merveilleux et est plein de défauts, mais ne vous en faites pas , il y aura toujours de jeunes casses-cous, souhaitant expérimenter la vie du haut de leurs douze ans, pour se faire porter pâle.
    Quant aux moqueries directes adressées à la jeune entrepreneuse et au ton méprisant de l’article, on dirait tout bonnement la réaction d’un cancre jaloux. Si vous voulez que vos articles et vos revendications soient pris au sérieux, je pense humblement que ce n’est pas le meilleur chemin.
    En espérant ne pas recevoir de réponse haineuse...

  • 14 janvier 2016

    C’est super comme projet. Il faut toujours que des aigris, râleurs, expriment des sentiments négatifs alors que l’histoire de cette jeune fille doit nous faire réfléchir et nous rendre compte que le monde a changé. Rester sur ses vieilles croyances que rien ne changera et surtout que rien ne doit changer n’est pas le signe d’une ouverture d’esprit ! Si certains veulent rester dans leur bulle du passé qu’ils y restent, mais qu’ils laissent celles et ceux qui ont envie de créer, innover, et aller de l’avant le faire. Ce sont eux qui construisent notre avenir . Cette jeune fille mérite tout le succès qu’elle peut espérer car elle est devenue une icône de la nouvelle ère d’innovation qui flotte sur notre beau pays. Et tant pis pour les rétrogrades et les jaloux !!

  • 14 janvier 2016

    Ouais ! Bien joué !

  • 14 janvier 2016

    Bonjour Philippine,

    Ton invention suscite quelques interrogations de ma part :

    1. L’efficacité de ton système. Comment être sûr que les élèves ne s’échangent pas leur badge ? Un élève qui souhaite sécher peut simplement le donner à l’un de ses camarades pour qu’il soit noté présent.

    2. La relation école-famille. Quel lien l’école va-t-elle entretenir avec les familles ? Pour les absences, un simple SMS ou email est envoyé = quel dialogue avec les parents ?

    3. L’avenir des assistants d’éducation. Les assistants d’éducation n’auront donc plus besoin de gérer les absences ? En lycée, que feront-ils ? De la pure et dure surveillance alors qu’on parle aujourd’hui d’éducation ?

    La technologie ne pourra jamais égaler l’être humain, elle vise à l’outiller pour le monde de demain.

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