Comment faire plier une entreprise : la méthode SHAC

Au tournant des années 2000, le mouvement de libération animale lance une campagne massive contre le plus grand laboratoire d’expérimentation animale d’Europe. La mobilisation s’organise autour de la stratégie SHAC encore utilisée aujourd’hui. L’objectif est de provoquer la faillite d’une entreprise qui collabore à des projets toxiques.

Article publié dans la revue Terrestres

Introduction et traduction de Simon Verdier et d’Anton Ortolan du texte initialement paru sous le titre The SHAC Model, A Critical Assessment, numéro 6, été 2008, revue Rolling Thunder.

Le texte intégral est disponible en brochure ici.

La méthode SHAC est une stratégie dont l’objectif initial était de pousser une entreprise à la faillite en provoquant un dilemme chez ses partenaires commerciaux : maintenir une relation avec elle au risque de perdre d’autres contrats. Plus tard, son usage sera étendu au fait de stopper des projets d’aménagement. Elle a été élaboré au cours de la seconde moitié des années 1990 et son application la plus connue est la campagne dont elle tire son nom : Stop Huntingdon Animal Cruelty (SHAC) menée contre un laboratoire d’expérimentation animale : Huntingdon Life Sciences (HLS). Cette campagne d’ampleur internationale impliqua, tout au long de son existence, plusieurs milliers de personnes dans des dizaines de pays qui ont réussi à faire renoncer 286 entreprises à leurs contrats avec ce laboratoire. Parmi elles, des institutions et des banques de premier plan comme HSBC ou Bank of America. « Avec des entreprises abandonnant HLS chaque semaine, nous avions le sentiment d’être en train de gagner. » Ce sentiment, c’est celui de toute une époque pour un mouvement écologiste britannique alors en pleine effervescence.

La campagne internationale SHAC impliqua plusieurs milliers de personnes dans des dizaines de pays et a réussi à faire renoncer 286 entreprises à leurs contrats avec ce laboratoire.

Si la campagne SHAC a elle-même été bâtie sur une succession de campagnes animalistes victorieuses, les années 90 auront également vu l’échec du projet de réseau autoroutier du gouvernement britannique qui dut abandonner 500 chantiers de route sur les 600 initialement prévus. Pourtant, malgré ces victoires, cette période et ses résistances sont aujourd’hui absentes de nos imaginaires collectifs : à la fois trop vieilles pour être dans les mémoires d’une bonne partie des militant·es actuel·les et trop récentes pour être correctement documentées en langue française. [1]

Pour autant, nombre de campagnes se sont depuis inspirées de cette méthode. Quelques cas états-uniens sont mentionnés dans le texte, mais elle a également eu ses répliques et ses adaptations en France. La campagne « Adopte un sous-traitant » au sein de la lutte contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est lancée en 2014. Elle prend pour cible les bureaux d’études en environnement chargés d’évaluer les compensations écologiques nécessaires à la réalisation du projet. L’un d’entre eux, Aquabio, abandonnera au bout de quelques mois. En 2018, c’est au tour de l’opposition à la construction du site d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure de lancer sa campagne « Les monstres de Cigéo ». Sa cible, le bureau d’études Ingérop – maître d’œuvre du projet, sera rapidement victime d’un vol de données sur ses serveurs, néanmoins la campagne peinera à décoller. Il reste à dresser les bilans de ces deux expériences françaises. Aujourd’hui, c’est de l’autre côté de l’Atlantique que cette méthode est éprouvée : dans le cadre de la lutte pour la défense de la forêt Weelaunee à Atlanta contre la construction de « Cop City », un immense centre d’entraînement pour policiers. Sa campagne « Stop Reeves-Young » aura eu raison de sa cible seulement neuf jours après l’annonce de son lancement. Et ce probablement en raison des attaques que l’entreprise et l’un de ses sous-traitants ont subies pendant plusieurs mois. Forte de cette première victoire, la campagne s’oriente maintenant vers le maître d’œuvre du projet.


Cette réappropriation par des mouvements de résistance à des projets d’aménagement territoriaux, d’une méthode initialement forgée dans le but de faire fermer définitivement des entreprises n’est pas anodine. Si, comme des observateurs l’ont fait remarquer, le marché n’étant que compétition, il y aura probablement toujours une entreprise pour prendre les parts de marché de celle qui est ciblée. L’opération serait alors à somme nulle. Il en est tout autre lorsque l’objectif est de ralentir un projet d’aménagement, le temps que des décisions juridiques ou politiques viennent y mettre un terme. La méthode SHAC n’est alors plus considérée comme une fin en soi, mais comme un moyen pour poursuivre d’autres objectifs. Une autre différence majeure caractérise cette réappropriation. La campagne SHAC n’avait « pas l’impression d’avoir besoin d’une couverture de presse positive » puisque son « objectif était de terrifier les entreprises pour qu’elles cessent de faire des affaires avec HLS, et non de gagner des converti·es au mouvement de défense des animaux ». D’une part, cette posture n’a pas aidé à populariser sa cause au sein de l’opinion publique. Le gouvernement britannique n’eut alors pas de scrupules pour intervenir et ressusciter HLS quand celle-ci était au bord du gouffre. D’autre part, SHAC était difficilement défendable par toute organisation qui aurait souhaité lui apporter publiquement son soutien. Elle était, de fait, facilement isolable et donc plus vulnérable aux représailles gouvernementales. Les campagnes mentionnées précédemment, elles, ont toutes été adossées à des mouvements sociaux qui, pour certains, englobent une fraction importante du spectre politique [2]. Cela les a rendus plus robustes face à la répression. Pour le dire avec l’auteur·e : « une fois que le gouvernement est impliqué dans un conflit, il faut plus qu’un réseau resserré de militant·es pour gagner. Il faut tout un mouvement social à grande échelle ».


La traduction de cet examen critique intervient donc avec un double objectif. Participer à mettre en lumière cet angle mort de l’histoire des luttes afin que ces événements soient une source d’inspiration pour les prochaines mobilisations. Et dans le même temps, avoir une discussion sur les avantages et les inconvénients de cette méthode pour mieux en évaluer les applications récentes et à venir. En espérant que ce témoignage permette de consolider les résistances et offensives en cours.

* * *
« Nous étions conscients de l’existence des militants, mais je ne pense pas que nous comprenions exactement jusqu’où ils iraient. »
– Warren Stevens, à propos de l’abandon d’un prêt de 33 millions de dollars à Huntingdon Life Sciences (bien qu’il eût juré qu’il ne le ferait jamais), après des émeutes dans ses bureaux de Little Rock et des actes de vandalisme sur sa propriété.

Au cours de la décennie 2000-2010, Stop Huntingdon Animal Cruelty (SHAC) a mené une campagne internationale d’action directe contre Huntingdon Life Sciences (HLS), la plus grande société d’expérimentation animale d’Europe. En ciblant les investisseurs et les partenaires commerciaux de HLS, SHAC a amené à plusieurs reprises HLS au bord de la faillite. Il a fallu l’aide directe du gouvernement britannique et une violente contre-offensive judiciaire internationale pour maintenir l’entreprise à flot. Plus récemment, il a été question d’appliquer la méthode de SHAC dans d’autres contextes, comme la défense de l’environnement et le mouvement anti-guerre. Mais qu’est-ce que la méthode SHAC, précisément ? Quelles sont ses forces et ses limites ? S’agit-il, en fait, d’une méthode efficace ? Et si oui, pour quoi faire ?

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Notes

[1Alors que la production littéraire sur cette période est foisonnante en langue anglaise, il n’existe que quelques références en français. Le texte qui a fait date sur le sujet est l’article « SHAC Attack ! En campagne contre l’expérimentation animale : la lutte contre HLS (1999-2003). Historique et perspectives » traduit en 2013, il avait originellement été publié dans le dixième et dernier numéro du journal Do or Die. Le film The Animal People, sur la répression de l’organisation états-unienne SHAC US, est sortie en 2019. La lutte contre le projet autoroutier est quant à elle contée dans À bas l’empire, vive le printemps ! traduit en 2020 aux éditions Divergences.

[2De la coordination contre l’aéroport de NDDL et ses sympathisant·es au soutien massif dont bénéficie la campagne de défense de la forêt d’Atlanta depuis l’assassinat d’un militant par la police.

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