De la Palestine à Sivens (France)

L’association « Les AmiEs de Tarabut » (LAT), association française de soutien au mouvement anticolonialiste Juifs/Arabes Tarabut/Hithabrut (Tarabut) implanté en Israël/Palestine de 48, a une histoire avec le département français du Tarn. La proximité étant un facteur des émotions, c’est avec évidence que nous tenons à adresser nos pensées à celles et ceux pour qui Rémi Fraisse était vraiment un proche.
A l’émotion nous tenons à ajouter quelques réflexions.

A l’émotion nous tenons à ajouter quelques réflexions.

Alors que notre association est originellement tournée dans ses activités vers la Palestine, nous nous retrouvons pleinement dans l’approche du mouvement Tarabut, implanté dans l’espace connu sous le nom d’Israël, qui considère que son temps est aux luttes au sein de ses espaces quotidiens. C’est ainsi que pour lutter contre la colonisation de la Palestine, les membres de Tarabut luttent tout d’abord en Israël.
C’est pourquoi LAT s’arrête sur ce qu’il se passe en France dans son chemin vers la Palestine.

Cela veut dire que nous considérons qu’entre la lutte en forêt de Sivens, l’assassinat de Rémi Fraisse et la Palestine il ya un lien. Pour l’instant nous l’exprimons à travers les paroles de Nacira Guénif-Souilamas issues d’un interview d’elle que nous venons de publier dans le cadre d’une brochure sur les processus coloniaux territoriaux et mentaux au sein d’Israël :

« « Au regard de cela, comment entendre l’application du terme « colonisation » à des processus urbains comme la métropolisation ou la gentrification ? Par exemple, ce terme a été employé pour qualifier ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes dans le cadre de la métropolisation de Nantes.

Le fait qu’à un moment donné les Nantais puissent être traitéEs comme des coloniséEs de l’intérieur procède du fait que même un Blanc, « normal », qui effectivement ne pensait pas qu’il était racialisable, devient potentiellement un objet de la colonisation. Pourquoi ? Parce que sa terre pourrait lui être prise et parce que le fait qu’il en est propriétaire n’a plus aucune valeur. En démonétisant son statut de propriétaire, il devient colonisable. En disant que nous sommes coloniséEs par le capital, j’entends par là que « nous » sommes coloniséEs par des gens qui veulent transformer « notre » terroir : l’autochtone est très présent derrière ce discours. La colonisation de la terre, c’est ce qui se passe en Palestine, et c’est ce qui se passe par exemple dans le processus de métropolisation à Nantes. Là, ce ne sont sans doute pas des gens qui se pensent comme des coloniséEs, ils pensent qu’ils sont en train de se faire déposséder de leur terre, comme si ça n’affectait pas ce qu’ils sont. S’ils tiraient la conclusion de ce qu’ils disent, ça veut dire qu’ils seraient comme les Roms, comme les Noirs et les Arabes dans les périphéries, comme les musulmans, qu’ils participent de ce peuple-là. Alors que dans le cas des PalestinienNEs, le fait de se faire déposséder de leur terre les a profondément affectés puisque ça les a constitués comme des parias, comme un peuple exilé tout en restant sur place. Les gens de Nantes exposés à cette épreuve pensent sans doute « colonisation » sur un mode métaphorique, ils pensent ça comme ils diraient « dépossession » ou « injustice ». Et c’est aussi parce que d’une certaine manière c’est un signifiant qui flotte dans l’air et dans l’atmosphère française, parce qu’il dit quelque chose de la réalité française. Ça n’est pas par hasard s’il est disponible là, à ce moment-là. Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne parvient pas à faire le parallèle, mais est-ce que ce n’est pas le propre de toute forme de colonisation que de vouloir la constituer comme une exception, d’en faire toujours une expérience unique, incommensurable par rapport aux autres ? C’est ce qui explique que l’alliance entre coloniséEs est difficile à établir. Le fait qu’en France cette grille de lecture-là soit difficilement admissible, c’est qu’elle est souvent insupportable aux individus. Comment, en tant qu’individu, peux-tu supporter l’idée que tu es colonisé*e ou que tu es complice d’une colonisation ? Sachant que cela implique de devoir en identifier le mode opératoire, les instigateurs, et de les constituer, le cas échéant, comme un adversaire auquel résister pour le combattre. C’est sans doute pourquoi personne ne pense jamais à appliquer la grille de lecture de la colonisation et de la colonie à la France, sous forme non pas de parallèle, mais d’une même cartographie dans laquelle on inclut aussi Israël-Palestine.

Que veut dire la racialisation de la population blanche française ?

Cette population (blanche) ne se vit pas comme de l’autre côté de la frontière, mais elle peut le devenir, c’est une opération très simple. Il est possible de marginaliser n’importe quel segment d’une population à un moment donné, la renvoyer à son essence et la constituer dans son essence. La racialisation n’est pas un mode bien ou pas bien, c’est un mode qui est disponible, c’est une opération qui est potentiellement réalisable, encore faut-il savoir dans quelles circonstances elle se fait, à l’encontre de qui, par qui. Donc, exactement comme pour le mot race, cela permet de décrire un certain type de rapports qui sont des rapports de pouvoir, qui vont éventuellement devenir des rapports d’oppression, et tout le monde peut activer ça, il n’y aurait pas les gentils qui seraient racialiséEs et les méchants qui racialiseraient. Il y a une forme d’autoracialisation qui peut parfaitement s’opérer à partir de paramètres, de propriétés sexuelles, culturelles, religieuses… » »
Au regard de ce processus global, l’assassinat de Rémi Fraisse devient chose localement possible. Comme pour touTEs les coloniséEs.

Il ne s’agit évidemment pas ici de dire que Rémi Fraisse et Orwa Hammad (jeune palestinien de 14 ans tué vendredi dernier près de Ramallah en Cisjordanie ; dernier mort de la longue liste des palestinienNEs assassinéEs, depuis des décennies à l’heure de l’écriture de ce texte) et les contextes de leur assassinat sont interchangeables. Il s’agit simplement de rappeler qu’entre le « ici » et le « là-bas » il y a un espace qui se parcourt. Il y a un continuum.

Rappelons aussi qu’il est pleinement justifié d’avancer l’opinion selon laquelle ce sont bel et bien les agents du pouvoir exécutif français au service d’une politique qui n’a que faire de celles et ceux qui en subissent les conséquences, dès lors que cette politique est profitable aux personnes qui la souhaitent ; que ce sont donc ces agents qui ont assassiné Rémi Fraisse. Quand bien même les personnes protégeant ces agents cherchent à brouiller les pistes.
Effectivement, les violences policières à Sivens sont monnaies courantes depuis le début de la lutte. Et ont déjà mis en péril la vie de certainEs.
Mais au-delà de cette histoire particulière, c’est une routine au sein des agents du pouvoir exécutif français que d’utiliser leurs armes de manière létale, entre autres par la pratique du tir tendu. Routine qui, ajoutée à une approche coloniale des personnes considérées comme troublant l’ordre public et permettant ainsi d’en faire des moins que rien, permet d’appuyer sur la gâchette avec sérénité, d’autant plus que ces agents se savent couverts par leur hiérarchie.
Il s’agit là d’un autre parallèle avec ce qu’il se passe en Palestine : les agents du pouvoir exécutif français sont aussi formés par les agents du pouvoir exécutif israélien qui ont une longue expérience en matière de létalité et d’approche coloniale de leur cible.

Dernière réflexion.
Alors que le peuple palestinien subissait les massacres de cet été, il a su, à travers le bureau national de coordination (BNC) de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) contre l’Etat d’Israël jusqu’à ce qu’il respecte le droit international, exprimer sa solidarité avec ce que subissaient celles et ceux de Ferguson aux Etats-Unis. C’est avec évidence que le peuple palestinien a parcouru la distance entre leur « ici » et leur « là-bas ».
LAT se retrouve pleinement dans ce type de parcourt.

Nous livrons ces réflexions en toute conscience de leur état d’ébauche. Mais il nous importe qu’émotion et réflexion se rencontrent.
Et d’affirmer notre solidarité avec les victimes d’une répression que nous dénonçons sans ambiguïté.


LAT – 28 octobre 2014
lesamisdetarabut@gmail.com

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