C’est ce néant et la possibilité de sa croissance qu’ils défendaient encore ce samedi 25 octobre, possibilité qui repose sur la peur qu’ils inspirent, sur la pression mentale et physique qu’ils exercent sur nous. Ils étaient là ce samedi, malgré les promesses du préfet, non pas pour prévenir de nouvelles dégradations sur les quelques mètres de grillage qui les entouraient, mais pour faire perdurer cette mise sous pression des opposants qui depuis le début des travaux de déboisement n’a jamais cessé. Chaque jour les charges policières, les multiples exactions ont tenté de faire passer aux défenseurs de la forêt de Sivens l’idée folle qu’ils puissent avoir quoi que ce soit à dire sur l’avenir de ce territoire. Et aujourd’hui encore, sans aucun souci de décence, ils affirment que les travaux sont trop avancés pour revenir en arrière. Experts ou flics, ils exercent cette politique du fait accompli sans vergogne.
Pourtant, vendredi soir, les opposants ont démontré que ce qui est bâti peut être détruit. En effet, dans la nuit, la « base de vie » des gendarmes a été incendiée. Son aspect donnait d’ailleurs une idée de ce que « vie » signifie pour eux : une plate-forme de terre « dévégétalisée » entourée de douves de trois mètres de profondeur, remplies d’eau, doublées de rangées de grillages. A l’intérieur, un algeco et un groupe électrogène alimentant un énorme spot tourné vers l’extérieur. Le lendemain, ils faisaient tout de même bloc autour de ses cendres, voulant démontrer qu’aucune victoire n’est possible pour nous. C’est cette assertion qui tentait d’être retournée durant la manifestation, en affirmant à plusieurs milliers qu’on ne pliera pas, et que c’est eux qui partiront. Rapidement nous nous sommes massés le long des boucliers et des grillages. La co-présence de deux visions du monde si antagonistes ne peut durer longtemps sans exploser. Certains s’avancèrent un peu plus pour passer de la parole au geste et les affrontements commencèrent pour ne s’arrêter qu’au petit matin. Face à nous, des lacrymogènes par centaines, lancés à hauteur de visage, des grenades assourdissantes éclatant au milieu de la foule, des tirs de flash-balls en pagaille... Dans ce contexte, Cazeneuve a raison, le meurtre de Rémi n’est pas une bavure. C’est bien une possibilité toujours présente de l’action des forces de l’ordre et de leurs armes soit disant non létales. Leur ultime menace. D’ailleurs, plusieurs heures après le drame, alors qu’ils savaient tous qu’ils avaient tué un jeune homme, les gardes mobiles continuèrent leur distribution généreuse de grenades. La stupéfiante normalité de ce crime ne fut brisée que lorsqu’ils prirent conscience de la légitime colère qui risquait de s’abattre sur eux. Alors seulement, ils levèrent le camp.
On a entendu, ce dimanche, des voix nauséabondes tenter de scinder le mouvement, de séparer le bon grain de l’ivraie, comme d’habitude, comme toujours. Rémi était dans les affrontements, nous y étions tous. Ils veulent que nous nous cloîtrions dans le pré carré d’identités faciles à cerner : le non-violent et celui qui s’affronte avec la police, le pacifiste et le casseur, etc. Alors il faudra le répéter : il n’y a ni bon, ni mauvais manifestant. Il n’y a que des opposants à ce stupide projet. Lorsque la police use d’une telle violence, lorsqu’on voit tant de mutilés, on comprend aisément l’utilité de boucliers ou de masques à gaz, lorsque le fichage politique est exponentiel, lorsqu’après la manifestation du 22 février à Nantes, l’accusation se base sur des vidéos, on comprend que certains se masquent le visage. Parler de « black bloc », désigner des « encagoulés », c’est ce que l’État fait pour masquer un fait majeur : les opposants ont tiré des enseignements des luttes de ces dernières années, notamment en ce qui concerne les pratiques policières et judiciaires. C’est toute une génération politique qui a appris comment s’équiper face à la police si l’on ne veut pas céder à l’argument du flashball et de la matraque. Et l’on sait comment à la Notre-Damde-des-Landes cette forme de résistance fut décisive.
Au Val Susa dans les alpes italiennes, toute une vallée se bat contre un projet de ligne TGV, dans la multiplicité des pratiques. Ainsi, lorsque l’État italien a tenté de les diviser en pointant du doigt un prétendu « black bloc » qui serait venu s’infiltrer parmi les « opposants non-violents », le mouvement a répondu d’une seule voix : « nous sommes tous des black blocs ». Si s’opposer physiquement, si refuser de plier, si faire éclater sa colère, c’est être un casseur, alors nous sommes tous des casseurs.
Ce qui nous réunit, c’est une commune émotion, un NON ferme et sans appel à leur projet. Et depuis la mort de Rémi, c’est la tristesse et la rage qui nous tiennent ensemble. C’est cette certitude aussi : nous ne laisserons jamais ce barrage se faire. L’émotion commune, la colère populaire, voici ce qui les effraie, ce qui les a toujours effrayés, rois, flics ou aménageurs. Ils nous voudraient calmes, patients, attendant que « justice se fasse ». Mais leurs appels résonnent dans le vide. Car l’un d’entre nous est mort. Valls nous a prévenus, il « n’acceptera pas la mise en cause des policiers. » Leur justice cautionnera leur police comme elle l’a toujours fait. Et nous, nous faisons ce que le peuple sait faire : prendre la rue, hurler au visage des assassins, lézarder le décor impassible pour qu’il en porte la marque, pour en finir avec l’impunité policière.
Il en va de notre vie à tous. Il en va du souvenir de Rémi.
SAMEDI 1er NOVEMBRE GRANDE MANIFESTATION à TOULOUSE Place du Capitole - 15h
Annoncé et relayé par le site du collectif Tant qu’il y aura des bouilles
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