« Ils m’ont dit de quitter l’appartement. Ils ne m’ont pas dit pourquoi »

Hostilité et invisibilisation
Reportage sur les expulsions massives de demandeur’euse’s d’asile en Grèce
Automne 2022, Hiver 2023

G : " Y a pas eu de papiers, non non, c’était tout par téléphone, on m’a appelé : « oh G, il faut que tu quittes la maison bientôt là ! » « comment ça je quitte la maison ? » « Oh le gouvernement a pris les choses en mains y a les organisations qui vont vous sortir, comme ça tu vois, tu vas aller dans le camp de Nea Kavala ! ".

F, G, comme des milliers de personnes en Grèce, ont reçu un appel téléphonique similaire cet automne 2022.

F- non, ils ont dit 3 jours mais je ne suis pas sorti parce que j’avais pas loué d’appartement, j’avais pas d’autres solutions. Pendant deux mois j’ai vécu un grand stress, chaque fois, dès que je mettais ma tête sur l’oreiller j’avais peur d’être expulsé par la police le lendemain. J’te jure, pendant deux mois. C’est le cauchemar. Chaque fois que je partais au travail, en revenant j’avais peur de retrouver la porte avec une nouvelle serrure. »

G et F sont deux amis qui avaient obtenu un logement dans le cadre du programme ESTIA II , un programme d’hébergement destiné aux demandeur’euse’s d’asile en Grèce. En février 2022, le gouvernement a annoncé la fermeture du programme malgré le soutien de la Commission européenne qui souhaitait poursuivre son financement jusqu’en 2027. Des milliers de personnes ont été envoyées dans des conteneurs insalubres à l’écart des villes ou condamnées à dormir dans la rue.
Les autorités grecques ont expulsé massivement tandis que les institutions européennes et les médias internationaux étaient complices par leur silence. Nous pensons que la fin du programme n’est pas seulement un portrait exemplaire de l’approche de la Grèce en matière de migration, mais offre également un aperçu de la logique brutale qui régit les politiques migratoires européennes au sens large.

Au départ, ce programme semblait fondé sur l’intention d’offrir aux demandeur’euse’s d’asile la stabilité nécessaire pour se construire une nouvelle vie en Europe, de créer des liens avec les communautés locales et, avec le temps, de devenir financièrement indépendant’e’s. Comme l’exige la législation européenne elle-même (Art. 17 Nr. 2 of the EU directive 2013/33/EU), le programme semblait viser un niveau de vie "adéquat", ainsi qu’une aide financière et des garanties pour la santé physique et mentale de ses demandeur’euse’s.

Le programme ESTIA a été créé par le HCR en 2015 avec un financement de la Commission européenne et a fourni jusqu’à 27 000 hébergements dans 21 villes grecques. On estime qu’en 2020, plus de 70 000 réfugié’e’s ou demandeur’euse’s d’asile bénéficiaient de ce programme.

"Le programme ESTIA était unique. Il a été un pari à un moment d’urgence très difficile en Grèce. Grâce à la bonne volonté et à la coopération de tou’te’s, le programme a réussi à répondre très rapidement à un besoin énorme, à grande échelle et avec une touche humaine. Il a fait la différence pour de nombreuses personnes".
Mireille Girard, représentante du HCR en Grèce

Bien qu’un programme de logement ne puisse suffire à lui seul à renverser le cadre raciste des contrôles aux frontières, les droits acquis uniquement par la citoyenneté et les interminables procédures d’éligibilité à l’asile, les affirmations faites par Girard il y a plus d’un an semblent contenir une part de vérité. Cependant, C, une personne impliquée dans la lutte contre les expulsions, est moins enthousiaste : "Je n’utiliserais pas le terme mauvais ou bon, disons que ce programme était nécessaire aux politiques de l’État à cette époque. (...) Il est certain que certain’e’s ont eu le soi-disant "luxe" de vivre dans des appartements, mais... ce programme de logement a connu des échecs en soi. » Beaucoup de ces appartements étaient ceux dans lesquels les habitants n’auraient pas aimé vivre car ils sont précaires et sales. Une partie de l’hébergement se faisait dans des hôtels, situés très loin des villes, dans de petits villages, dont les migrant.e.s ne pouvaient pratiquement pas sortir : " Les migrant’e’s ne quittaient jamais l’hôtel. Ils’elles y dormaient, y faisaient leurs courses et y vivaient. Ils’elles étaient toujours surveillé’e’s. Ils’elles n’étaient pas les bienvenus en ville" dit C.

En 2021, des millions d’euros ont été dépensés pour assurer un transfert en douceur des responsabilités du HCR au gouvernement grec. Le programme, d’abord géré par des ONG internationales en réponse à une "crise soudaine" devait devenir une politique nationale régulière.

"Ce n’est pas la fin de l’ESTIA. Le programme continue maintenant sous la direction du gouvernement et avec le soutien indéfectible de l’UE" assurait Girard en juillet 2021.

Cependant, moins d’un mois plus tard, le gouvernement a commencé à procéder aux premières expulsions des habitant’e’s de l’ESTIA. Tout à coup, l’urgence des institutions publiques est devenue d’éradiquer le programme dans les plus brefs délais, notamment avant décembre 2022.

Le programme a progressivement réduit sa portée pendant un an et demi. Jusqu’à 20 000 personnes ont été forcées de quitter leur foyer (dont la plupart étaient des familles vulnérables), ainsi exclues, elles ont été privées du soutien psychologique, médical et financier qu’elles recevaient et ont été envoyées dans l’ombre des camps : l’ultime "no-place" de l’Europe moderne, entourés de murs de béton, loin de tous regards amicaux.

La fin de ESTIA a affecté la vie de ses bénéficiaires sous de nombreuses formes, à commencer par le stress important qu’ils’elles ont subi en réalisant que leur maison ne serait plus leur maison et que la vie qu’ils’elles essayaient de reconstruire serait détruite d’un jour à l’autre ( l’accès à l’éducation, à l’emploi, à l’assistance médicale, à la vie sociale, etc...) .

F est un ami algérien qui vit en Grèce depuis plus de trois ans. Il travaille pour une agence de nettoyage depuis au moins 8 mois. En octobre, CARITAS l’a appelé pour lui dire qu’il avait trois jours pour quitter son logement. Tout comme F, la plupart des personnes que nous avons rencontrées n’ont reçu aucun document officiel attestant la procédure et la date d’expulsion, ce qui constitue une violation de la législation grecque et européenne (Article 61 of the law 4939/2022) et du même coup bloque toutes tentatives d’actions en justice pour s’opposer à l’expulsion en plus d’entrainer une confusion car les personnes ont reçu des dates d’expulsion différentes au fil des appels téléphoniques.

F- ça fait deux mois que je dors et que le matin j’ai peur de me faire réveiller par des policiers... Qu’ils m’expulsent n’importe quand.
A- et ils t’ont dit pourquoi ?
F- Ils m’ont dit qu’il faut quitter l’appartement, ils m’ont pas dit pourquoi.

S- ils t’ont pas donné de dâte précise ?
F- non, ils ont dit 3 jours mais je ne suis pas sorti parce que j’avais pas louer d’appartement, j’avais pas d’autres solutions. Je trouvais pas d’autre appartements, je voulais vivre seul, les studios y avait pas, ou c’était trop cher, je pouvais pas le payer--- une fois un ami à moi il m’a montré une maison mais la propriétaire dès qu’elle a vu que je suis un étranger elle m’a dit que ce n’était pas possible.

S- là, comment tu as trouvé la maison dans laquelle tu habites ?
F- c’est grâce à un ami algérien, un ami chauffeur de taxi, c’est par confiance, par intermédiaire que ça peut marcher.

Z, un autre ami algérien, est à la recherche d’un appartement depuis plus de trois mois. Depuis l’expulsion et au moment de l’interview, Z logeait temporairement dans l’appartement d’une connaissance pendant qu’il cherchait un logement.

Z-Je suis démoralisé par les expulsions. Là, je vis dans une pièce où je me sens mal. Je suis toujours à la recherche d’un appart. Le problème, c’est que le moment où ils nous expulsent n’est vraiment pas le bon. D’abord il fait froid, ensuite les étudiants ont déjà occupé les studios, il y a un manque de logements. Donc on doit quitter la ville.

Pour les quelques personnes qui, comme F et Z, ont suffisamment d’argent, un salaire fixe et un contrat légal, il est loin d’être facile de trouver un logement. Les loyers sont chers, beaucoup de propriétaires refusent de louer à des étranger’ère’s et la bureaucratie nécessaire pour obtenir un contrat de location est un obstacle, en particulier pour les personnes qui ne parlent pas grec.

De nombreuses personnes ont perdu leur emploi après avoir été expulsées car les camps où elles ont été ’relogées’ sont éloignés de la ville. Par exemple, une personne que nous avons rencontrée, E, a été licenciée parce qu’elle était absente au travail le matin de son expulsion ; licenciée car forcée à monter de le bus qui l’amenait au camp.

Pour ceux et celle qui n’ont pas d’emploi régulier, le problème est encore plus difficile. Dans ces cas-là, les plus chanceux’ses s’entassent dans les appartements d’ami’e’s ou de parents, tandis que d’autres se cachent dans des maisons abandonnées, se retrouvent dans des camps de type détention ou sont condamné’e’s à dormir dans la rue pendant les mois froids d’hiver.

Qui pourrait s’habituer à vivre dans un camp ?

Voici l’histoire de G, un ami congolais que nous avons rencontré il y a un an. Il est arrivé en Grèce avec sa mère et sa sœur en 2018. Après un an de maladies, de détention et de traitements inhumains dans le camp de Samos, il et elles sont arrivé’e’s à Thessalonique. Il et elles vivaient dans un appartement ESTIA dans le centre ville mais pendant cette période, la famille s’est fragmentée. La mère de G est partie à Athènes après que sa sœur ait disparu à Drama il y a plus d’un an de cela, pas un signe d’elle depuis ce jour. Pendant six mois, G a vécu dans un appartement ESTIA avec quelques colocataires jusqu’au jour où REACT, l’ONG qui gère son dossier, les a appelés pour leur annoncer qu’ils allaient être expulsés et envoyés dans un camp. G ne pouvait pas louer un autre appartement et l’ONG menaçait de couper l’aide financière qu’il recevait chaque mois.

G- ils sont venus avec une voiture, ils ont pris mes affaires, moi je leur disais « j’attend une amie là je peux pas » ils ont dit « non faut qu’on parte ! » comme ça oui. Par la force. Alors je regardais, comme ça, ce que je vais prendre et je suis parti. Je suis parti.

S- comment ça s’est passé quand tu es arrivé au camp de Nea Kavala ?
G- Donc je suis venu ici au camp de Nea Kavala, avant de rentrer je suis resté dehors presque 2 heures sans savoir pourquoi, la sécurité elle était là comme ça content, travail, ils pensent qu’ils travaillent mais pour moi c’est pas un travail : tu vois pas les gens ils sont fatigués ?
Après on nous a fait rentrer on nous a enregistré : tu viens d’où comme ça ? … On nous a donné un papier, une bouteille d’eau, des trucs à manger puis on te montre : « tu vas rester ici, tu vas rester là bas, tu vas rester ici » c’est tout. « si tu as des questions à poser faut aller ici, si t’es malade faut aller à l’hopital » . Voilà c’est ça, et la vie continue. Chaque jour on nous donne des petits trucs à manger mais moi je prend pas ça, c’est rien, c’est pas bien pour moi.

S- et combien de repas ils donnent par jour ?
G- une seule fois seulement
S- une seule fois ? Et y en a beaucoup ?
G- c’est pas gros, deux bouteilles d’eau, après t’as l’orange, deux œufs, un petit riz, c’est tout, mais moi je mange pas ça, je donne.

A- et ta chambre tu es tout seul ou tu vis avec d’autres personnes ?
G- oui j’ai un ami congolais, un africain, je l’ai rencontré là bas. Oui parce que moi j’avais dis je peux pas rester avec des gens il faut que je reste seul et ils ont dit « aah non comment ! Seul ! » comme ça comme ça, on m’a montré une chambre comme ça et l’odeur là « non ! », tu peux pas entrer ! La sécurité me dit « non il faut que tu mettes le cache-nez ! », « mais tu es malade ! Comment ça je vais mettre un cache-nez, je vais dormir avec le cache-nez !? Après il m’a demandé : tu viens de thessaloniki ? J’ai dis oui et il a dit « ah bas c’est normal là tu es dans le camp il faut t’habituer » . Il faut s’habituer dans le camp, et voilà.

« Il faut s’habituer au camp » disent-ils. La plupart des personnes qui sont envoyées dans des camps à la suite des expulsions ont déjà fait l’expérience de la vie dans un camp lors de leur arrivée en Grèce. Renvoyer des personnes dans des camps, c’est augmenter le risque de retraumatiser celles et ceux qui y ont déjà subi violences et dépressions dûes à la détention et traumatiser les rares qui avaient pu y échapper.

G- J’avais des frères africains là-bas (Samos) , ils sont venus en Grèce ici, ils allaient bien, ils pensaient bien, maintenant ils sont devenus un peu comme des fous. Malades ! Ils résonnent pas bien... Je ne sais pas pourquoi, le stress ? Ou comment... Et l’ennui aussi. Ça c’est la prison.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, ESTIA était un programme spécialement conçu pour les groupes les plus vulnérables, notamment les familles et les enfants exposés à des conséquences physiques et mentales majeures. Avant même de poser la question, toutes les personnes que nous avons interrogées semblaient conscientes de cette distinction.

F- Mais tu sais, pour nous c’est pas si grave, c’est pour les familles. C’est pas le moment d’expulser les familles. Les hommes célibataires, jeunes, comme nous, c’est plus facile pour se débrouiller.
M- c’est un gros problème, avec trois enfants, c’est vraiment pas facile.

M- Il y a cette famille d’irakiens que je connais, ils ont souffert. Maintenant ils sont au camp de Serres. Avant à Thessaloniki le père il travaillait dans une entreprise, lui et sa femme ils ont trois enfants, avant ils allaient à l’école et tout et après les expulsions : hop ! Au camp. Tu comprends ? Je discute avec lui au téléphone il me dit que ça va pas, qu’il trouve pas de travail, qu’il fait rien et qu’il peut rien faire.
Imagines-toi, toi t’es dans la ville et là je te lance dans la montagne en plein hiver dans des caravanes, tu peux vivre ? Pas de travail rien. Ils sont dans des containers. Là ils veulent partir, ils attendent pour leurs passeports. Ils veulent partir en Allemagne. Ils peuvent pas vivre au camp tu sais.

G- Ouais j’ai un ami qui vient de m’appeler maintenant, il m’a dit qu’il viens d’être expulsé, lui il a deux rejets ( de demande d’asile), voilà, ceux qui étaient dans la maison sont avec moi là au camp.
S- et lui il veut faire quoi ?
G- il veut partir. Lui il a un bébé, il est avec sa femme aussi mais il préfère quitter le pays. Donc il va monter dans un camion
S- avec le bébé ?
G- non le bébé il va rester parce qu’il fait froid, il veut partir seul chercher la vie, après peut-être, l’année prochaine, le reste de la famille va partir.
A- le bébé il a quel age ?
G- deux ans

S- J’imagine qu’à cause des expulsions il y a des gens qui décident de partir plus vite que prévu, qui prennent plus de risque, qu’est-ce que tu en penses ?
G- à cause de la maison maintenant ils veulent partir vite, oui, si tu as deux rejets de demande d’asile tu as pas le droit d’aller au camp, tu peux demander à l’avocat, peut-être il pourra faire quelque chose pour ta situation, si t’as pas d’avocat t’as pas le droit d’aller au camp donc tu es foutu. C’est pour ça y en a qui vont trop vite : ils quittent le pays, Macédoine, Serbie... C’est ça... Y a beaucoup de gens qui sont partis. Plein de gens, surtout des africains. Chaque jour ils partent.
S- et plus depuis les expulsions ?
G- C’est ça. Même si avant les gens partaient déjà.

Il est impossible de compter combien de personnes ont décidé de quitter la Grèce à cause expulsions. Nos informations proviennent de personnes qui discutent avec leurs communautés et/ou qui sont elles-mêmes concernées. L’une des personnes à qui nous avons parlé avait tenté de quitter la Grèce, avait été refoulée à la frontière et se trouve maintenant de nouveau dans le camp. D’autres réussissent à traverser en payant des milliers d’euros à des passeurs pour entrer à l’arrière d’un camion ou en marchant pendant des heures voir des jours dans les montagnes entre la Grèce et l’Albanie, la Macédoine du Nord ou la Bulgarie, avec des enfants parfois. Comme G l’a dit, il est évident que les gens voulaient quitter la Grèce avant les expulsions. La Grèce est définitivement plus accueillante avec les touristes qu’avec les migrant’e’s : alors que les AIRBNBs fleurissent, les expulsions donnent une raison de plus pour traverser la frontière même au milieu de l’hiver. C’est probablement une bonne nouvelle pour l’État grec, compte tenu de l’hostilité qu’il réserve aux migrant’e’s.

"Maintenir ces personnes à jamais exclues est dans l’intérêt de l’État".

Les déclarations officielles faites par les acteur’ice’s institutionnel’le’s pour justifier la fin du programme ESTIA sont désolantes. Non seulement la question est presque totalement absente des médias, mais les rares explications fournies par les responsables grecs et européens sont fuyantes, contradictoires et pathétiques car elles reposent sur des calculs politiques racistes et négligent totalement les conséquences humaines qu’elles génèrent. Nous avons identifié deux raisons principales sur lesquelles le gouvernement s’est appuyé pour expliquer la suppression du programme. Le ministère grec de la migration et de l’asile affirme que cette suppression est due à une " meilleure gestion de la question migratoire " et vise une " décongestion accrue des centres urbains ". Ces deux raisons donnent un aperçu de la logique cynique qui régit les flux migratoires en Grèce et dans le reste de l’UE.

Le programme ESTIA a été initialement fondé en réponse à une urgence humanitaire. En accord avec certains des États membres les plus riches, l’UE a financé le programme afin de limiter l’afflux de personnes cherchant une protection internationale en Europe centrale. Simultanément, le précédent gouvernement de ’gauche’ Syriza a augmenté la capacité d’accueil des camps. Ces camps sont actuellement sous-peuplés, notamment en raison d’un accord entre l’UE et la Turquie visant à empêcher les migrant’e’s d’entrer en Europe. Le gouvernement de droite en Grèce est arrivé au pouvoir en 2019 avec un fort programme anti-immigration et, au cours des deux premières années de son mandat, il a changé sa rhétorique pour affirmer publiquement que la question est "résolue" et que la migration est désormais "sous contrôle".

C : ça s’est produit partout en Europe, ce n’est pas quelque chose qui s’est produit uniquement en Grèce. C’était la fin du programme comme s’il avait deux phases : la première a été traitée comme une question humanitaire, et ensuite on dit que la question humanitaire est résolue. Avons-nous une guerre en Syrie ? Non, disent-ils ! Mais bien sûr, nous avons une guerre constante là-bas, encore maintenant. Et qu’en est-il de l’Afghanistan ? Pas de guerre disent-ils... il n’y a plus que les Talibans ! Ils prennent les mots si littéralement... Puisqu’il n’y a pas de guerre en Afghanistan, pas de guerre en Syrie, alors il n’y a pas de réfugiés. S’il n’y a pas de réfugiés, alors il n’y a pas besoin d’un programme humanitaire, donc nous fermons le programme. C’est ainsi que l’État grec et l’UE ont décidé de fermer le programme, parce que le problème est résolu dans leurs papiers. Malheureusement, pas dans la vraie vie.

Après l’abandon de la rhétorique de la "crise" liée à la migration, les ONG internationales n’avaient prétendument plus besoin d’opérer, car l’État pouvait s’occuper de la question de son propre chef. Ainsi, bien que la Commission européenne ait affirmé que les fonds auraient pu être prolongés jusqu’en 2027, la Grèce a décidé d’y renoncer et a fait de cette décision une décision explicitement politique plutôt qu’économique :

C : L’Allemagne est une destination importante pour ces personnes. D’autres États aussi, mais surtout l’Allemagne. Et la Grèce ne veut pas de ce programme, même avec des fonds internationaux. Si elle le voulait, elle pourrait obtenir de l’UE beaucoup plus d’argent, assez pour ne pas avoir de camp ou pour avoir très peu de personnes dans ces camps, mais cela créerait une situation dans laquelle les migrant’e’s ne migreraient pas et s’intégreraient à la population locale. Ce n’est pas une décision idéologique parce qu’il y a Nea Democratia au pouvoir, c’est quelque chose de plus profond.

C’est ici qu’intervient le deuxième argument de l’État pour la fermeture d’ESTIA, qui donne un aperçu de l’approche de la migration utilisée non seulement en Grèce, mais par tous les États membres de l’UE. Incapables de proposer des solutions humaines à leurs électeur’ice’s, les États de l’UE font rebondir les responsabilités d’un pays à l’autre, construisant des camps, des murs et des environnements hostiles pour les personnes en mouvement partout sur le continent afin de s’assurer qu’elles soient constamment maintenues dans un état de précarité et d’inconfort ; exploitables mais loin du regard des locaux. Alors que les personnes racisées sont "balayées" par une pression policière constante et expulsées du centre de Thessalonique, quelque chose de similaire se produit sur tout le continent, à l’échelle locale et nationale. Citons par exemple la fermeture des camps urbains d’Eleonas, l’expulsion de camps de fortune à Paris, les accords d’"externalisation" des frontières avec la Turquie, la Libye, le Niger et l’Égypte, la volonté du gouvernement britannique de traiter les demandes d’asile au Rwanda et la proposition de "nouveau pacte sur les migrations et l’asile" de la Commission européenne.

Les flux migratoires continuent d’exposer la précarité de l’ordre impérialiste et capitaliste mondial en remettant en cause ses équilibres. Plutôt que de le remettre en question et d’accueillir les personnes en mouvement sur le sol européen, les gouvernements se sont donné pour objectif commun de rassurer leurs électeur’ice’s en leur assurant que les centres-villes restent "décongestionnés", propres et exempts de tout étranger indésirable. Les dirigeant’e’s européens ont fait du "hors de ma vue" leur mantra à tous les niveaux.

Nous avons demandé à G ce qu’il pense de la politique de l’État grec. Nous lui laissons le mot de la fin.

G- ... le gouvernement grec, bah, ils sont compliqués, ils changent d’idées à tout moments donc je sais pas comment ils travaillent. Un jour comme ça ils disent on va construire quelque chose et après non ! On arrête. C’est compliqué, en plus c’est des menteurs.

Les pays de l’europe ils prennent l’argent, ils bouffent, ils exploitent les migrants, ils sont très à l’aise avec tout ça. Il faut aller au camp S , tu vas pleurer. C’est dur.
Pour vivre ici, c’est dur.

Je suis venu beau gars ici, mignon et tout, et après 6 mois : vilain ! À cause du stress, des comportements des gens. Voilà.

Merci à Z, G, C, M et F.
Article écrit à 4 mains
AORATI OPI

P.-S.

SOURCES

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